L’auteur de la musique du Guépard (de Luchino Visconti), et des principaux films de Federico Fellini, fut fécond sur la scène lyrique. En effet, Nino Rota a composé, outre des ballets et des symphonies, une quinzaine d’opéra : Le chapeau de paille d’Italie (Il Cappello di paglia di Firenze en italien), d’après la comédie éponyme d’Eugène Labiche (créée en 1851 à Paris), en est le 4ème…
C’est une mise en lumière bienvenue, et plutôt convaincante, à laquelle nous convie l’Opéra national de Bordeaux (dans l’espace de son bel Auditorium) qui a eu la bonne idée de remettre ce titre à son affiche, quand bien même dans une version “réduite” – 1h15 sans entracte, accompagnée au piano mis en images ici par le jeune Julien Duval… -, soulignant combien Nino Rota maîtrise l’écriture lyrique et possède le sens du drame. Ses collaborations avec les grands cinéastes, dont encore une fois principalement Fellini (La strada, La dolce vita…), nourrissent son propre théâtre musical. D’ailleurs, ce dernier est clairement cité dans les éléments de décor et ses couleurs criardes, qui renforcent rythme et verve dans le jeu des acteurs (tout cela nous fait penser en particulier au film « 8 et demi« …). Telle une arène en rouge et blanc, claire référence au cirque familier de Fellini et Rota, la scène et ses coulisses sont visibles par tous, et offrent un cadre ordonné et juste (scénographie signée par Olivier Thomas), d’autant plus apprécié qu’il est le résultat de la politique 100 % recyclage voulu par Emmanuel Hondré (et la Mairie “verte” de la Capitale girondine) : décor, costumes et accessoires, viennent du stock réutilisé de l’Opéra national de Bordeaux.
Crédit photo © Pierre Planchenault
L’esprit du vaudeville, goguenard et boulevardier fait merveille dans cette “Farce légère” (telle que l’a nommée Rota…), avec une intrigue certes mince [le cheval de Fadinard, qui a mangé le chapeau de paille d’Anaïs, provoque une série de « catastrophes » bien enlevées, jusqu’au lieto finale…], mais le schéma est prodigieusement efficace, propice aux situations exquises. Rota, maître des rebondissements et des airs et mélodies à foison, voilà qui explique sans aucun doute le succès de l’ouvrage depuis sa création en 1955 au Teatro Massimo de Palerme. Les airs et les duos s’enchaînent sans omettre des ensembles particulièrement réussis – dont le dernier finale. La musique a capacité à nourrir et réactiver constamment la vivacité de l’action, ce que comprend tout à fait le chef Salvatore Caputo (le chef des Choeurs de l’Opéra national de Bordeaux), qui donne les indications de départ au pianiste, aux chœurs et aux solistes, déguisé à l’instar de tous ses camarades. Le travail de Julien Duval s’est concentré sur l’efficacité du jeu individuel et collectif, ce que confirme aussi ce “chambrisme” musical proche du texte : pas d’orchestre, mais une version épurée pour chœur, solistes et… piano, placé ici à jardin, que pilote Martin Tembremande, très investi lui aussi, est d’une tenue impeccable tout du long.
Les voix gagnent un relief particulier, dans la “bonbonière” de l’auditorium bordelais, ce qui favorise la caractérisation de chaque personnage ; ainsi également de l’intervention du violoniste Tristan Chenevez, pour chaque air de La Baronessa, dans cette version musicalement “allégée”, et réduite à 2 instruments, ce dont profitent les tempéraments des solistes qui sont en fait tous ici des membres du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, qui assument ainsi tous les rôles de la pièce de Labiche. Très bien préparés par leur directeur, Salvatore Caputo, les chanteurs font valoir leurs qualités évidentes, l’expressivité vocale et dramatique de chacun nourrissant la grande cohérence de la distribution. Aguerris aux exigences du théâtre musical et de l’opéra, chaque chanteur ainsi mis en avant soigne le profil propre de son personnage, ce qui assure aussi la réussite des séquences collectives et des ensembles… Les jeunes mariés (Maria Goso et Daniele Maniscalchi), l’oncle (Mitesh Khatri), Elena (Rebecca Sørensen) comme la modiste d’Héloïse Derache, Felice (Olivier Bekretaoui), Achille (Luc Default), Nonancourt (Loïck Cassin), Emilio (Jean-Philippe Fourcade), ou encore Beaupertuis (Jean-Pascal Introvigne) partagent une joie manifeste dans un chant franc et astucieusement accordé les uns aux autres. Tempérament qui se détache cependant, celui de la Baronne délirante d’Eugénie Danglade, qui affirme un alto et une présence qui laissent envisager une belle carrière de soliste. Dans un dispositif qui les valorise, les chanteurs du Chœur de l’Opéra national de Bordeaux ne pouvaient imaginer meilleur tremplin.
Du sur mesure plus que convaincant… Bravi les artistes !
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CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Auditorium (les 7, 8 et 9 novembre 2024). N. ROTA : Un Chapeau de paille d’Italie. D. Maniscalchi, R. Sorensen, M. Goso, M. Khatri… Julien Duval / Salvatore Caputo. Toutes les photos © Pierre Planchenault
VIDEO : Trailer de « Un Chapeau de paille d’Italie » selon Julien Duval à l’Opéra national de Bordeaux