vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, concert. NICE, Théâtre National de Nice, le 26 mars 2025. BOULEZ : Sonatine pour flûte et piano, Dérives 1 et 2. Ensemble Orchestral Contemporain, Bruno Mantovani (direction)

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André Peyrègne
André Peyrègne
André PEYREGNE est Président d’honneur de la Fédération Française d’Enseignement Artistique, Chroniqueur en Histoire et Musique de Nice-Matin, Collaborateur de Radio France et France Télévision et Ecrivain (son dernier livre paru : « Petites histoires de la grande musique » / Editions Desclée de Brouwer)

Ça y est, on y est arrivé au 26 mars tant attendu de la commémoration des cent ans de Pierre Boulez ! Du coup, par nécessité ou par choix, un certain nombre de célébrations ont eu lieu en France. On s’est réuni en petits cénacles ou en grandes assemblées. Des journalistes en mal d’érudition ont tenu des propos savants ou abscons – dont ils ne comprenaient forcément pas le sens…

 

Mais une chose est sûre : l’un des concerts les plus exaltants a eu lieu à Nice avec les Dérives 1 et 2 sous l’admirable direction de Bruno Mantovani. Une vraie jubilation boulézienne ! Le concert s’est déroulé dans le cadre du Printemps des Arts de Monte-Carlo, délocalisé à Nice. Il a été donné entre les murs de pierre nue de l’ancienne église des Franciscains, transformée en Théâtre National de Nice. Salle comble. La Côte d’Azur a ses fervents bouléziens.

Le programme jalonnait en trois œuvres la chronologie boulézienne : Sonatine pour flûte et piano, puis Dérives 1 et 2. Dans la Sonatine à l’écriture déchirée, dans la droite ligne de l’esthétique sérielle, on sent à plusieurs moments une nostalgie des formules mélodiques. La tentation du lyrisme n’est pas loin. Puis les stridences de la flûte reprennent leurs droits, auxquelles répondent les fulgurances du piano. A un moment, celui-ci n’hésite pas à jouer des coudes et prendre la vedette en un violent solo. L’œuvre fut composée pour Jean-Pierre Rampal qui ne la joua pas (ce fut la même chose, en son temps, avec le violoniste Kreisler dont la célébrité tient à une sonate de Beethoven… qu’il a refusé de jouer !).

On peut affirmer que cette Sonatine a été admirablement vengée, l’autre soir, par le flûtiste Fabrice Jünger, accompagné par le pianiste Benjamin d’Anfray. Dérive 2 était la pièce maîtresse du concert – une effervescence musicale ininterrompue de cinquante minutes, une éruption volcanique de notes sur le magma desquelles l’auditeur est ballotté comme une barque sur l’océan (pour prendre un comparaison ravélienne). L’œuvre est composée pour onze instruments : cordes, harpe, cor et bois (dont un cor anglais très présent), percussions à clavier, et piano. Dans une succession de séquences vif-lent-vif, ces instruments s’interpellent, s’invectivent, se répondent, se juxtaposent ou se superposent, procédant par tuilage, glissement, déphasage. Il faut se laisser aller à l’écoute. C’est du beau, du grand Boulez (tout Boulez ne mérite pas telle appréciation !…)

Admirable fut la direction de Bruno Mantovani. Il est chez lui dans cette musique. Il en assume avec une époustouflante maîtrise les constants changements de mesure et de tempo, et les départs d’instruments tous azimuts. Il faut avoir une rigueur d’ordinateur pour diriger cette œuvre. La moindre déconcentration de la part du chef et c’est un déraillement collectif. Bruno Mantovani eut cette rigueur – mais avec en plus un frémissement humain qui alimentait la vibration de la musique.

On admira l’imperturbable concentration des musiciens de l’Ensemble Orchestral Contemporain. On peut vous l’affirmer : dans cette interprétation… personne n’était à la dérive !

 

 

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CRITIQUE, concert. NICE, Théâtre National de Nice, le 26 mars 2025. BOULEZ : Dérive 1 et 2. Ensemble Orchestral Contemporain, Bruno Mantovani (direction). Crédit photo (c) André Peyrègne

 

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