Après avoir inauguré son premier mandat comme directeur du Festival International de Musique de Colmar avec “son” Orchestre de la Radio de Francfort, l’an passé, c’est avec son “autre” orchestre de prestige qu’est l’Orchestre Symphonique de La Monnaie de Bruxelles (qu’il dirige depuis 2015) qu’Alain Altinoglu ouvre l’édition 2024 de la manifestation musicale alsacienne.
Après un vibrant hommage rendu à Hubert Niess, le fondateur du festival récemment disparu, le concert débute par les impalpables accords de l’Ouverture de Lohengrin de Wagner (qu’il a dirigé au Festival de Bayreuth, en 2015, avec cette même phalange), qui permettent de goûter d’emblée au soyeux des cordes avant de se laisser emporter dans des tutti grandioses et parfaitement conduits par le Maestro français.
Et c’est ensuite Stéphane Degout qui fait son entrée sur le vaste plateau emménagé dans le large choeur de l’Église Saint-Matthieu, pour délivrer les poignants “Chants d’un compagnon errant” (“Lieder eines fahrenden Gesellen”) de Gustav Mahler. Ce cycle de quatre Lieder pour orchestre écrit par le compositeur autrichien (paroles et musique) à l’âge de 25 ans sous le coup d’un chagrin d’amour, fut révisé en 1896 pour sa création à Berlin. Ces pages sublimes qui contiennent déjà toute la thématique mahlérienne, associent la complainte funèbre de l’être blessé au sentiment de la nature consolatrice, à travers des éclairages très contrastés et un coloris instrumental des plus raffiné. Le célèbre baryton français y excelle par son interprétation profondément intériorisée et ressentie, avec des textes distillés par sa voix chaleureuse et touchante, qui vont droit au coeur. Alain Altinoglu impose un accompagnement très savant et très “radiographique”, mais qui sait s’adjoindre à la voix. L’orchestre est ici foncièrement un accompagnateur au service de la ligne vocale, le chef sculptant les moindres détails et les plus infimes nuances pour renforcer l’effet dramatique de ces quatre chants bouleversants.
Après cette première partie délivrée avec éclat et talent par la phalange belge et son chef, c’est justement l’unique Symphonie d’un enfant du plat pays (bien que naturalisé français par la suite…) – la rare Symphonie en Ré du liégeois César Franck -, qui est donné à entendre, un ouvrage qu’Alain Altinoglu affectionne particulièrement et qu’il a justement gravé avec l’Orchestre de la Radio de Francfort. La Symphonie en ré mineur, par la force de son architecture – et au-delà de l’emprunt, pour le premier thème, à La Walkyrie de Richard Wagner – est un ouvrage souvent « germanisée »… mais rien de tel ici, et Altinoglu allège au contraire les textures, contourne le pathos – et surtout – le didactisme dans la mise en avant des thèmes, en particulier lorsqu’arrive le développement de l’Allegro non troppo initial, préférant appuyer sur la spécificité des sonorités de son orchestre, avec ses bois superbes, ses cuivres saillants et des cordes d’une homogénéité magnifique. L’Allegretto est immergé dans une pénombre mystérieuse, la partie centrale ensorcelle par la finesse des couleurs avant que le finale, tout aussi rebelle à la grandiloquence gratuite, confirme le choix judicieux d’une lecture qui concilie la clarté, la souplesse et la puissance, qui permet la création de climats jubilatoires.
Remercié chaleureusement par un public alsacien enthousiaste, le baryton accompagné par l’orchestre et son chef donne une mélodie tirée du recueil des Lieder aus der Jugendzeit… intitulé « Sur les remparts de Strasbourg« , ce qui ne manque pas de flatter la fibre chauvine de l’auditoire : le grand Gustav Mahler s’est intéressé donc à la Capitale de sa magnifique région !
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CRITIQUE, concert. COLMAR, Festival International de Musique de Colmar (Eglise St Matthieu), le 5 juillet 2024. Stéphane Degout (baryton), Orchestre Symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction). Photos (c) FIC – Bertrand Schmitt.
VIDEO : Dietrich Fischer-Dieskau interprète « Les Chants d’un compagnon errant » de Gustav Mahler