
En ce mois de décembre, le Nationale Opera & Ballet d’Amsterdam nous fait l’immense plaisir de donner l’opérette de fêtes par excellence : Die Fledermaus de Johann Strauss (fils). Valses, paillettes, intrigues, danseurs, comique et même claquettes : tout ici est réuni pour ressortir de la salle joyeux, réchauffé et assoiffé de champagne ! Barrie Kosky utilise le très haut potentiel comique d’une distribution de choix avec finesse (ou non… mais c’est alors volontaire et très réussi). Une mise en scène pleine de burlesque et de brillant qui fait du bien alors que les températures sont particulièrement basses au-dehors.
Sur une Ouverture à laquelle Lorenzo Viotti ne fait pas tout à fait honneur, le metteur en scène australien nous propose un ballet comique d’une dizaine de chauve-souris qui fait bien plaisir ! La direction musicale est trop gracieuse et élégante, avec des tempi trop lents qui empêchent de donner à ce célèbre morceau toute l’énergie rebondissante, pétillante et croustillante qui lui est due. Mais cela est vite oublié tant les costumes et les décors nous emportent dans leur féérie burlesque.
L’allemande Hulkar Sabirova est une Rosalinde de caractère, voluptueuse à l’image de sa voix, en plus d’une actrice assurée. Sa Czardas de l’acte II accompagnée de moult danseurs est un succès ! La voix est libre, agile, profonde et notre actrice ne manque pas d’humour. Elle doit supporter son très pénible amant Alfred, mais dont la superbe voix de ténor la fait tomber en pâmoison. C’est l’américain Miles Mykkanen qui tient ce rôle d’amant benêt, ici extrêmement comique. Et pour ce qui est de sa voix, on comprend le goût de Rosalinde ! Le metteur en scène lui fait d’ailleurs interpréter ça-et-là de petits extraits des plus célèbres airs de ténor au gré des dialogues, qu’il interprète parfaitement et avec une facilité déconcertante.
Le mari de Rosalinde, Gabriel van Eisenstein, ici Björn Bürger doit être mis en prison pour avoir insulté un officier de police. Sérieux d’abord, il se déchaîne au fur et à mesure de l’œuvre jusqu’à finir suspendu au lustre en sous-vêtements à la fin de l’acte deux. Et il chante si bien qu’on en oublie justement qu’il chante ; c’est là toute l’essence de l’opérette. Diction irréprochable, timbre chaud et naturel, toutes les qualités d’un très bon Eisenstein sont réunies. Même constat chez son ami docteur Falke interprété malicieusement par le hollandais Thomas Oliemans. Malgré une projection vocale discrète, il se saisit avec beaucoup de finesse de l’intrigue qu’il mène comme dans un théâtre de marionnettes. Car c’est lui la chauve-souris qu’Eisenstein a laissé s’endormir ivre mort déguisé comme tel sur un banc du centre viennois. Il décide alors de se venger en inventant la petite farce que nous raconte l’opérette.
Leur servante Adele, interprétée par Sydney Mancasola, capte toute l’attention du public dès son arrivée en scène, déjà hilarante avant de briller dans ses deux airs dont « Mein herr Marquis » toujours très attendu. Là aussi, tout paraît facile, le chant est naturel et la diction au rendez-vous. Eisenstein et Falke partis faire la fête, arrive Franck le directeur de la prison pour arrêter Eisenstein. Il trouve à sa place (c’est-à-dire dans son peignoir et ses pantoufles) Alfred venu dîner avec sa maîtresse et l’arrête. Le hollandais Frederik Bergman est hilarant dans ce rôle et tout particulièrement au troisième acte, revenu dans sa prison ivre lui aussi et en slip argenté. S’il n’a pas énormément à chanter, il donne à la perfection chacune de ses notes notamment dans les nombreux ensembles, avec le naturel évoqué plus haut chez ses collègues.
Au second acte, nous arrivons chez le comte Orlofsky, ici interprété par une Marina Viotti en folie ! Drôle et pétillante, aux allures parfois de Liza Minelli, et qui ne cache pas son accent français (langue d’élégance en 1874). Plumes, manteau de fourrure et barbe pailletée sont tout son apparat. Et de même pour un chœur de Drag Queens inspiré du groupe des années 70 The Cockettes. Le Chœur de l’Opéra d’Amsterdam est toujours aussi brillant et précis, à n’en point douter un des meilleurs chœurs d’Europe. C’est aussi à cet acte qu’apparaît l’hilarante sœur d’Adele : Ida, interprétée par l’allemande Tabea Tatan. Elles parlent d’ailleurs le hollandais entre elles, ce qui accentue avec beaucoup d’humour leur complicité et leur condition sociale différente des bourgeois viennois.
Enfin, il faut évoquer quelqu’un qui s’avère être un rôle mineur dans la partition, mais qui est particulièrement remarquable ici. Le premier garde de prison nous a donné au début de l’acte trois un numéro de claquette clownesque absolument inoubliable. Il s’agit de l’autrichien Max Pollak, petit homme d’une habileté fascinante, jouant avec le rythme viennois comme avec celui des meilleures comédies musicales américaines tout en chantant !
Vous l’aurez compris, le liant qui crée la magie puissante de ce spectacle est le talent de Barrie Kosky et son équipe. Cette mise en scène de La Chauve-Souris a déjà été donnée à Munich en 2023. La direction de Lorenzo Viotti ne suit malheureusement pas cette énergie. On ne peut pas dire que cela gâche le spectacle, loin de là, mais enfin la musique de Johann Strauss aurait pu être servie avec plus de verve et de dynamisme. Pour sa quatrième production de la saison, la maison Amstellodamoise nous donne encore un spectacle merveilleux qui confirme la grande qualité de cette maison – qui fait un sans faute depuis septembre.
______________________________________________
CRITIQUE, opéra. AMSTERDAM , Nationale opera en ballet, le 5 Décembre 2024. STRAUSS Jr. : Die Fledermaus .H. Sabirova, B. Bürger, S. Mancasola, M. Viotti… Barrie Kosky / Lorenzo Viotti. Toutes les photos © Bart Grietens
VIDEO : Trailer de « Die Fledermaus » de Johann Strauss à l’Opéra d’Amsterdam
