Présenté en création française et européenne cet été dans divers festivals hexagonaux (Vaison Danses, Opéra de Vichy, Sisteron,,…), le nouveau ballet du chorégraphe taiwanais Po-Cheng TSAI (2021), commande du Tanz Luzerner Theater (créé à Taichung en août 2021), accoste à l’Opéra de Massy : le choc visuel et sonore est bien au rendez-vous. L’excellence et l’originalité du spectacle sont dignes des plus grandes scènes internationales et l’on se félicite que l’Opéra de Massy ait l’initiative de sa création francilienne.
La compagnie B.DANCE (créée en 2014, il y a presque 10 ans par Po-Cheng TSAI) a posé les jalons d’un échange culturel entre l’Europe et Taïwan, invitant même les créateurs occidentaux à venir travailler à Taïwan lors d’ateliers créatifs. Ainsi les langages de la danse, traditionnelle asiatique, les arts martiaux, le hip hop, la danse contemporaine se mêlent dans un mixte équilibré et heureux.
Le ballet Alice mêle l’humour, une étonnante sensualité acrobatique des mouvements, la précision millimétrée des gestes, un éclectisme très rythmique… une élégance mesurée, associée à l’énergie kinétique des ensembles,… autant d’éléments habilement combinés qui offrent une bouillonnante relecture du mythe créé par Lewis Carroll. Contrairement à ce qui a été dit, l’enchaînement des tableaux suit le fil narratif du conte, mais ici revisité et réinterprété, ce qui produit la valeur de la chorégraphie entre Asie et Occident.
Po Cheng Tsai revisite Alice
une féerie zen aussi athlétique qu’onirique
La violence reprochée ici et là par divers critiques, est toujours très soft – comparée à d’autres chorégraphes plus directs. La fluidité marine des silhouettes, l’enchainement très graphique des positions des mains dessinent à l’inverse une lecture simultanée aux corps, qui renvoie précisément aux bas reliefs indiens et bouddhiques (le fameux art des mudras), mais aussi, autant à l’art de Nijinsky.
Toutes les scènes d’affrontements sont plus suggérées qu’explicites. Les tableaux collectifs sont structurés par une figure centrale, en noir, avec manteau flottant style Albator, comme l’agent du destin et le guide pour Alice jusqu’à son épreuve finale (serait-il alors le Chapelier fou obnubilé par la partie de thé ?) : le danseur Hsing Tseng, du fait de sa grande taille qui l’apparente au Commandeur, par la souplesse étonnante de sa performance, se distingue dans toutes les séquences où la Compagnie est au complet (13 danseurs).
Le lapin (Li-An Lo, tout en fluidité) est un elfe au masque diamanté et aux somptueuses plumes effilées : toute la posture, les mimiques, la suractivité expriment le stress amusé de l’animal pressé.
Alice elle-même souvent à quatre pattes, avec son bonnet blanc ressemble à un bébé baigneur encore mal dégrossi mais dont les socquettes blanches renvoient aussi au fantasme japonais de la collégienne ; le chorégraphe combine symboles et références avec facétie.
A travers l’action de la petite fille, c’est le monde de l’enfance, sa capacité à s’émerveiller et à basculer dans le songe animé qui prend forme, avec les thèmes du miroir et du double ; dans cette course inexorable, aux séquences parfaitement structurées, les personnages en blanc et noir, revêtent une fonction à la fois initiatique et cathartique ; car au final, Alice petite fille prend conscience d’elle-même et de sa « normalité » ; à l’issue de cette course échevelée, où l’excès règne à travers les personnages tous caricaturaux, Alice rencontre sa propre image mais inversée (en rouge, comme le négatif de sa robe et de sa coiffe blanches) ; c’est la figure féminine de plus en plus présente voire agressive et qui paraît à la fin, royale (associée aux chapeaux rouges laqués)… en Reine de cœur, hautaine, implacable, et finalement vaincue. Le dernier tableau indique clairement la transformation qui s’est produite : Alice debout, a mûri ; elle peut courir bras dessus bras dessous avec le lapin agile.
Saluons l’Opéra de Massy de programmer ainsi un ballet parmi les plus innovants. C’est d’ailleurs après les premières dates de cet été, un spectacle qui les 17 et 18 nov aura réalisé la création francilienne de la pièce. Moins surréaliste qu’onirique, servie par une bande son hypnotique (signée du compositeur familier et complice Rockid Lee), Alice fusionne l’esprit Zen de l’épure et la motricité électrique d’une vision très rythmique et acrobatique accordée à une esthétique ultra élégante. Alice est l’un des ballets les plus envoûtants présentés depuis ces 5 dernières années. On comprend dès lors que le magazine allemand Tanz ait reconnu en Po Cheng Tsai, l’un des jeunes chorégraphes les plus prometteurs de la scène actuelle, en 2017 et 2018. Le ballet de 2021 ne dément en rien cette distinction.
La Reine de cœur et les chapeaux rouges (DR)
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CRITIQUE, danse. MASSY, Opéra, le 18 nov 2023. ALICE. B DANCE, Po Cheng Tsai (création francilienne). Danseurs de la tournée 2023 – 2024 : Chien-Chih Chang, Ho-Chien Chang, Li-An Lo, Ming-Hsuan Liu, Chen-Ning Chang, Yu Chang, Ming-Fen Wu, Yi-Ying Chao, Chieh-Wen Liu, I-Ling Lin, Hsing Tseng, Yu-Hung Wang, Hsin Chieh Chou, Wen-Yu Tseng, Meng-Hsueh Ho, Chao-Sheng Ho, Yen-Ling Yi, Shu-Han Yeh.
En tournée à partir du 17 novembre 2023, notamment les 21 (Compiègne), 28 novembre au Festival de danse de Cannes… puis en décembre en Suisse (Fribourg, le 14 / Vevey, le 17)… En France à nouveau, à Sceaux (les 20 et 21 déc), à Créteil (les 6 et 7 fév 2024), Annemasse (les 14 et 15 fév 2024)…
Prochain ballet à l’Opéra de Massy
Prochain ballet à l’Opéra de Massy : le 28 nov 2023 TRISHA BROWN DANCE COMPANY / Working Title / For M.G. : The Movie / Création (Noé Soulier) : https://www.opera-massy.com/fr/trisha-brown-dance-company.html?cmp_id=77&news_id=988&vID=3
VIDÉO : B DANCE sur vimeo : https://vimeo.com/bdancetw
PLUS D’INFOS sur la compagnie B DANCE et sur son chorégraphe et directeur artistique Po Cheng Tsai :
https://www.bdance.com.tw/about
Lien direct vers la page ALICE sur le site B DANCE :
https://www.bdance.com.tw/project/76
