dimanche 16 mars 2025

CRITIQUE, concert. NANTES, La Cité des Congrés, le 2 avril 2024. BEETHOVEN / SIBELIUS. Orchestre National des Pays de la Loire / Leif Ove Andsnes (piano), Eivind Gullberg Jensen (direction).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

C’est à une soirée placée sous le signe de la Scandinavie que l’Orchestre National des Pays de la Loire convie son fidèle public de mélomanes nantais, dans l’écrin de son siège historique de la Cité des Congrès de Nantes – avant de donner le même concert à Angers (les 4&7), et Cholet (le 6). En effet, tant le choix des oeuvres que celui des artistes réunis ce soir ont trait à cette partie septentrionale de l’Europe, avec d’abord une courte pièce (« Nachruf« ) du compositeur norvégien Arne Nordheim (1931-2010), donnée en tour de chauffe, sauf que la pièce affiche une tristesse absolue, sous la forme d’une longue plainte désolée que l’on peut affilier au dernier mouvement de la 9ème Symphonie de Mahler, et remarquablement dirigé par son compatriote Eivind Gullberg Jensen, le grand chef norvégien. Il est d’ailleurs rejoint juste après par un autre compatriote, le pianiste star Leif Ove Andnses, pour une exécution du célébrissime 5ème Concerto pour piano (dit “L’Empereur”) de Ludwig van Beethoven, seule “incartade” à cette soirée “nordique”. 

 

 

La dénomination grandiloquente de ce concerto en a fait, aux cours de sa carrière, une œuvre emblématique pratiquement incontournable de la démonstration ardente du déclamatoire fait piano. Mais le pianiste norvégien semble ici vouloir tourner le dos à ce “cliché” facile et devenu traditionnel pour donner une lecture plus poétique, plus intérieure de l’œuvre de Maître de Bonn. Chassées les lourdeurs appuyées, estompées les attaques martelées, reléguées les découpes hachées. Dans sa conception, il met en avant le lyrisme, le legato donnant à son discours musical une finesse, une clarté, une poésie jusqu’ici rarement entendue dans ce concerto.  A la tête d’un ONPL dans une forme olympique, le chef apparaît visiblement conquis et en phase avec la personnalité charismatique et le jeu poétique du pianiste, lui laissant le soin de modeler les nuances de son orchestre. Avec une grande et belle écoute, le chef se borne surtout à colorer la phalange nantaise en la conduisant vers le chant du piano dans de subtils diminuendi pour ne pas briser la ligne mélodique. 

En seconde partie de soirée, place à la finalement assez rare Première Symphonie de Jean Sibelius (1865-1957). L’opus 39 de Sibelius est l’oeuvre d’un jeune compositeur de 34 ans qui achève son premier opus symphonique début 1899, suscitant une admiration telle qu’il obtient une rente de l’état finnois à vie. Déjà dans la forme classique de ce premier coup de génie, s’affirment des ruptures de ton, des éclairs romantiques fulgurants qui bousculent l’écoulement tranquille. Déja dans l’Adagio initial (premier volet du mouvement I, précédant l’Allegro energico), l’ONPL fait valoir de superbes effets de timbres, emblèmes d’une orchestration raffinée et puissante. Au tout début de la Symphonie, la clarinette, au tragique pastorale, d’une intense dignité, chante les souffrances et l’éternité inatteignable de la Nature. Le chef creuse tout ce qui rend à cette partition princeps, sa profondeur et son introspection : cordes exaltées, bois parfois âpres (bassons), tutti tendus, vitalité ardente… Eivind Gullberg Jensen prend à bras le corps l’activité primitive des éléments qui semblent traverser les pupitres en élans faussement incontrôlés. L’Andante (« ma non troppo lento« ) est articulé avec une rondeur mordante, une belle sincérité qui vient elle aussi des replis du cœur, telle une chanson ancienne qui fait vibrer le sentiment d’une nature enchantée. Ce qui est le plus prenant ici, c’est le sentiment d’une tragédie en cours, celle d’une nature sacrifiée et pourtant d’une ineffable beauté. Cette vision, tragique et épique, prend corps dans les fabuleux arpèges des cordes, bouillonnants et éperdus à la fois. Le Scherzo est abordé pour ce qu’il est : une scansion et une frénésie superbement mécanique, dont la verdeur ici captive. Enfin, à la façon d’une rhapsodie (« quasi una fantasia »), le Finale en mi mineur cumule les contrastes de rythmes et de caractères avec une irrépressible énergie, celle d’une conclusion enfin énoncée qui délivre sa vérité comme la clé d’un rébus enfin résolu.  

Devant la maestria de la conduite de cette incroyable Première Symphonie, le public nantais ne s’y trompe pas et fait un triomphe au chef, de même qu’aux fabuleux instrumentistes de l’ONPL – dont il peut légitimement être fier !

 

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CRITIQUE, concert. NANTES, La Cité des Congrés, le 2 avril 2024. BEETHOVEN / SIBELIUS. Orchestre National des Pays de la Loire / Leif Ove Andsnes (piano), Eivind Gullberg Jensen (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.

 

VIDEO : Klaus Makëlä dirige la Première Symphonie de Jean Sibelius à la tête du Philharmonique de Radio France

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