Demi-finaliste au dernier concours Chopin de Varsovie (2021), Hayato Sumino est plus largement connu sur YouTube sous le pseudonyme de Cateen. Celui qui a cartonné (et cartonne toujours) avec ses variations sur « Ah ! Vous dirai-je, maman » de Mozart est un phénomène qui représente si bien la nouvelle génération d’interprètes. En effet, il transcende les genres à partir du moment où ceux-ci correspondent au mode d’expression le plus adapté. Ainsi, parallèlement à une carrière de musicien classique, Hayato Sumino n’hésite pas à se produire dans des sessions de Jazz, il joue d’ailleurs souvent avec Francesco Tristano, lui aussi musicien hybride, sur des claviers acoustiques et/ou électroniques.
Le programme de l’unique récital parisien du pianiste japonais, le 11 décembre, à La Scala Paris, reflète cette démarche, mais également son souci de faire vivre la musique du passé dans le présent. Pour ce faire, il a toujours au moins deux pianos sur scène : un piano de concert, en l’occurrence un Steinway B, et un piano droit préparé pour obtenir un son plus étouffé. Il peut éventuellement y avoir un troisième clavier, souvent électronique, mais ce soir-là, deux pianos acoustiques suffisaient.
Il commence par deux œuvres virtuoses de Chopin, le Scherzo n° 1 en si mineur et le Nocturne en ut mineur op. 48 n° 1. La sonorisation, légère mais clairement perceptible, pour des effets spécifiques dans l’interprétation de ses propres compositions qui vont suivre, compresse le son et l’instrument perd son ampleur. Dès lors, dans le Scherzo, tout est trop sec dans le premier accord, puis dans le déferlement d’arpèges qu’on aimerait entendre tour à tour plus poignant et fiévreusement pathétique. De la même manière, la Nocturne n’exprime pas cette lueur d’espoir dans une douleur désespérée. Pourtant, notre pianiste a pleinement la capacité de faire part de sentiments romantiques chopiniens…
En écho avec ce Nocturne, Sumino joue trois Nocturnes qu’il a composés lui-même, sur le piano droit qui donne donc un son étrange et onirique. Dans le style de musique de film ou de dessin animé, un peu à la manière de Joe Hisaishi, ils sont agréables à écouter. Puis, nous assistons à un grand saut dans le temps, avec la Partita n° 2 de Bach où il fait preuve de grande clarté dans les plans sonores, grâce à des notes tantôt détachées, tantôt reliées, avec à la fois une légèreté et une gravité bien dosées. Ici, quelques ornements discrets viennent nourrir le propos, et là un jeu legato revêt le phrasé d’une grande élégance.
La deuxième partie commence par deux pièces, justement de Joe Hisaishi (dont un extrait du dernier film de Hayao Miyazaki, Le Garçon et le Héron), avant de s’enchaîner à trois des huit Etudes de concert op. 40 de Nikolaï Kapoustine. Avec le rythme latin de la première étude, la grille de jazz transparente de la deuxième, et l’influence nette du jazz-rock sur la troisième, le sens rythmique exceptionnel de Sumino se déploie ici avec bonheur. La sonorisation est désormais presque inaudible, et l’on peut apprécier la résonance de son Steinway. Il continue avec ses compositions, cette fois-ci dans un style plus romantique, avec des motifs empruntés à Chopin ; le programme indique d’ailleurs en anglais « Pieces of Chopin’s Recompositions ». New Birth reprend la formule arpégée de l’Étude op. 10-1, Recollection, le thème de la Deuxième Ballade et un très bref passage dansant d’une Mazurka.
Pour terminer le récital, il enflamme la salle avec son arrangement du Boléro de Ravel, commencé sur deux pianos, la main gauche sur le piano droit pour les notes répétées de caisse claire – bientôt partagées par les deux mains sur le seul Steinway -, et la main droite sur le piano à queue pour les thèmes. L’arrangement est ingénieux et inventif, toutes les notes de tous les instruments d’orchestre s’entendent clairement, montrant éloquemment son talent de compositeur-arrangeur. Quelques bis concluent la soirée, dont une autre Étude de Kapoustine et surtout son « tube » de Ah ! Vous dirais-je, Maman où il développe plus amplement la mélodie enfantine, dans les style de jazz, de ragtime, avec un contre-chant virtuose de basse à l’octave, et également avec la reprise des arpèges à la main droite de l’Etude op. 25-11 de Chopin…
La soirée continue encore longtemps dans le Hall de La Scala où ses fans s’amassent autour de lui pour des photos et des autographes !
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CRITIQUE, concert. PARIS, La Scala Paris, le 11 décembre 2023. CHOPIN / BACH / KAPOUSTINE / SUMINO / HISAISHI. Hayato Sumino (piano). Photos (c) DR
VIDEO : Hayato Sumino joue le 3ème mouvement du Concerto pour piano de Gershwin