Après avoir tournée un peu partout en France, c’est au Grand-Théâtre de Dijon que la production d’Ô mon bel inconnu de Reynaldo Hahn, signée par Emeline Bayart, poursuit son voyage en France. Sa vision du fantasque ouvrage du compositeur brésilien convainc par sa facétie, avec une attention délectable portée aux mots du livret, signé par rien moins que Sacha Guitry ! – pour ce qui est leur seconde collaboration après leur Mozart de 1925. Dans la publication discographique du Palazzetto Bru Zane, sorti en 2021, les dialogues parlés avaient été retirés, mais dans cette version scénique, c’est la mouture parlée et chantée qui est par bonheur ici restituée, car elle vaut le détour, le théâtre plus encore que le chant. Autant dire qu’il fallait donc réunir un plateau de chanteurs-acteurs chevronnés… et c’est un pari réussi !
Epoux ennuyé, le chapelier Prosper Aubertin publie une petite annonce : « Monsieur célibataire et riche cherche âme sœur ». Voilà qui émoustille derechef son épouse Antoinette, sa fille Marie-Anne, sa domestique Félicie… toutes émoustillées à l’idée de rencontrer ce « bel inconnu ». La déconvenue qui en découle douche leurs derniers espoirs. Ce qui relève du fantasme n’a rien à voir avec le réel…
Maître du vaudeville, Reynaldo Hahn se délecte à décrypter les charmes de la fantasmagorie au début des années 1930, époque respectée par la metteure en scène comme en atteste la scénographie très élégante autant que les costumes d’époque signés tous deux par Anne-Sophie Grac. L’ouvrage est en effet créé en 1933… avec Arletty dans le rôle de la bonne ! En 2023, c’est Emeline Bayart elle-même qui tient, avec beaucoup de gouaille (parisienne), le rôle de Félicie. L’attrait pour l’inconnu se brise sur les arêtes vives d’une morosité autrement terne, et Guitry collectionne ici les plus fins mots d’esprits.
De la chapellerie parisienne à la villa de bord de mer “Mon Rêve” à Saint-Jean-de-Luz, la distribution réunie à Dijon sait maîtriser l’articulation d’un texte riche en saveurs et lectures multiples, en cela emblématique de l’humour piquant et sarcastique de Sacha Guitry. Dans le rôle de l’épouse Antoinette, Clémence Tilquin se montre d’une classe et d’une finesse toute mozartiennes, tandis que Sheva Tehoval (dans le rôle de Marie-Anne, sa fille), de sa voix fraîche et ductile, rend parfaitement grâce aux mots du librettiste, qui mêlent tour à tour sincérité et faux-semblants. Marc Labonnette campe un Prosper Aubertin aux graves faciles et à l’autorité naturelle, tandis que Jean-François Novelli (Jean-Paul puis Mr Victor) possède tout ce qu’il faut du bouffe requis par ses deux personnages. De son côté, Victor Sicard campe un Claude charmeur et enjôleur, tout à fait crédible en jeune amoureux. Enfin, Carl Ghazarossian est d’abord inénarrable dans son rôle muet, avant de se montrer émouvant dans son intervention finale, du personnage de Hilarion Lallumette.
Dans la fosse, Samuel Jean met en valeur tout le raffinement de l’écriture de Reynaldo Hahn, privilégiant la douceur et la rêverie de la partition, avec quelques moments plus rythmés, différents aspects auxquels l’Orchestre des Frivolités parisiennes rend pleinement justice !
Encore une date au Grand-Théâtre de Dijon, aujourd’hui samedi 2 décembre 2023 à 20h, puis le spectacle ira finir son périple hexagonal pour égayer les Fêtes de fin d’année à l’Opéra Grand Avignon (les 29,30 & 31 décembre) !
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CRITIQUE, opéra. DIJON, Grand-Théâtre, le 1er décembre 2023. HAHN : Ô mon bel inconnu. C. Tilquin, S. Tehoval, M. Labonnette… E. Bayart / S. Jean.
VIDEO : Trailer de “Ô mon bel inconnu” de Reynaldo Hahn dans la production d’Emeline Bayart.