dimanche 6 octobre 2024

CRITIQUE, CD. WAR AND PEACE / PROKOFIEV. Véronique Bonnecaze, piano (1 cd Paraty records).

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Présenté en récital à Paris devant une salle comble (Gaveau, novembre 2022), le nouveau cd de la pianiste Véronique Bonnecaze, War and Peace, (référence au célèbre opéra de Prokofiev), ravira tout mélomane averti. Ce 3ème album Paraty nous plonge dans un imaginaire fascinant, qui rafraîchit la perception de la musique pour piano de Prokofiev.

S’il faut en croire Gian Francesco Malipiero, cerner le style de Prokofiev est « une rude épreuve ». Véronique Bonnecaze se départit de toute imitation, qu’honnissait l’inclassable Prokofiev d’ailleurs, pour nous livrer une interprétation très authentique. En particulier, exit le style jupitérien d’un Sviatoslav Richter, immense interprète de Prokofiev, qui fait la besogne de pianistes avides d’exploits, auxquels manquera nécessairement la force démiurgique du colosse. CRITIQUE par Arnaud Peresse

 

 

Limpidité, déclamation alerte

Le Prokofiev revivifié de Véronique Bonnecaze

 

Véronique Bonnecaze nous fait partager avec délectation un autre rêve. C’est, dans l’extrait de Roméo et Juliette op.75, dans la 7ème et 8ème visions fugitives op.22, ou encore dans l’Andantino des Contes de la Vieille Grand-mère op. 31, le Prokofiev héritier de Schumann, au lyrisme tendre et pudique ; dans la 5ème, la 10ème, 11ème visions fugitives, le Prokofiev malicieux, aux rêveries fantasques et à l’expressionnisme farouche. Rayonne plutôt le Prokofiev original et indépendant, tantôt plein de fraîcheur jaillissante (6ème vision fugitive), tantôt empreint de lassitude amère et nonchalante (9ème, 12ème, 18ème visions fugitives) ou de froide résignation (2ème, 13ème, 16ème, 20ème visions fugitives ; Andante assai des Contes de la Vieille Grand-mère op. 31).
Louable, la volonté de rompre avec une exagération tapageuse du dynamisme effréné, de l’énergie rythmique percussive, implacable, de la musique de Prokofiev. Pour autant, la fameuse sonate n°6 en La majeur op. 82 qu’elle interprète sans une once de brutalité de jeu, ne manque pas de force. Certes, dès les premières critiques américaines des concerts donnés par Sergueï Prokofiev, ce fut le terme « acier » qui vint qualifier maintes fois le style du compositeur russe de Pas d’acier, mais non sans ironie querelleuse. Plus tard, Sviatoslav Richter, interprète élu par S. Prokofiev, poussera à son paroxysme la force tellurique de l’œuvre.
Notons que la terreur idéologique du réalisme soviétique, ainsi que la rivalité propre à la période de conflit international qui entourent la création de la 6ème sonate (1940), sont aussi responsables d’une telle exagération motoriste et rageuse.

A la place et par-delà la recherche de la furie, Véronique Bonnecaze a choisi de donner libre cours à sa propre spontanéité et à son indépendance d’esprit, or ce sont justement deux traits bien caractéristiques du compositeur. La partition révèle en conséquent une dramaturgie où cohabitent, tels les « fabias » de Gozzi – caractères à la commedia dell’arte de l’opéra L’amour des Trois Oranges – des motifs variés, en marche, tout droit issus du « cahier de thèmes » dont Prokofiev ne se séparait jamais et qui constitue la matière première de ses compositions.

 

 

C’est la clarté, la limpidité, qui nous captent dans la déclamation légère et alerte de Véronique Bonnecaze. Le classicisme remarquable qui ressort de son jeu pianistique, et sert si bien Chopin, s’accommode parfaitement de l’esprit pointilleux et soucieux d’exactitude scientifique propre au compositeur. Tandis que dans la majorité des enregistrements des trois sonates de guerre aujourd’hui disponibles, une approche structurelle impose une carrure métrique quasi rotative, Véronique Bonnecaze a elle une approche thématique et fait vivre le tempérament rythmique interne des thèmes. L’engrenage et la dislocation successive de ces derniers supplante un assemblage figé, et révèle le génie absolu de la construction qu’est Prokofiev. En cela, son interprétation vient corroborer cette juste remarque du génial collaborateur de Prokofiev qu’était le réalisateur Eisenstein : « La musique de Prokofiev est étonnamment plastique, elle n’est jamais une illustration, elle montre d’une façon étonnante la marche intérieure des événements, leur structure dynamique dans laquelle se concrétisent l’émotion et le sens des événements ». Magistral.

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CRITIQUE CD. PROKOFIEV : War & peace (1 cd Paraty paru le 25 novembre 2022), enregistré à la Salle de concert du Conservatoire de Musique de Tarbes, en mai 2022 / Piano Steinway / Note : 5 / 5. CLIC de CLASSIQUENEWS 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Précédent CD PARATY distingué par CLASSIQUENEWS :
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Alice Ferriere-Paraty_NuitExquise_HM_COUV-300x300 critique cd review classiquenewsCD, critique. NUIT EXQUISE : Alice Ferrière, mezzo-soprano, Sascha El Mouissi, piano (1 cd Paraty). Alice Ferrière découvre le chant au Conservatoire de Boulogne-Billancourt et se dédie au lyrique comme à la mélodie et au lied. Autour du thème fédérateur de la nuit, majeure à l’heure romantique, la mezzo soprano réunionaise réunit lieder allemands et mélodies françaises ; de Schumann à Berlioz et ses Nuits d’été, se déploie le chant de l’âme, en quête d’équilibre malgré le vertige que font naître les souvenirs et le surgissement d’expériences parfois effrayantes ou fortes (pressentiments visionnaires et troublants, volubilité des humeurs agissant par ruptures et brisures dans le cas des Schumann dont Der Schwere Abend et Requiem). Pour Berlioz et ses Nuits d’été, la cantatrice entend retrouver le naturel et l’évidence de Mozart et faire jaillir chaque nuance du texte avec une fraîcheur renouvelée ; la Nuit exquise est celle de Reynaldo Hahn (l’Heure exquise) mise en regard ici avec Quand la nuit n’est pas étoilée : sont convoquées la souplesse d’une voix de velours (la sensualité de Debussy) et une « diction incisive ». Sans omettre cette « fragilité sensible » apprise peu à peu et qui colore l’énoncé des mélodies françaises.

A noter une autre « Heure exquise » celle d’Irène Poldowski en réalité la pianiste Régine Wieniawski, fille du compositeur Henryk Wieniawski ; une écriture debussyste que les interprètes jouent enchainée au fameux Clair de lune de …Debussy.
En réalité le geste interprétatif est indiqué dans le titre du cd : « Nuit Exquise » ; la nuit et sa texture mordorée, scintillante s’écoulent au piano ; exquis sont le soin et le fini de la chanteuse, prêtresse habitée par le feu nocturne, entre rêve, visions, enchantement… En jouant les filiations et les correspondances climatiques, Alice Ferrière et le toucher allusif et complice du pianiste Sascha El Mouissi nous conduisent sur les rives d’un rêve éveillé, nocturne, envoûtant.

 

 

 

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CD, critique. NUIT EXQUISE : Alice Ferrière, mezzo-soprano, Sascha El Mouissi, piano (1 cd Paraty 2019 169184 – 1h07mn). Parution : 24 janvier 2020.

 

 

 

VIDEO

Teaser cd Nuit exquise (déc 2019)
https://www.youtube.com/watch?v=cnnPYMBRKoE

 

 

 

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