Au début, expression de l’agitation dans l’intime, le duo seul, exposé, viole d’amour (Céline Steiner) et cor de basset (Shizuyo Oka), ouvre le cycle pour voix et orchestre… À deux voix seules, leur partie signifie au préalable ce labyrinthe de la vie, fragile, ténu, où s’entrechoquent selon la volonté du compositeur, les vers de l’Hamlet de Shakespeare et les poèmes de Marilyn. L’Orchestre surgit quand sont dits les mots » When the compulsive ardor « , quand paraît l’étincelle du désir et du sentiment qui emporte le temps et le cœur, …dans cette durée désormais comptée, trop fugace comme il est évoqué par le texte sans ambiguïté, sentencieux, d’un réalisme désillusionné [« et l’on prend une vie dans le temps de dire : un« ]. Tout est fugace quand il s’incarne et est vécu avec ardeur.
Des 8 séquences ou portraits, le 2e épisode (II. » O Damn I wish that i were… ») nous a le plus séduit par la fusion du langage musical et des enjeux poétiques du texte ; déflagrations et longues vagues tenues de l’Orchestre qui semble palpiter au diapason d’un sujet noir comme une langueur maudite. Marilyn, femme broyée par l’icône que la machine Hollywood a façonné d’elle, songeait à cesser de jouer pour fonder une société de production dédiés aux tragédies de… Shakespeare. Voilà qui donne du grain à moudre au compositeur et accrédite sa volonté de croiser l’inattendu qui fait pourtant sens, entre Marilyn et Shakespeare.
Le langage de Brice Pauset s’interdit tout élan mélodique, tout hédonisme, collant aux thèmes mortifères, extatiques en question. Au devant de l’Orchestre, la soprano Marianne Croux chante, déclame, parle aussi des vers assez troublants, sombres, toujours graves, définitifs, sans guère d’échappées. La musique suit ces paysages gris et bouchés, aux tensions continues, sans offrir d’issues ni de réponses.
Le polyptique diffuse des climats étranges, intranquilles qui dérangent et cherchent d’hypothétiques points d’équilibre. Les deux instruments obligés et la voix de soprano soulignent la force et la violence intérieure d’images et de pensées qui percutent en ne s’assagissant jamais.
Soprano et orchestre se retrouvent ensuite dans deux lieder de Richard Strauss, mais c’est le fabuleux violon du leader (Nicolas Alvarez) qui subjugue par sa musicalité dans le solo d’ouverture et de fermeture du premier, Morgen.
Le chef Adrian Prabava qui remplace la cheffe initialement programmée (Maria Badstue, souffrante) montre son ardeur et son engagement semblable à ceux que l’on avait remarqué dans la Walkyrie à Marseille (2022). Son Till l’Espiègle ne manque ni de vigueur ni d’expressivité ; ni d’assise narrative ni de détail strictement instrumental ; sa direction est à la fois analytique et fortement charpentée, s’appuyant sur les qualités de l’Orchestre messin : le ruban soyeux des cordes, l’éloquence majestueuse des cuivres, la subtilité individualisée des bois et des vents, composent un superbe festival de timbres et d’accents maîtrisés. Où la direction fiévreuse raconte un récit plein de jeux et de surprises, où c’est comme chez Marilyn la destruction d’un destin foudroyé qui se réalise là encore. De sorte que dans un choix concerté, le programme permet aux deux œuvres, de Pauset à R. Strauss, de se répondre allusivement.
En seconde partie, le Sacre du printemps déploie les qualités précédemment constatées, affirmant une réelle connivence entre chef et instrumentistes : énergie voire sauvagerie, direction détaillée et vision construite, s’appuient sur le fort tempérament et l’excellente individualité des instrumentistes. Le jeu collectif exprime au plus juste la frénésie et la transe de l’une des partitions les plus saisissante du XXè siècle, même dans sa version synthétisée. Ce format écourté n’en diffuse pas moins une furieuse expérience, – du baiser de la Terre au Sacrifice final, ce cheminement du rituel qui de façon hypnotique, transporte musiciens et public.
Photos : © studio CLASSIQUENEWS.TV
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CRITIQUE, concert. METZ, Arsenal, le 23 février 2024. Brice Pauset : portraits of Marilyn Monroe [création mondiale], R. STRAUSS : lieder [Marianne Croux], Till l’espiègle. Stravinsky : le Sacre du printemps. Orchestre national de Metz Grand Est, Adrian Prabava [direction]. Photo : l’orchestre national de Metz Grand Est / Adrian Prabava © studio classiquenews.tv
Prochain concert symphonique à l’Arsenal de Metz, avec l’Orchestre national de Metz Grand Est : pages orchestrales de John Williams (David Reiland, direction, avec Vincent David, saxophone), 16 mars 2024 à 20h / infos et réservations : https://www.citemusicale-metz.fr/fr/programmation/saison-23-24/concert/john-williams
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