C’est sur deux concerts d’exception que s’est clôturé la 40ème édition du Printemps des Arts de Monte-Carlo, dirigé depuis trois ans par le compositeur français Bruno Mantovani. Pour cette troisième année, il s’explique : “Après l’Arménie et les États-Unis, et face la crise climatique et au renouveau d’une forme d’écologie extrêmement concrète, j’ai également voulu rendre hommage au monde tout entier et ai pensé que le moment était venu de voir comment les musiciens et les artistes se positionnent par rapport à ces questions”. Et c’est le “Chant de la Terre” (Das Lied von der Erde) de Gustav Mahler qui a été retenu comme axe de sa 3ème programmation. Et après la création d’un “nouveau” Chant de la Terre composé par Laurent Cuniot (que nous avons entendu/vu quelques jours après sa création monégasque, à l’Opéra de Massy), et la version (chambriste) avec piano de Reinbert de Leeuw (2019) du chef d’oeuvre de compositeur autrichien, c’est bien logiquement “la version originale” qui était mise à l’affiche pour le WE de clôture de la manifestation monégasque, à l’Auditorium Rainier III, siège de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, bien évidemment dirigé par son directeur musical Kazuki Yamada, et avec comme solistes rien moins que Marie-Nicole Lemieux et Pene Pati !
Elaboré à partir de sept poèmes chinois du VIIe au IXe siècles de notre ère découverts dans le recueil La Flûte chinoise de Hans Bethge, Le Chant de la terre est une véritable symphonie de Lieder pour alto, ténor et orchestre – où Mahler évoque la condition humaine oscillant entre héroïsme et intimité : l’extase et le désespoir, la solitude et la nature, la jeunesse et la beauté, le printemps et enfin l’adieu à l’ami qui s’achève dans un murmure sur le mot “Ewig” (“Pour l’éternité”) répété sept fois…
Entouré de ces deux chanteurs d’exception que sont Lemieux et Pati, que l’on ne présente plus, Kazuki Yamada nous donne à entendre une interprétation chargée d’émotion et, en mahlérien convaincu, conduit ses troupes avec toute l’énergie, le dynamisme et l’élan que requiert la partition, avec également le sentiment d’accéder à l’inexprimable. Les solistes ne sont pas en reste dans cette réussite qui joue avec les sens : le ténor samoan possède une santé vocale éblouissante, avec une voix claire mais puissamment projetée, et un des plus beau timbre de ténor du moment, tandis que “la” Lemieux se montre capable d’apprivoiser un chant luxuriant et généreux accoutumé à Wagner, Verdi et Strauss, pour atteindre une mezza voce qu’elle conduit peu à peu aux limites du silence pour atteindre cette dimension d’éternité dans “L’Adieu” (der Abschied) conclusif que Mahler, pourtant chef d’orchestre hors pair, pensait impossible à diriger. Les longues secondes de silence qui suivent les derniers accords en disent long sur l’émotion qui étreint alors la gorge des auditeurs monégasques, mais c’est pour mieux laisser éclater la joie ensuite, et les rappels s’enchaînent ensuite les uns après les autres !
Mentionnons, en première partie, une exécution de la rare et très belle Musique pour violon et orchestre, op.4 du compositeur allemand Rudi Stephan (1887-1915). David Lefèvre, violon solo supersoliste de l’OMPC (depuis 1999 !) offre – de cet ouvrage qui possède vraiment un éclat et un souffle cinématographique – une lecture profonde et radieuse grâce à un jeu d’une irréprochable justesse d’expression. De son côté, Kazuki Yamada tire beaucoup, mais sans en rajouter, de l’orchestration pleine et colorée de cette œuvre particulièrement généreuse, qui mériterait de figurer plus souvent à l’affiche des salles de concert.
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CRITIQUE, festival. 40ème Printemps des Arts de Monte-Carlo (Salle Rainier III), le 6 avril 2024. MAHLER : Le Chant de la Terre. Pene Pati, Marie-Nicole Lemieux, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Kazuki Yamada (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Hartmunt Haenchen dirige “Le Chant de la Terre” de Mahler au Festival de Saint-Denis