On le sait, après un rythme effréné comme compositeur d’opéras, Gioacchino Rossini pris sa retraite jeune… mais reviendra à la musique, une décennie plus tard, en composant de la musique sacrée qui – en liaison avec son génie purement et idéalement lyrique – reste étonnamment proche de l’opéra. Mais son Stabat Mater – qui a pour sujet des larmes de la Vierge qui découvre, au sommet de la douleur, le corps supplicié de son fils Jésus après avoir été déposé de la croix – atteint dans le registre tragique une tendresse rare. La partition lui est demandée par un ecclésiastique lors d’un séjour de repos en Espagne en 1830. Eloquence, intériorité, intensité s’accordent ici à l’écriture virtuose d’un maître de la scène lyrique. Rossini écrit dans la foulée les 6 premiers numéros (sur les 10 finaux), puis tombe malade. A la suite d’un procès avec celui qui devait secrètement finir la commande en remplacement du compositeur, Giuseppe Tadolini, Rossini reprend possession de son manuscrit original et achève enfin le cycle, en 1841. Remarquable de lumière et de sensualité, d’une inspiration idéale, l’écriture du Maître de Pesaro subjugue toujours autant, lors de sa création assez agitée de janvier 1842. “C’est inconcevable ! Il n’en finira donc jamais d’être à la mode !” s’écrira alors un certain Valentino, en réalité Richard Wagner lui-même, jaloux du génie rossinien. Même usé, celui qu’on a dit fini donne une leçon de lyrisme ardent, tendu, élégiaque et racé. Une claque pour tout le milieu musical des années 1840…
Et c’est donc en mettant à l’affiche ce chef d’oeuvre de la musique sacrée que le Festival de Radio France Montpellier Occitanie poursuit son édition 2024, avec les Forces vives de l’Opéra de Montpellier (Choeur et Orchestre), renforcées par les Choeurs du Théâtre du Capitole de Toulouse, tous placés sous la direction de la jeune et brillante cheffe italienne Clelia Cafiero. Après nous avoir récemment enthousiasmés à Angers dans Tosca, cette cheffe est assurément un talent à suivre, aux côtés de sa compatriote Speranza Scappucci, à laquelle elle fait penser pour sa maîtrise orchestrale. La vision qu’elle impose du Stabat Mater de Rossini, expressive et contrastée, nourrie de son expérience de cheffe de chant à La Scala de Milan, soulève l’auditeur par sa puissance et sa hauteur d’inspiration. Soutenue par un sens aigu de la dynamique et une attention portée au moindre détail orchestral, sa direction nous révèle l’œuvre dans sa double dimension opératique et religieuse, le dramatisme exacerbé de cette lecture semblant, par moments, déjà annoncer le Requiem de Verdi. Un grand bravo à elle !
La soprano star Pretty Yende a offert au public montpelliérain le chant rayonnant qu’on lui connaît, faisant fi des écarts meurtriers que lui a réservé ce diable de Rossini, avec une voix d’une superbe rondeur et des aigus séraphiques. Dans les ensembles et les duos, sa voix se marie idéalement avec celle de la mezzo française Gaëlle Arquez, dont le timbre s’épanouit avec bonheur dans son air solo “Fac ut portem Christi”. Le jeune ténor allemand Magnus Dietrich (en troupe à l’Oper Frankfurt) possède une jolie voix mozartienne, propre et sûre, mais il ne fait jamais passer le frisson à cause d’un manque de projection et d’ampleur lié à sa tessiture (on préfère de loin entendre un ténor lyrique dans cette partie…). Quant au vétéran italien Michele Pertusi, malgré quelques traces d’usure, il s’impose néanmoins pleinement, avec sa splendide voix de basse, profonde et puissante, toujours parfaitement souple.
Enfin, avec des interventions nombreuses et souvent spectaculaires, les Chœurs conjugués des Opéras de Montpellier et Toulouse se couvrent de gloire, se montrant absolument fantastiques dans leur morceau a cappella, le petit plus résidant dans la consonne finale longuement tenue, bouche fermée, du mot “Complaceam”. Du très grand art… et donc bravo à eux aussi :
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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 39ème Festival Radio France Occitanie Montpellier, le 17 juillet 2024. ROSSINI : Stabat Mater. P. Yende, G. Arquez, M. Dietrich, M. Pertusi. Choeurs des Opéras Nationaux de Toulouse et Montpellier / Orchestre National Montpellier Occitanie / Clelia Cafiero (direction). Photos (c) Marc Ginot.
VIDEO : Antonio Papano dirige le « Stabat Mater » de Rossini au Proms de Londres