Depuis 1959, les Concerts au Palais Princier rythment l’été monégasque : ce ne sont pas moins de 6 concerts symphoniques qui vont se tenir – entre le 11 juillet et le 8 août – dans la magnifique Cour d’Honneur du Palais Princier – où l’étiquette est stricte (pour les hommes du moins) : cravate et veste de rigueur ! La musique est chose sérieuse à Monaco, et le millier de personnes réunies ce soir partagent ce plaisir élitiste d’être convié dans l’intimité princière, car le Prince est parmi les happy few (ou plutôt juste derrière eux, sous les voûtes du corridor d’une des ailes du Palais. Paré de fresques comme une tapisserie, fenêtres aux proportions classiques, tourelles toscanes et cheminée vénitienne, le décor qui s’offre au regard du public est inspirant et somptueux. Devant la galerie d’Hercule (rappelons que, selon la légende, après avoir tué sa femme et ses enfants, le héros de l’Antiquité se fit ermite ici-même !), les célèbres escaliers aux deux majestueuses montées symétriques offrent une scène à gradins, idéale pour y placer l’orchestre, tandis que l’audience leur fait face, répartie en cinq blocs distincts autour de lui.
Et c’est dans la relative fraîcheur d’une douce soirée d’été que nous avons assisté au premier concert de la série, qui mettait à l’affiche, en plus des forces vives de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (placé sous la direction du chef américain James Gaffigan), le jeune pianiste virtuose français Alexandre Kantorow – pour une interprétation du Concerto pour piano n°2 (1839) de Franz Liszt aux côtés de la célèbre musique d’Un Américain à Paris de George Gershwin. Mais comme de coutume, la soirée commence par un “tour de chauffe” de l’orchestre, avec ici le très rare poème symphonique Le Chasseur maudit (1882) de César Franck.
Cette pièce de 14 minutes est tirée d’après une ballade de Gottfried August Bürger (Der wilde Jäger), qui nous raconte la malédiction dont est victime un chasseur qui enfreint a règle religieuse du repos dominical, profanation qui le conduira en Enfer. Sur un phrasé très en relief et une dynamique tendue, Gaffigan et la phalange monégasque en livrent une lecture quasi cinématographique, suivant au plus près la dramaturgie. Commençant par une paisible mélodie méditative – où les percussions évoquant les cloches d’église dialoguent avec les cors et les violoncelles -, le phrasé est ensuite bousculé par de véhémentes fanfares de cuivres, pour devenir de plus en plus inquiétant. Le tempo se précipite et le discours s’enflamme, scandés par les timbales, puis se charge de suspense jusqu’au climax et la chute finale dans les abîmes de l’Enfer. Une belle découverte en guise d’ouverture de soirée !
Puis arrive, par le corridor sous la fameuse galerie herculéenne, le jeune et fringant pianiste, toujours aussi décontracté, peu importe le lieu du concert. Rejoignant le clavier à grandes enjambées, il ne fait qu’une bouchée du Second Concerto de Franz Liszt, une œuvre à la mesure de ses moyens démesurés, même s’il fait ici davantage preuve d’aisance que de perfection. Libre et fantasque, jusqu’à flirter un peu avec l’esbroufe, le discours progresse plus par à-coups que dans la continuité, mais il est impossible de résister à cet enthousiasme un peu échevelé, d’autant que l’orchestre joue pleinement le jeu, enfiévré par la baguette du fougueux chef étasunien.
Une fougue renouvelé dans la dernière pièce de la soirée, donnée sans entracte, dans le fameux An American in Paris dirigé d’une main de maître par Gaffigan, et qui évoque en musique le séjour de George Gershwin dans la capitale en 1920. L’orchestre y est plus étoffé que de coutume pour cet ouvrage, nous semble-t-il, comprenant de multiples percussionnistes et deux saxophonistes. L’exécution orchestrale est d’une précision rare, l’articulation des différents épisodes fluide et le final swingue à souhait sous la direction chaloupée d’un Gaffigan manifestement heureux d’offrir cette musique de son pays natal à un public franco-monégasque !
Le prochain concert au Palais aura lieu le jeudi 18 juillet – et couplera le Concerto pour violon de Bruch aux deux poèmes symphoniques de Tchaïkovsky que sont Mazeppa et le Capriccio italien, toujours avec l’OPMC placé cette fois sous la battue du directeur musical de l’Orchestre National de France, le chef roumain Cristian Maccelaru !
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CRITIQUE, concert. MONACO, Cour d’honneur du Palais Princier, le 11 juillet 2024. FRANCK / LISZT / GERSHWIN. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Alexandre Kantorow (piano), James Gaffigan (direction). Photos (c) Michael Alesi / Palais Princier.
VIDEO : Alain Altinoglu dirige “Le Chasseur maudit” de César Franck à la tête de l’Orchestre de la Radio de Francfort