jeudi 18 avril 2024

CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Auditorium, le 9 février 2023. HAENDEL : Alcina. Kozena, Morley, Bonitatibus, DeShong, Rosen… M. Minkowski.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

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Deux jours après avoir été donnée à la Philharmonie de Paris (avant Hambourg, Madrid, Barcelone et Valencia, cette version de concert d’Alcina de Haendel investissait l’Auditorium de Bordeaux, avec la même distribution cinq étoiles, ainsi que Marc Minkowski comme chef… pour un retour à l’Opéra d’une ville qu’il a dirigée de 2015 à 2022 !

 

On le sait, il connaît son Haendel du bout de la baguette, et depuis la création de son ensemble Les Musiciens du Louvre – qui officie bien évidemment ce soir sur le plateau de l’institution bordelaise -, il n’a eu de cesse de remettre les opéras du caro Sassone sur le métier, parmi lesquels Ariodante et Alcina (dont il a gravé de mémorables versions), apparaissent comme des fétiches. Plutôt que de succomber aux sirènes de l’opéra magique, en l’absence par ailleurs d’une réalisation scénique, Minkowski s’attache ce soir à souligner l’ironie et la cruauté de la partition de Haendel, en creusant la dynamique, mais également les courbes. Ses choix de tempi servent au mieux les caractères, et la volubilité de l’ornementation fait flamboyer une vocalité décidément vainqueresse dans cet ouvrage qui demeure notre préféré de Haendel. Et il faudra, enfin, faire une mention pour les deux excellents solistes – Alice Piérot au violon et Gauthier Broutin au violoncelle – qui ravissent par leur fougue et leur virtuosité sans pareille dans certaines pages instrumentales ou en accompagnement solo pendant certains airs.

 

 

Alcina de Haendel en version de concert à Bordeaux

Haendel par Minko / Kozena : ironie et cruauté

Dans le rôle-titre, la mezzo tchèque Magdalena Kozena s’inscrit dans l’inaccessible lignée de la Stupenda et Arleen Auger, les deux Alcina de référence du siècle passée. Devant la force prodigieuse d’une incarnation alliant cruauté et sensualité, qui plus est portée par un accompagnement sur mesure, « Ah ! mio cor ! », habituel sommet de pathos, subit un traitement d’une violence tellement violente qu’on en oublierait presque la suprême qualité d’un chant belcantiste supérieurement cultivé, et le velours d’un timbre superbement irisé. La voix gracieuse, la musicalité exquise de la soprano américaine Erin Morley sont bien celles d’une enchanteresse sœur d’Alcina, se régalant des pouvoirs d’un aigu rond et chaud, mais qui sait aussi s’assombrir dans un « Credete al mio dolor » d’une touchante pureté. La mezzo italienne Anna Bonitatibus affiche en Ruggiero une belle santé vocale, même si la voix a perdu un peu d’éclat depuis la première fois que nous l’avons entendue, dans La Cenerentola à l’Opéra de Lyon il y a une vingtaine d’années. D’une virtuosité néanmoins plutôt débridée, le tempo intenable de « Sta nell’ircana » ne l’effraie guère, mais elle se montre également capable d’infinies subtilités dans un « Verdi prati » quasi murmuré. Figure obstinée de la vertu, Bradamante bénéficie en Elizabeth DeShong d’une interprète non moins idéale, avec un timbre aussi charnu que véloce, sur tout l’ambitus, en se jouant des vocalises caracolantes de sa partie, notamment dans le fameux air « Vorrei vendicarmi ». En visible méforme vocale, le ténor italien Valerio Contaldo (Oronte) ne livre pas le beau chant auquel il nous a habitués, et la ligne se trouve fort bousculée et malmenée ce soir… dommage ! De son côté, la basse étasunienne Alex Rosen offre en revanche un Melisso superlatif, avec un timbre dont la noirceur fait courir le frisson le long de l’échine (ah, son « Pensa a chi geme » !), tandis que celui du jeune contre-ténor Aloïs Mülhbacher nous paraît au contraire bien trop acide et vert (encore) pour enthousiasmer dans le personnage habituellement sacrifié d’Oberto.

Une soirée aussi spectaculaire qu’émouvante, portée par la souveraine baguette de Minkowski et une Magdalena Kozena qui fascine par son talent et ses prises de risques.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Auditorium, le 9 février 2023. HAENDEL : Alcina. Kozena, Morley, Bonitatibus, DeShong, Rosen… M. Minkowski. Photo (c) Emmanuel Andrieu

 

 

 

 

 

Teaser audio / vidéo :
Magdalena Kozena chante « Ah, mio cor! » dans Alcina de Haendel

 

 

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VOIR aussi Raffaella Milanesi chanter Alcina, Ah, mio cor / Shanghai 2015 / Opera Fuoco / David Stern : https://www.youtube.com/watch?v=X-f86jVCv40

 

 

 

 
 

 
 

 

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