Quel choc ! Quelle immersion ! La création Crowd#2, présentée hier soir en première à l’Opéra d’Anvers (la pièce avait été présentée quelques jours plus tôt à l’Opéra de Gand), n’était pas simplement un spectacle, c’était une expérience sensorielle et temporelle absolument envoûtante. Gisèle Vienne, cette visionnaire franco-autrichienne, a une fois de plus repoussé les limites de la scène, et voir sa pièce phare Crowd renaître sous le signe du #2, interprétée magistralement par le Ballet de l’Opéra des Flandres, restera dans les annales de la maison flamande !
Imaginez : un terrain vague poussiéreux, jonché des vestiges d’une fête qui vibre encore dans l’air. C’est sur ce décor évocateur, véritable galerie de portraits d’une génération, que se déploie la magie de Crowd#2. Chaque danseur, d’une présence charismatique et unique, incarne un personnage, une histoire, un fragment de cette contre-culture techno underground du Berlin des années 1990 que la pièce célèbre avec une intensité rare.
Et quelle bande-son ! Un bain sonore envoûtant qui traverse l’histoire de la musique électronique, avec un hommage appuyé et puissant à la techno de Detroit et au collectif mythique Underground Resistance. Les noms qui résonnent – Jeff Mills, Drexciya, The Martian, Manuel Göttsching… – ne sont pas de simples accompagnements, ils sont les pulsations cardiaques de cette œuvre, parfaitement maîtrisées dans leur diffusion par Adrien Michel et dans leur montage par Peter Rehberg et Vienne elle-même.
Mais le véritable tour de force réside dans la chorégraphie. Vienne, avec ses collaborateurs Sophie Demeyer, Theo Livesey, Vincent Dupuy, Katia Petrowick et Martha Rodezno, a sculpté le mouvement pour en faire bien plus qu’une danse. Les corps deviennent des marqueurs temporels. Mouvements ralentis à l’extrême, saccades brusques, arrêts figés, boucles hypnotiques : cette composition minutieuse déploie sous nos yeux une densité extraordinaire du temps présent. Passé, présent, mémoire en construction, futur anticipé – tout se télescope, se superpose, créant des images d’une puissance visuelle étourdissante. On observe, fasciné, l’agencement sans cesse recomposé des corps, questionnant profondément comment nos émotions déforment et colorent notre perception du réel et du temps qui passe.Les lumières (signées Patrick Riou et Samuel Dosière) sculpte cet univers avec une précision d’horloger, épousant chaque ralenti, chaque rupture. Les costumes, co-créés par Vienne, Camille Queval et les interprètes eux-mêmes, ancrent chaque personnage dans son individualité et son époque fantasmée.
Crowd#2 est bien plus qu’un hommage à une époque révolue. C’est un vibrant manifeste pour les espaces de contre-culture vitaux, ces laboratoires où, hier comme aujourd’hui, s’inventent frénétiquement d’autres manières d’être, de ressentir, de résister ensemble. C’est une célébration de la communauté, de la transe collective, mais aussi de l’individualité qui s’y exprime. Voir les Danseurs de l’OBV s’approprier avec une telle justesse et une telle énergie cette œuvre complexe, fruit d’un long processus de création avec Vienne, est un pur bonheur. Ils incarnent chaque instant, chaque émotion subtile, avec une authenticité qui donne des frissons.
À voir absolument avant le 28 juin !…
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CRITIQUE, danse. ANVERS, Opera Ballet Vlaanderen, le 21 juin 2025. Gisèle VIENNE : Crowed#2 (par le Ballet de l’Opéra des Flandres). Crédit photo © Droits réservés