Porté par le ténor écologiste Sébastien Guèze, #BIOpéra est une initiative visant à repenser l’opéra dans une optique de sobriété énergétique. Son premier projet, La Bohème 2050, adapte l’œuvre de Giacomo Puccini en un film-opéra de 1h10, diffusé par France Télévisions le 22 avril (Journée mondiale de la Terre). Transposée dans un futur marqué par le réchauffement climatique, l’histoire revisite la vie de bohème : les protagonistes survivent dans les sous-sols du Château de Versailles, loin des privilégiés qui profitent des jardins. Mimì, désormais une intelligence artificielle conçue pour lutter contre les dérèglements climatiques, incarne une tragédie moderne en se sacrifiant par déconnexion volontaire.
Dans sa première mise en scène, le ténor Sébastien Guèze transcende la simple adaptation de « La Bohème » de Puccini pour en faire le creuset d’un imaginaire résolument contemporain. Son ambition dépasse l’hommage ou l’actualisation : elle réinvente l’œuvre comme miroir de notre époque et de ses défis les plus pressants. Sous sa direction, Paris n’est plus la ville glaciale où les bohémiens grelottent dans leurs mansardes, mais une métropole suffocante, écrasée par une canicule implacable. Ce renversement climatique, d’une évidence saisissante, métamorphose la lecture de l’œuvre : les protagonistes affrontent désormais la chaleur oppressante, la précarité énergétique et les conséquences d’un monde déréglé. La misère moderne y trouve une expression aussi poétique que lucide.
L’introduction d’une intelligence artificielle bienveillante, veillant sur une humanité carbonée en péril, enrichit le récit d’une dimension philosophique inattendue. Cette présence numérique tisse un dialogue subtil entre avancée technologique et vulnérabilité humaine, où l’utopie et la conscience des limites s’entrelacent avec délicatesse. Fidèle aux principes développés dans son essai BIOpéra, Guèze inscrit l’écologie au cœur même du processus créatif. Le projet ne se contente pas d’évoquer la crise climatique : il l’affronte concrètement par un spectacle exemplaire, réduisant son empreinte carbone de 80% et devançant de 25 ans les objectifs de l’Accord de Paris. Cette démarche prouve avec éclat que l’exigence artistique peut s’allier à la responsabilité environnementale sans compromis. (Lien vers le Rapport d’expérimentation : Décarboner l’Opéra et 10 recommandations aux tutelles).
Le cadre majestueux du Château de Versailles et de l’Opéra Royal offre un écrin où l’histoire dialogue avec l’avenir, où la splendeur du patrimoine se fait le témoin d’une vision futuriste. Grâce au partenariat entre La Belle Télé et France Télévisions, cette création pionnière touchera un large public, se voulant ouvrir la voie d’une découverte de l’art lyrique en salle. Les prouesses techniques – captation des voix en direct, décors réels, méthodes novatrices – servent une vision plus vaste : celle d’une culture porteuse de la transition écologique, sans jamais sacrifier l’émotion, la beauté ni la puissance évocatrice qui font l’essence de l’opéra. « La Bohème 2050 » dépasse ainsi le statut de simple spectacle pour devenir manifeste et invitation : celle de ré-imaginer nos récits fondateurs pour faire naître, au cœur de nos inquiétudes contemporaines, de nouveaux espaces de rêve, de partage et d’espérance.
Si Sébastien Guèze porte la direction artistique, il s’entoure d’une équipe de complices talentueux – Anthony Pinelli à la réalisation, Vincent Wieler à la photographie, Christine Hassid à la chorégraphie et de jeunes auteurs pour les textes – formant un ensemble créatif dont le magnétisme transparaît dans chaque image. Mais le ténor ne se contente pas de diriger : il retrouve sa place d’interprète aux côtés de solistes d’exception croisés au fil de sa carrière, et sur qui il a visiblement flashé tant l’alchimie est présente entre tous.
L’interprétation vocale de cette production est portée par des artistes dont la maîtrise technique et l’engagement émotionnel transcendent la partition. Sébastien Guèze, dans le rôle de Rodolfo, déploie un ténor à la fois puissant et nuancé, dont la voix chaleureuse et vibrante emplit l’espace avec une présence captivante. Son phrasé, bien que parfois marqué par une intensité dramatique légèrement rigide, traduit une profonde compréhension du personnage, notamment dans les moments de tendresse où sa voix se fait plus souple, presque murmurée. Les duos avec Mimì sont empreints d’une émotion palpable, où chaque note semble chargée de passion et de mélancolie.
La soprano corse Vannina Santoni, en Mimì, incarne avec grâce la fragilité et la pureté du personnage. Son timbre cristallin, velouté et d’une rondeur envoûtante, se déploie avec une aisance remarquable, particulièrement dans les aigus, d’une clarté et d’une justesse impeccables. Son « Donde lieta uscì » est un moment de pure magie, où chaque mot, chaque respiration, semble sculpté dans l’émotion. Son jeu scénique, subtil et poignant, renforce la dimension tragique de cette Mimì futuriste, dont la destinée résonne avec une modernité bouleversante. Catherine Trottmann, en Musetta, apporte une énergie électrisante à la production. Sa voix, à la fois agile, puissante et riche en couleurs, illumine la scène, notamment dans « Quando m’en vo’ », où elle allie virtuosité vocale et présence théâtrale magnétique. Son interprétation révèle une profondeur insoupçonnée du personnage, oscillant entre coquetterie et vulnérabilité, offrant un contrepoint fascinant à la douceur de Mimì. Yoann Dubruque, en Marcello, impose une voix de baryton d’une rondeur et d’une projection remarquables, parfaitement adaptée aux emportements passionnés du personnage. Son timbre clair et pénétrant, allié à une expressivité constante, en fait un pivot dramatique incontournable. Les échanges avec Rodolfo, tantôt conflictuels, tantôt complices, bénéficient d’une chimie vocale évidente, renforçant l’impact des scènes d’ensemble. Satisfecit total également pour le Colline de l’excellente basse de Jean-Vincent Blot, et le Schaunard du très prometteur baryton guadeloupéen Joé Bertili.
Sous la direction inspirée de Victor Jacob, l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles livre une performance d’une richesse et d’une finesse exemplaires. Puccini exige une orchestration à la fois luxuriante et délicate, et les musiciens répondent avec une maîtrise absolue des nuances, des éclats les plus flamboyants aux pianissimi les plus intimes. Les cordes, d’une souplesse et d’une chaleur enveloppante, tissent une toile sonore qui soutient les voix sans jamais les couvrir, tandis que les bois apportent des couleurs tour à tour nostalgiques et espiègles, particulièrement dans les passages évoquant la légèreté perdue des « bohémiens ». Les cuivres, puissants mais jamais écrasants, soulignent les moments de tension dramatique avec une précision impeccable. L’un des grands moments orchestraux réside dans l’accompagnement de la mort de Mimì, où l’orchestre déploie une palette émotionnelle déchirante, passant des murmures les plus ténus à des crescendi d’une intensité poignante.
Vivement un autre projet porté par le multi-talentueux « ténor-écologiste » Sébastien Guèze !
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CRITIQUE, opéra filmé. France Télévision, le 22 avril 2025. PUCCINI : “La Bohème 2050”. S. Guèze, V. Santoni, Y. Dubruque, C. Trottmann… Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, Victor Jacob (direction). A voir ou revoir grâce à la diffusion en ligne sur la plateforme France.tv (jusqu’au 21 octobre 2025). Crédit photographique © La belle télé
VIDEO : Teaser de « La Bohème 2050 » par Sébastien Guèze