Moins de deux mois après avoir dirigé une Deuxième Symphonie (dite “Résurrection”) de Gustav Mahler qui restera dans la mémoire de ceux qui ont eu la chance d’y assister, le jeune prodige finlandais Tarmo Peltokoski est de retour dans les murs de la Halle aux grains à la tête de “son” Orchestre National du Capitole de Toulouse, dans un programme plus varié, mettant à l’honneur Tchaïkovski, Berg et Schoenberg, avec comme soliste le chef d’attaque de la phalange toulousaine, le violoniste albanais Kristi Gjezi.
Et avec lui que débute la soirée, pour une exécution du fameux Concerto pour violon en Ré majeur de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Une fois encore, le magnifique ouvrage que le maître russe composa à l’âge de 38 ans, inspire la pénétrante interprétation du toujours très convaincant Premier violon supersoliste de l’ONCT qu’est Kristi Gjezi. Artiste virtuose, il se montre étincelant et, sous son archet, l’on ressent à la fois les influences occidentales (Schumann, Beethoven) et russes (Glinka, le folklore, l’âme russe) de Tchaïkovski. La difficile gestion des conflits personnels profonds de Tchaïkovski se fondent et s’entre-enrichissent ici pour concevoir une très intéressante lecture de l’œuvre. À la fois virtuose, inspiré et pénétrant, le violon de Gjezi plonge dans une conception romantique dénuée de pathos, mais de toute beauté et de juste introspection. De son côté, sous la gestique toujours aussi chaloupée et fascinante du jeune Peltokoski, la phalange toulousaine s’avère, comme à son excellente habitude, d’une superbe tenue, et accentue, avec talent et nuances, la richesse et la puissance d’une partition tantôt émouvante tantôt épique. Malgré les nombreux rappels, le public n’obtiendra pas de bis…
Après l’entracte, c’est à la rare transcription pour orchestre de la Sonate pour piano d’Alban Berg (par Theo Verbey) qui est donnée à entendre, où l’orchestre conjugue précision dans l’étagement des plans sonores et grands élans post-romantiques. Mais c’est la pièce d’après que le public attendait surtout (à commencer par votre serviteur…), la sublime “Nuit transfigurée” d’Arnold Schoenberg, un des chefs-d’œuvres absolus de tout le XXe siècle. La Nuit transfigurée de Schoenberg sonne comme un hymne hédoniste à l’intelligence et la beauté dans une relation fusionnelle. Ce mouvement unique emporte immanquablement le public dans les émotions vertigineuses des poèmes si morbides et sublimes de Richard Dehmel, “Die Verklärte Nacht”. Sous la vigilance de chaque instant de Peltokoski, la perfection technique de l’orchestre toulousain est mise au service d’une interprétation tenue et impressionnante qui recrée l’émotion par l’admiration. L’écoute et la fusion des timbres est celle de vrais musiciens de chambre et l’ampleur des sonorités de chaque pupitre est bien digne des plus grandes formations symphoniques européennes. Des qualités qui semblent pourtant opposées sont ici entremêlées dans un véritable vertige, et c’est un triomphe d’applaudissements que le public adresse à son orchestre bien aimé… Heureux toulousains !
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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle aux grains, le 23 novembre 2024. TCHAÏKOVSKY / BERG / SCHOENBERG. Orchestre National du Capitole de Toulouse, Kristi Gjezi (violon), Tarmo Peltokoski (direction). Toutes les photos © Mirco Magliocca
VIDEO : Kristi Giezi interprète le Concerto pour violon de Tchaïkovski