Cet après-midi les cordes de l’Orchestre Lamoureux font vibrer l’écrin acoustique de la salle Cortot [parfaitement dimensionnée pour l’occasion et pour l’effectif réuni sur scène], dans un programme intitulé » dans le style ancien » ; l’enchaînement des œuvres déroule en réalité, un festival de défis continus pour les cordes seules, appelées à déployer et faire chanter toutes les nuances et les couleurs de chaque partitions.
D’emblée les instrumentistes sous la houlette du violoniste (et conseiller artistique de l’Orchestre), Hugues Borsarello conduisent l’auditeur dans la narration prenante de Grieg [suite pour cordes « du temps de Holberg »] dont de fait la Suite de danses, nourrit une sonorité chaude et active, comme traversée par les éléments de la nature nordique. On y détecte la même architecture à la fois aérée et passionnée que dans Peer Gynt ; sa tendresse tragique, un flux narratif aussi très bien calibré qui inscrit l’énoncé collectif dans une atmosphère de légende.
Puis Hugues Borsarello se lève et se tient debout au centre de la scène face au public pour le Kreisler, tout aussi fin et ardent, et porté par un souffle et une ampleur immédiats. La complicité entre l’orchestre et le soliste édifient à chaque reprise une cathédrale à la fois tendue et lumineuse, exigeant du soliste, agilité, longueur et finesse de son.
Évidemment le violoniste Fritz Kreisler pastiche le geste démiurgique des grands virtuoses du XIXème, dans le sillon d’un Paganini et d’un Ernst, tous deux rivaux partageant la quête d’une virtuosité transcendante ; le « Prélude et Allegro » d’un Kreisler qui imite idéalement les grands Baroques tardifs (la pièce fut même attribuée à Gaetano Pugnani), semble comme traversé par une vision brûlante et céleste dont les musiciens rendent palpable l’élan ascensionnel irrépressible.
Plus surprenante est la Chaconne de Vitali, œuvre ample elle aussi et développée où les musiciens savent dans ce balancement si caractéristique de la source baroque [lullyste], négocier entre densité, allant, transparence.
Puis le collectif retrouve une parure orchestrale dense et aérée dans les presque 20 mn que compte la « Simple Symphony » de Britten. Comme la suite de Grieg, la courte symphonie du Britannique enchaîne quatre mouvements de danses néo baroques, chacun avec nerf et caractère. Sa simplicité et son sens des caractères, son flux pour les cordes seules assurent à la partition une séduction immédiate. Cette évidence dans l’écriture est propre au compositeur âgé de 20 ans, encore étudiant au Royal college of Music et qui vient de découvrir ébloui l’œuvre orchestrale de Frank Bridge qui fut aussi son professeur.
La première danse « Boisterous Bourrée » (Presto) déploie un contrepoint très baroque tardif, dans l’esprit d’une fête galante avant le final, clairement facétieux. Britten admire les anciens dont il tire sa propre matière rythmique et poétique, ce qu’expriment parfaitement les instrumentistes. Leur maîtrise des pizzicati dansants dans le » Scherzo » [Playful Pizzicato / Allegro] convainc particulièrement. C’est une claire référence à l’hyperactivité virtuose vivaldienne, et le moyen assez spectaculaire laissé aux instrumentistes de faire chanter leur instruments sans leurs archets.
Plus introspective [et plus longue que les autres mouvements], la Sarabande [Poco lento] recycle un air antérieur pour piano que Britten a probablement composé 10 ans auparavant. Les musiciens en soulignent allusivement la référence presque directe à la Suite n°11 en ré mineur de Haendel [et sa citation inoubliable dans le film de Kubrick, « Barry Lyndon »], sa gravité et même sa douleur profonde qui renoue aussi avec le sentiment du dénuement et des vanités, propre au génie britannique du XVIIe : Purcell soi-même. Enfin apothéose finale bienvenue, » Frolicsome Finale » (Prestissimo) offre la plus belle des conclusions collectives : lumineuse et frénétiquement contrastée, la séquence finale réactive les facéties du viennois Haydn, dans des écarts expressifs empruntés à CPE BACH et le style Sturm und drang le plus impérieux …. C’est aussi toute l’énergie juvénile de BRITTEN qui semble avoir enfin le dernier mot.
Beau contraste avec la pièce finale d’une exquise délicatesse, signée de Lili Boulanger (Prix de Rome, 1913), génie juvénile elle aussi, mais fauchée à 23 ans [1918] et dont la puissance profonde et poétique se déploie dans le court et très suggestif « D’un matin de printemps » [pendant « D’un soir triste » avec lequel la pièce fonctionne comme un diptyque]. Le traitement des masses, la prodigieuse texture des timbres, d’une sensualité mystérieuse, toujours scintillante et suggestive comme alanguie et irrésolue, l’intelligence de l’orchestration qui est proche d’un Roussel et d’un Ravel, s’expriment sans contrainte avec ce souci des harmonies si subtiles [post wagnériennes, post franckistes] qui est la marque d’une compositrice étonnamment mûre et juste, malgré son jeune âge. Dans le scintillement des cordes, enfle une volupté inquiète que les musiciens font jaillir avec sensibilité.
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CRITIQUE, concert. PARIS, salle Cortot, le 30 mars. » Dans le style ancien », GRIEG, KREISLER, VITALI, BRITTEN, LILI BOULANGER… Orchestre Lamoureux, Hugues Borsarello, premier violon.
Photo © classiquenews mars 2025
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programme
Edvard Grieg,
Du Temps de Holberg, suite pour cordes
Fritz Kreisler
Prélude et Allegro, dans le style de Pugnani
Tomaso Antonio Vitali
Chaconne
Benjamin Britten
Simple Symphony
Lili Boulanger
D’un matin de printemps