En Angleterre, l’été arrive plus tard mais les festivals lyriques commencent plus tôt, dès début juin, à l’instar du plus fameux d’entre eux : le Festival de Glyndebourne. Mais c’est sur les festivals lyriques de Longborough et de Garsington que nous avons décidé de nous concentrer cette année (en attendant les festivals de Buxton et de Grange Park l’été prochain…), et nous commencerons notre première recension lyrico-bucolico-anglaise par l’enthousiasmante (les anglais diraient “thrilling”) production de Die Walküre de Richard Wagner à laquelle nous avons eu la chance d’assister, au Festival de Longborough, situé dans les Costwolds, ravissantes collines préservées et verdoyantes à souhait, à mi chemin d’Oxford et de Gloucester – où un festival lyrique est né en 1991. Les propriétaires d’un cottage ont commencé par accueillir des concerts chambristes dans leur salon puis, dans les années quatre-vingt-dix, ils convertirent une grange en théâtre, qu’ils rendirent plus confortables par la suite grâce à des fauteuils offerts par la Royal Opera House de Londres à l’occasion de ses travaux de restauration.
Le succès de l’initiative s’est confirmé d’année en année, jusqu’à décupler son public. Bien qu’ayant présenté les grandes pages du répertoire, le Longborough Festival Opera, entièrement réalisé sur des fonds privés, s’est au fil du temps entiché des opéras de Richard Wagner. L’été 2007 fut marqué par la présentation de Das Rheingold, suivi par Die Walküre en 2010, Siegfried en 2011, et enfin Götterdämmerung en 2012. Et en 2024, c’est trois cycles d’un Ring complet que le festival offraient – plus deux représentations supplémentaires de Die Walküre, les 12 et 14 juillet, et nous nous avons ainsi pu assisté à la dernière représentation wagnérienne du festival (qui mettra plus tard à son affiche, du 27 juillet au 6 août, La Bohème de Puccini).
Étrennée in loco en 2021, la mise en scène d’Amy Lane est on ne peut plus simple et fidèle au livret, s’adaptant également, il est vrai, aux contraintes du lieu, avec un plateau peu large et profond, mais qui permet une proximité avec le public tout à fait idéale, qui fait que les spectateurs sont comme plongés dans le drame wagnérien. La scénographie de Rhiannon Newman Brown présente un demi-cercle avec des marches qui permettent d’accéder à sa partie supérieure, tandis qu’à cour trône un frêne plus vraie que nature dans lequel est plongée la fameuse épée “Nothung”. Avec une direction d’acteurs discrète mais néanmoins efficace, le spectacle repose beaucoup sur les éclairages toujours changeants (et parfois spectaculaires) de Charlie Morgan Jones, couplés avec les vidéos (la plupart du temps “naturalistes”) de Tim Baxter qui s’incrustent à un rythme soutenu sur la partie médiane du fond de scène. Dans les moments les plus dramatiques, des projecteurs diffusent une lumière blanche et rougeâtre, inondant jusqu’à la salle, la scène finale embrasant tout l’espace, au terme de bouleversants adieux entre Wotan et Brünnhilde.
La révélation vocale de la soirée est sans conteste la soprano Eleanor Dennis, qui – non contente de sauver le spectacle in extremis en remplaçant au pied levé (et donc en chantant à jardin le personnage de Sieglinde, tandis qu’une actrice mime le rôle sur scène…) sa collègue – possède par ailleurs toutes les qualités de déclamation et d’expressivité dans l’accent exigées par le personnage, avec un timbre rayonnant et chaleureux. Le ténor Mark Le Brocq incarne un Siegmund tout à fait crédible, avec un aigu qui sonne avec tout l’éclat requis (mais inversement quelque peu avare en piani…), en plus d’une incarnation vibrante qui emporte l’adhésion. Paul Carey Jones campe un Wotan impérieux et sonore, et pourtant au fur et à mesure de l’action de moins en moins sûr de sa puissance, au point d’être progressivement mis littéralement à genoux dans une scène très forte symboliquement parlant. Lee Bisset offre une Brünnhilde à l’aigu un peu tendu et strident, mais au phrasé incisif et au médium d’un beau volume, face à la Fricka mémorable de Madeleine Shaw, au volume sonore impressionnant, aussi fière qu’arrogante autant dans le ton que dans son jeu. Enfin, Julian Close incarne un Hunding tout d’une pièce et très menaçant, avec une voix dont on goûte la noirceur de timbre tout autant que la beauté de la ligne de chant. De leurs côtés, les huit Walkyries retenues offrent un ensemble particulièrement homogène, qui ne manquent pas de faire sensation dans la célèbre “Chevauchée des Walkyries”.
De son côté, l’Orchestre du Festival de Longborough n’est peut-être pas toujours un modèle de précision, ni ne distille le plus beau son qui soit, mais son chef Anthony Negus (également directeur artistique de la manifestation anglaise) en tire pourtant le meilleur au fil d’une lecture à la fois lyrique et intimiste, aux tempi bien équilibrés, et aux nuances clairement marquées.
Un festival attachant et de grande qualité artistique, dans un cadre naturel tout simplement exquis… où l’on aura grand plaisir à revenir !
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CRITIQUE, festival. LONGBOROUGH Opera Festival, le 14 juillet 2024. WAGNER : Die Walküre. Lee Bisset, Paul Carey Jones, Eleanor Dennis, Mark Le Brocq… Amy Lane / Anthony Negus. Photos (c) Matthew Williams-Ellis.
VIDEO : « Die Walküre » selon Amy Lane au Longborough Opera Festival
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