Aux côtés de son étonnante programmation aux Dominicains où ont lieu les grands concerts et où s’est implanté aussi, chaque année, le village du Festival [dans le cloître], le Festival de musique sacré de Perpignan a su édition après édition, se renouveler ; il a fait de l’ouverture, de la générosité et de la transmission des valeurs tout aussi essentielles à son développement qu’à son ancrage dans la ville ; réalisant à Perpignan, « la rayonnante », un cycle fort et très lisible qui diffuse et valorise chaque printemps, l’image de la cité catalane.
Vue panoramique de Perpignan depuis le campanile de la Cathédrale Saint-Jean – au fond, le palais des rois de Majorque © classiquenews.tv
OUVERTURE, vendredi 15 mars 2024. Elisabeth Dooms, directrice artistique du festival, que le thème du sacré inspire chaque année, veille particulièrement à l’accessibilité du Festival pour tous : l’ouverture de la 38e édition, ce vendredi 15 mars en témoigne qui au THEÂTRE MUNICIPAL, en centre ville, propose un concert où les 5 chanteurs à capella d’Apollo 5 et leur chef Paul Smith, encadrent et stimulent les enfants de 3 établissements locaux, tous en scène, donnant la réplique aux 5 solistes pros pour une expérience partagée avec leurs parents venus en nombre ; c’est aussi la mission du Festival grâce à son cycle « JEUNES POUSSES » que d’encourager les plus jeunes à vivre le chant et la musique dans une immersion concrète qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Même les spectateurs donnent de la voix et chantent aux moments voulus par le chef aux dons pédagogiques manifestes. Hildegard von Bingen [Karitas], Jacques Brel [le plat pays], ou « Clean Bandit » sont ainsi entonnés par le chœur des jeunes, associé aux 5 vocalistes d’Apollo 5.
Les enjeux sont manifestes et se révèlent exemplaires : partage, pédagogie, transmission ; rien n’égale la pratique du chant ni l’expérience collective de la musique. La preuve en est encore donnée cet après midi.
MUSIQUE ET PATRIMOINE… Le lendemain [samedi 16 mars 2024], c’est un périple aussi intense que parfaitement intégré dans la ville : visite musicale d’abord dans une maison de ville emblématique : la Casa Xanxo, [à quelques rues de la cathédrale Saint-Jean]. Marchand drapier qui a fait fortune, Xanxo a édifié et réaménagé un véritable hôtel particulier dont l’ambition du décor indique le statut social du bourgeois Perpignanais. Les deux chanteuses de l’ensemble Aoédées (Prisca Martial-Llaveria et Dorothee Pinto) jalonnent le parcours de « cette maison qui chante.. », pour reprendre le titre de la conférence itinérante.
Elles font même chanter les visiteurs dans le Canon de la Paix de François Terral [référence à la Paix de Pyrénées], Perpignan citadelle ceinte de fortifications fameuses reçut même la visite de la Reine Anne d’Autriche… Pendant le parcours, le visiteur [y compris les plus jeunes car la visite fait partie des propositions « JEUNES POUSSES » du Festival], (re) découvre la très riche histoire de la ville, fleuron de l’âme catalane. A ce titre, les deux chanteuses interprètent une collection d’airs et de chansons en français (Blanche biche, les brunettes…), en latin, occitan, surtout en catalan dont le dernier « la clavellina » évoque le dur labeur des pétrisseuses boulangères… Alliant le geste au chant, parfois accompagnées par le carré [tambour], les deux voies idéalement fusionnées, colorent la présentation de la guide, en produisant une immersion vivante qui suscite une immédiate attention. La formule est très convaincante ; tout en cultivant la encore les bénéfices de la transmission [car les plus jeunes sont sollicités pendant la visite], le Festival favorise pendant sa tenue, la découverte du patrimoine Perpignanais, lequel on le comprend fait la fierté catalane.
A 17h, CONCERT DE CARILLON sur le parvis de la CATHÉDRALE SAINT-JEAN. Avec la création mondiale de la pièce avec cornemuse de la compositrice Irène Randrianjanaka [Ecos], lauréate du Concours international de composition, organisé par les Amis du carillon de la cathédrale Saint-Jean. Le fabuleux instrument comptant 46 cloches, inauguré en 1896, scintille en mille nuances claires, vibrantes et perçantes, dans un parcours sonore qui flirte avec le ciel faisant flotter sa résonance dans un nimbe mouvant et long qui enveloppe l’ensemble des bâtiments de la Cathédrale. Le festivalier y reconnaît l’Andante religioso de la Sonate pour orgue n°4 de Mendelssohn, l’Elégie de Jules Massenet, le Menuet de Maurice Ravel (Tombeau de Couperin) … Soit des épisodes allusifs et de fait enveloppants qui contrastent fortement avec l’arche spectaculaire d’Olesya Rostovskaya [1975-, « Orthodoxe tradition Peals »], somptueuse tapisserie où rayonnent les cloches les plus graves. La pièce en création « Ecos » colle d’autant mieux au thème du Festival de musique sacrée de Perpignan qu’elle en partage son titre générique 2024 « Écho », formidable promesse ici exaucée, celle d’un temps à la fois fabuleux et onirique qui enveloppe et apaise… une respiration dans un monde chaotique.
Cloches du Carillon de la Cathédrale Saint-Jean de Perpignan © classiquenews.tv
Là encore la magie opère : le festivalier assis au pied du campanile baigne littéralement dans un nuage sonore qui rehausse davantage le caractère de l’architecture qui s’offre à lui. [Concert « Ondes », avec au Carillon : Elizabeth Vitu et Laurent Pie / à la cornemuse : Pierre Jordà I Manaut].
A 18h30, concert de l’Ensemble ESTELUM dans la Cathédrale Saint-Jean : « LUTZ DE LUA« . Le chant a capella de l’ensemble Estelum dirigé par Pascal Caumont, approfondit encore cet ancrage dans le territoire où s’affirme comme un chant des origines, une collection de pièces vocales a capella ici réalisées par un quatuor composée de 3 chanteuses et 1 chanteur : chants de montagne, chant mixte [comme aux origines], le patrimoine ainsi transmis, collecté manifeste cet éclat souvent amoindri voire mésestimé par la plupart des directeurs de salles. Le mérite revient donc à Elisabeth Dooms d’oser des choix artistiques aussi originaux qu’audacieux et pourtant, d’une évidente légitimité : les chants proposés ce soir appartiennent au corpus pyrénéen (Haute Pyrénée : Provence Alpine, Catalogne, Rouergue…).
Estelum maîtrise l’équilibre des voix, la fusion des timbres ; la signature vocale à 4 est saisissante, en caractère comme en homogénéité.
Surgit et se déploie la fusion enveloppante des 4 timbres dont l’exceptionnelle concordance et une musicalité aussi vivante que riche, réalisent ce corps sonore à la fois un et multiple. Intitulé « Lutz de Lua » (en catalan : « clair de lune »), le programme séduit immédiatement par la sincérité du geste, la pertinence des morceaux choisis (évidemment sur le thème de Pâques, de l’Avent, …). Ce chant fusionnel, équilibré, si homogène semble immuable et de toute éternité, comme si la mémoire humaine n’ayant jamais interrompu la pratique comme l’esprit des chants traditionnels, délivrait la fabuleuse sonorité ancestrale, avec une vérité intacte, préservée. Entre terre et ciel, le chant reconnecte au cosmos, abolit ainsi le temps et l’espace ; il se recentre sur notre humanité en révélant ce qu’il y a de plus profond dans le partage des voix.
Pédagogue et chercheur, Pascal Caumont transmet sa passion du patrimoine traditionnel, en particulier pyrénéen. La prodigieuse beauté sonore, l’idéal esthétique que sous tend une telle musicalité, la complicité naturelle, la précision du style, la justesse du geste collectif, la densité transparente de ce chant très centré… atteignent leur but : une colonne vocale unitaire qui se dresse comme un faisceau d’énergie, sublimant textes et notes. C’est à la fois foudroyant et enveloppant. En somme, un programme qui s’inscrit idéalement là encore dans le thème de ce 38è Festival de Musique Sacrée de Perpignan (« Écho »). Se distinguent en particulier par leur force et leur intensité hypnotique, le « Requiem Kyrie » (chant traditionnel monodique catalan), le chant religieux de création provençal (de Saint-Martin Vésubie), « Oc Paire » qui sonne et enchante comme une berceuse ; l’envoûtant « Salve Regina » (Rouergue) ; plus légitime encore dans la Cathédrale Saint-Jean, la Berceuse invoquant « Sant Joan et Sant Marti (Lleida, Catalunya). La vérité de chanteurs aussi bien accordés, captive. Et l’expérience pour l’auditeur demeure inoubliable.
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38è Festival de musique sacrée de Perpignan [Élisabeth Dooms, directrice artistique]. CRITIQUE, les 15 et 16 mars 2024. Apollo 5, Paul Smith / Duo Aoédées / Concert de carillon / ensemble Estelum…
Prochains concerts incontournables [5 concerts « Florilège » à l’église des DOMINICAINS] : les 22 mars 2024, Stabat Mater par Le Caravansérail, Bertrand Cuiller / 23 mars, Luminous Night par le Choeur Dulci Jubilo, Christopher Gibert / 24 mars, le chant de la montagne, musique du monde / 26 mars, Maîtres de Notre-Dame de Paris par Correspondances, Sébastien Daucé (L’Archipel, scène nationale) / enfin clôture le 28 mars avec Harmonies poétiques et religieuses par Lambert Wilson et Roger Muraro (piano)…
Infos & réservations : 04 68 66 18 92
Toutes les infos, la billetterie, les événements du Festival 2024 : https://mairie-perpignan.fr/festival_Musique_Sacree
LIRE aussi notre présentation, les programmes détaillés du 38è Festival de Musique Sacrée de Perpignan, jusqu’au 28 mars 2024 : https://www.classiquenews.com/38e-festival-de-musique-sacree-de-perpignan-echo-du-15-au-28-mars-2024/
38ème FESTIVAL DE MUSIQUE SACRÉE DE PERPIGNAN : « ÉCHO », du 15 au 28 mars 2024.