samedi 26 avril 2025

CRITIQUE, concert. FESTIVAL RAVEL, les 7, 8 et 9 août 2022. Simon-Pierre Bestion / « La Tempête » (le 7) – Quatuor Modigliani / Nicolas Baldeyrou (le 8) – Orchestre National du Capitole de Toulouse / Tarmo Peltokoski (le 9).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Depuis 5 ans déjà, les 2 grands festivals de musique classique du Pays basque – Musique en côte Basque et l’Académie Ravel – ont fusionné pour créer une nouvelle manifestation : le Festival Ravel. Désormais placé sous la houlette conjointe des pianistes Jean-François Heisser et Bertrand Chamayou, la manifestation basque a offert, du 19 août au 11 septembre, plus d’une vingtaine de concerts, mettant à l’affiche de prestigieux ensembles (Orchestres Nationaux de Bordeaux et Toulouse, Philharmonique Tchèque, Orchestre de chambre de Lausanne, Les Siècles…) et solistes (les deux directeurs artistiques pour des récitals solos, Sol Gabetta, Renaud Capuçon, le Quatuor Belcea, Philippe Jaroussky, Karine Deshayes…). Des concerts disséminés dans les lieux les plus emblématiques de la région : églises de St Pée/Nivelle, d’Urrugne ou encore d’Ascain, le Théâtre de Bayonne et celui de Biarritz, ou encore l’Église St Jean Baptiste de St-Jean de Luz, célèbre pour avoir abrité le mariage de Louis XIV avec l’Infante Marie-Thérèse, scellant au passage la paix avec la puissante Espagne.

 

Découverte majeure : le jeune chef finlandais TARMO PELTOKOSKI !

 

                       Tarmo Peltokoski et l’ONCT © Matthieu Mengaillou

 

Et c’est dans cette même église, font baptismal de l’ancien festival comme du nouveau, que se tenait le concert final (majeur) de l’édition 2022, avec la venue l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, ville dont est issue Bertrand Chamayou, comme il le rappelle dans un discours introductif en guise de remerciement pour les trois 3 semaines écoulées (avec une billetterie record !). Une mémorable soirée, avant tout pour la découverte d’un chef, le tout jeune finlandais Tarmo Peltokoski (22 ans !), d’une incroyable maturité et maîtrise pour son âge, à la tête d’une phalange toulousaine également conquise par le jeune prodige de la baguette. C’est d’abord dans l’Ouverture et dans L’enchantement du Vendredi Saint, extraits de Parsifal de Wagner (étonnamment entrecoupés par Les Offrandes oubliées de Messiaen, données d’un seul bloc, sans pause…) qu’ils font ensemble merveille. Car avouons que dès les premières notes, on est ébloui par la lecture posée et majestueuse, sereine et lumineuse, que Peltokoski donne de l’ouverture du testament de Richard Wagner. Puis c’est par un hommage au dédicataire du festival, Maurice Ravel, que se poursuit la soirée, avec une exécution des Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski… que l’enfant du pays a orchestré il y a 100 ans exactement (1922) !  Le jeune chef parvient à donner une interprétation proprement fulgurante de cette pièce majestueuse, à laquelle les musiciens de l’ONCT adhèrent tout à fait : sa lecture très unifiée (qu’à cause de sa difficulté technique, on entend parfois jouée de manière fractionnée…) le pousse à adopter des tempi rapides, et à prendre des risques, ce qui donnent une formidable énergie à l’ensemble. L’orchestre met en lumière – et à la perfection ! – les trouvailles de couleur du génial orchestrateur qu’était Ravel : les cuivres sont particulièrement emportés dans le choral « Catacombæ / Sepulcrum Romanum », qui prend une dimension à la fois hiératique et glaçante. Quant à « La Cabane sur des pattes de poules », – presque l’aboutissement du grand crescendo qui court sur l’ensemble de la partition, elle abasourdit littéralement, grâce à la précision et au dynamisme des percussionnistes. C’est bien évidemment un triomphe amplement mérité que le public fait à ce jeune prodige dont on n’a « pas fini d’entendre parler », pour reprendre encore une fois les paroles de Bertrand Chamayou !

 

La veille, la charmante Eglise de St Pée-sur-Nivelle et son grandiose retable aux multiples statues dorées, ont servi d’écrin à cet autre joyau qu’est le Quatuor Modigliani, sans conteste l’un de nos meilleurs quatuors hexagonaux. Pour la première partie de soirée, les 4 musiciens se s’unissent au clarinettiste français Nicolas Baldeyrou, pour une interprétation enthousiasmante du Quintette en la Majeur KV 581 (dit « Stadler ») de W. A. Mozart. Le rôle du soliste est ici prodigieux d’intériorité et de beauté absolue, tant l’instrument à vent s’enchevêtre intimement dans le tissu musical, sans jamais perdre sa position décisive. Et le brillant musicien fait preuve ici d’une stupéfiante maîtrise de son instrument, doublée d’une fine musicalité et d’une sonorité onctueuse, qui conduisent à un résultat évoluant constamment sur les cimes. A cela s’ajoute bien sûr l’alchimie opérée avec les Modigliani, garant d’une lecture habitée, lumineuse, servie en toute simplicité. On les retrouve, seuls, après un court précipité, dans le 15ème Quatuor de Franz Schubert (1826), dernier ouvrage que le maître autrichien consacra à un genre où il a laissé de formidables pépites. Composée en une dizaine de jours seulement, cette œuvre de plus de 45 minutes n’est pas un simple quatuor à cordes ; il se rapproche plus d’une sorte d’opéra à 4 instruments, tant le propos dramatique y est plus intense que jamais. Et les quartettistes ne laissent aucun temps mort aux auditeurs : du long premier mouvement (près de 20 minutes) à la forme sinueuse et aux rugosités saillantes, conduisant au 2ème et à ses lancinantes mélodies jusqu’au tourbillon central, en passant par l’étourdissant scherzo où le compositeur fait tourner la tête grâce à un flux quasi ininterrompu de notes répétées, jusqu’au finale solaire en forme de course exaltée. Et c’est un autre triomphe, auquel les instrumentistes répondront par un charmant bis : une pièce de Schubert inspirée d’une des messes de Mozart.

 

Atmosphère mystique, irréelle… Formidable Requiem imaginé par La Tempête !

 

Mais le plus gros triomphe des trois soirées auxquelles nous avons eu la chance d’assister fut sans conteste, la veille encore, la venue au festival de l’incroyable Compagnie instrumentale et vocale  « La Tempête », fondée et dirigée par le génial Simon-Pierre Bestion. Après des interprétations remarquées et remarquables des Vêpres de la Vierge ou des Stabat Mater de Dvorak et Scarlatti, c’est à une nouvelle création que le public du festival a été convié, en l’Eglise St Vincent de Ciboure, avec ce « Requiem imaginaire pour Charles Quint », inventé de toute pièce par le chef nantais, en reliant entre elles 19 pièces issues du répertoire espagnol du Siècle d’or, dont beaucoup de morceaux arabo-andalous. Mais l’essentiel, avec les spectacles imaginés par Simon-Pierre Bestion, se trouve surtout dans la scénographie et le déroulé des concerts, plus encore que dans le contenu. Et une fois encore, son ensemble a ébloui et fasciné, en bougeant, jouant et chantant, pour mieux envelopper les spectateurs dans la musique et les plonger dans l’émotion. C’est ainsi par la porte centrale de l’église que la plupart des instrumentistes font leur entrée, tandis que le chœur investit les galeries qui courent le long de la nef. Mais c’est de tous les recoins de l’église que nous les entendrons chanter, que ce soit tout au fond de la nef sous l’orgue, jusqu’aux travées latérales, quand ils ne sont pas mélangés aux instrumentistes placés dans le chœur de l’édifice gothique. 

Tout cela est soutenu par une scénographie faisant appel à moult fumigènes, encens et éclairages très étudiés, qui plongent l’église dans une atmosphère proprement mystique et irréelle. Le public n’en revient pas et se lève comme d’un seul homme, après les derniers accords du Magnificat conclusif, pour saluer les artisans de cette prodigieuse soirée… qui se conclut dans l’allégresse avec un bis emprunté au negro-spiritual américain ! Vivement la 6ème édition de ce festival où l’on passe décidément de fête en fête !

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CRITIQUE, concert. FESTIVAL RAVEL: les 7, 8 et 9 août 2022. Simon-Pierre Bestion et son Ensemble « La Tempête » (le 7), Le Quatuor Modigliani et Nicolas Baldeyrou (le 8), Orchestre National du Capitole de Toulouse et Tarmo Peltokoski (le 9).CRITIQUE, concert. FESTIVAL RAVEL, les 7, 8 et 9 août 2022. Simon-Pierre Bestion / « La Tempête » (le 7) – Quatuor Modigliani / Nicolas Baldeyrou (le 8) – Orchestre National du Capitole de Toulouse / Tarmo Peltokoski (le 9). Photos © Matthieu Mengaillou.

 

 

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