Probablement composée dès 1825 (et non 1828 comme il est dit souvent), la 9è symphonie de Schubert est l’une des plus monumentales de l’histoire symphonique ; un massif d’autant plus impressionnant et même inattendu de la part d’un compositeur qui s’est taillé a contrario, une solide (et légitime) réputation comme génie de la musique de chambre, du piano intime et secret, du lied méditatif…
Pour fêter leurs déjà 10 années d’une aventure artistique marquante, Insula Orchestra et Laurence Equilbey, ont choisi la partition la plus spectaculaire de Franz l’intime : sa 9ème Symphonie dite « la grande ». D’emblée ce qui saisit immédiatement, c’est la texture à la fois soyeuse et aérienne des cordes dont l’articulation caractérisée et flexible, l’activité élégantissime, produisent un tapis idéal, bondissant, d’une finesse exceptionnelle, … immédiatement entraînante pour l’ample portique du premier Andante – Allegretto ma non troppo ; mordante et flexible dans la signature rythmique du Scherzo, à l’impérieuse urgence.
Les bois sont tout autant expressifs et ciselés ; en particulier les hautbois, bassons, clarinettes… Même le formidable Andante con moto partage avec les autres séquences, une ampleur de format, un souffle épique qui dépasse très vite les motifs pastoraux, plus apaisés et sereins. Dans le dernier mouvement (Allegro vivace), Laurence Equilbey soigne et la flexibilité des transitions, et l’opulence du son qui n’est jamais épais ni dense ; la cheffe en renforce la détermination et l’entrain proprement beethovéniens, dévoilant un Schubert grand architecte des continents orchestraux ; la transparence et la clarté polyphonique nourrissent ici toute la progression à travers une somptueuse instabilité harmonique dont cheffe et instrumentistes éclairent, stimulent la vivacité et l’urgence même. Grâce à la netteté du dessin instrumental, se détache mieux qu’ailleurs, la petite phrase qui cite le début de l’Ode à la joie du modèle absolu pour Schubert, Beethoven l’indépassable (ainsi dans sa 9è, Schubert fait référence à la 9è de son prédécesseur et maître…). C’est pourtant dans une énergie décuplée, conquérante et nerveuse que l’orchestre exalte la texture orchestrale schubertienne ; une apothéose sonore qui saisit par cet équilibre constant entre la richesse texturée, la lisibilité du plan architectural, la finesse des nuances expressives. En 10 ans, Insula Orchestra s’est forgé une identité orchestrale forte, indéniablement convaincante. Preuve en est encore donnée ce soir.
Selon une formule déjà étrennée l’an dernier et qui associait les deux compositeurs (1), Emilie Mayer, compositrice enfin révélée grâce à Insula Orchestra, dite aussi la « Beethoven au féminin », ouvrait avant Schubert, le programme avec son unique Concerto pour piano ; invité prestigieux (et complice de l’orchestre), le pianiste David Fray, élégant et décontracté assurait la partie du clavier, fusionnant virtuosité brillante et douceur voire gravité mozartienne. Le soliste maîtrise la mécanique subtile du piano historique requis pour le concert ; son format sonore engage d’emblée l’orchestre aux équilibres plus ténus, et l’interprète, à soigner davantage l’articulation et la clarté, vu la fragilité de la mécanique ; laquelle d’ailleurs montre ses limites puisque la pédale se déglingue au cours du dernier mouvement. Pas démonté pour autant, David Fray enchaîne après le Concerto (et des applaudissements nourris), un bis : le sublime allegro, à la fois nostalgique et d’une douceur solaire, d’une Sonate de Schubert, comme un prélude à la symphonique spectaculaire qui va suivre (après l’entracte). Exploitant toutes les ressources de son instrument, le pianiste fait émerger un chant puissant et viscéral, d’une intimité bouleversante, un flux d’une douceur jaillissante, entre tendresse et extrême pudeur (malgré le problème de pédale).
Par ses écarts vertigineux (et magnifiquement maîtrisés) entre le concertant habité mozartien, d’Emilie Mayer ; le spectaculaire impérieux et si articulé de Franz Schubert, le concert anniversaire a comblé nos attentes. Souhaitons au collectif et sa cheffe pro active, une nouvelle décennie d’excellence, d’audace, d’engagements aussi convaincants. Laurence Équilbey multiplie les projets en inscrivant aussi le travail d’Insula Orchestra au cœur des arts visuels : vidéo, cinéma, manga, séries thématiques… La pédagogie et la transmission au sein de cette école de l’excellence, complètent désormais cette constellation exemplaire : cette année, un nouveau chantier a vu le jour, Insula Camerata, nouvelle pépinière de jeunes musiciens dont le premier concert sera révélé à l’automne prochain. A suivre.
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CRITIQUE, concert. INSULA ORCHESTRA, le 13 mars 2025 (La Seine Musicale). Emilie MAYER,
Franz SCHUBERT. Insula Orchestra, David Fray (piano), Laurence Équilbey (direction)
critique du précédent concert
Lire aussi notre critique du concert Symphonie n°1 d’Emilie Mayer et Symphonie n°4 de Franz Schubert, février 2024 : https://www.classiquenews.com/critique-concert-boulogne-seine-musicale-le-27-fevrier-2024-emilie-mayer-symphonie-n1-insularites-orchestra-laurence-equilbey-direction/
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