dimanche 8 décembre 2024

CRITIQUE, concert. MENTON, Basilique Saint-Michel Archange, le 3 août 2023. Récital d’ALEXANDER MALOFEEV, piano. JS Bach, Scriabine, Chopin, WAGNER / LISZT, WEINBERG…

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D’emblée il n’est pas vain lorsque le réel surpasse la promesse, de relever l’immense épanouissement poétique d’un jeu pianistique, fut-il celui d’un jeune interprète de…. 21 ans (!). L’âge n’attend pas la valeur des années ni les fruits précieux d’une expérience au long cours. La vingtaine à peine, s’agissant du jeune prodige russe Alexander Malofeev, l’imaginaire et l’intelligence technicienne sont ceux des plus grands…

 

Au service d’une sensibilité sans failles, étonnante même par ses partis pris et sa personnalisation expressive, Alexander Malofeev a ébloui cette soirée de rêve marquant indiscutablement l’histoire du Festival de Menton. Ici l’éloquence d’une dramaturgie constamment pensée, investie, incarnée sollicite l’esprit qui écoute ; délivrant à l’auditeur tout un cheminement personnel dont la dramaturgie captive. Jusqu’au son que l’artiste sculpte dans une matière des plus subtiles, à l’opposé strict des surenchères et martelages assumés, ailleurs exacerbés jusqu’à l’écœurement. Malofeev tisse une soie distanciée, d’un fini éblouissant, qui montre combien il a absorbé chaque mesure, ressenti et éprouvé chaque note… L’intériorité, une urgence ténue, canalisée, semblent porter tout son jeu.

 

Poète et alchimiste intérieur
ALEXANDER MELOFEEV
jeune roi du clavier

 

 

Sa prodigieuse technique lui permet de faire chanter le clavier tout en soulignant la structure des partitions. Alexander Malofeev délivre de chaque œuvre une lecture méditée, minutieusement pensée qui dévoile non pas un technicien virtuose mais un poète qui témoigne à travers les œuvres des visions sonores que lui inspirent les pièces. L’atténuation, la suggestion, le chant intérieur se déploient sans contraintes dans une voie médiane qui trouve son équilibre souverain entre Liszt et Chopin.

Son Bach préliminaire est d’une tendresse infinie, tout en retenue, lové, au cœur ; cette douceur de ton semble détenir le secret de la musique ; l’exprime sans totalement le dévoiler [allegro] : surtout l’adagio murmuré, est réalisé comme une lente et profonde introspection critique. Tout surgit dans le chant et le souffle…
Le 2ème et dernier allegro affirme sa course éperdue avec ses contrastes vertigineux auquel le jeu engagé de l’interprète dessine subitement un cadre symphonique, dans l’ampleur et l’urgence. Ce BACH est d’une hypersensibilité à fleur de peau, survenant de l’ombre pour ne jamais la quitter réellement. D’où des plans sonores comme souterrains, une divagation onirique comme une mise à distance… Ce Bach est d’une flamme goethéenne, totalement, viscéralement romantique, assumée comme tel.

Immédiatement le Scriabine déroule le caractère du rêve, comme la réminiscence d’une valse aux parfums lointains, authentiquement chopiniens. L’artiste jongle et subjugue littéralement dans des piani ciselés, bornes et marqueurs du songe.

D’ailleurs la pièce immédiatement enchaînée est la Sonate n°2 de Chopin, tissée dans cette même soie personnelle, remarquablement investie, avec un naturel qui fait jaillir l’émotion la plus onirique ; Melofeev nous régale de phrasés de velours dont la ciselure s’inscrit dans la suggestion la plus ténue.

Les 2 premiers mouvements du Chopin expriment une instabilité maîtrisée, pulsionnelle, d’essence schumanienne, flot et discours à la fois ; dont l’énergie et les dynamiques font sens ; le premier saisit par son sentiment de folie, panique, échevelée ; traversée de visons de terreur fugitive. Le 2ème multiplie les plans sonores dans un bain primitif préalable, entre frémissement et fulgurance, qui prépare au surgissement miraculeux du 2e motif dont la tendresse et la candeur bouleversent. La Marche étire son glas dépressif surgissant d’outre-tombe ; son chant suspendu, hypnotique ; là encore c’est la cohérence du son, la profonde unité de la conception si personnelle qui captivent.
À nouveau au cœur du mouvement qui donne le titre à cette Sonate « funèbre », surgit comme dans un songe miraculeusement préservé, le motif caressé, salvateur, qui énonce sa prière déchirante. C’est le miracle du chant bellinien au cœur des ténèbres. Malofeev convainc par sa construction poétique souveraine ; dans la reprise de la marche, l’intériorité se renforce davantage, dans l’ampleur et la profondeur.

Weinberg diffuse sa divagation légère qui a le sens de Chostakovich : celui d’une fausse insouciance que sous-tend une conscience inquiète et profonde, prête à rugir puis à se cacher … Le pianiste en déduit une traversée lunaire et trouble, elle aussi viscéralement intranquille, d’autant plus intense dans le Scherzo qui déploie cette double lecture. Malofeev en saisit le caractère étrange et essentiellement énigmatique, nostalgie d’une candeur retrouvée dont il exprime dans le même temps la perte absolue, irrémédiable.
Très développé, le dernier mouvement sonne comme un soliloque mordant, amer, d’une volubilité peu à peu désenchantée, qui s’épuise. Entre temps le public applaudit à tout rompre, conquis par cette force poétique dont est capable l’elfe blond.

L’ouverture du Tannhaüser de Wagner, jouée dans la transcription de Liszt révèle l’ampleur symphonique et le souffle orchestral dont est capable le piano Yamaha sous les doigts du prodigieux narrateur. Toute la partition murmure et rugit, d’arpèges diaboliques en phrasés arachnéens. Jamais décorarif ou strictement virtuose, Malofeev brosse ici le portrait du héros en soulignant en traits solides, la carrure de la fable opératique. En saisissants piliers sonores, qui dévoilent la structure de l’action, le pianiste esquissent ce qui fait le profil essentiel de Tannhauser, sorte de Faust artiste habité / terrassé par la question essentiel du sens de la vie et du pourquoi de l’art. Telle question évidemment passionne compositeurs et interprètes. Alexandre Malofeev en délivre accents et tensions, en crépitements poétiques et en fulgurances rageuses. C’est une véritable épreuve physique et musicale qui occupe le pianiste du début à la fin, souhaitant tout exprimer d’un sujet aussi brûlant. Le résultat foudroie autant par l’ardente activité digitale que la cohérence de la dramaturgie si personnelle qui en découle.

 

 

 

 

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CRITIQUE, concert. MENTON, Basilique Saint-Michel Archange, le 3 août 2023. Récital d’ALEXANDER MALOFEEV, piano. JS Bach, Scriabine, Chopin, WAGNER / LISZT, WEINBERG…Photos : © Festival de Menton 2023 / photo Basilique Saint-Michel Archange © classiquenews 2023

 

 

 

 

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