Sur le site de Dunhuang – haut lieu patrimonial qui regroupe quantité de grottes bouddhiques, le compositeur sino américain TAN DUN (né en 1957, Changsha, Chine) a eu comme une révélation, à la fois spirituelle et identitaire ; en particulier dans la grotte de Mogao…
De cette expérience personnelle découle l’oratorio ou opéra spirituel « BUDDHA PASSION », partition réussie à tout point de vue sur le thème de la vie du prince Siddharta Gautama (héritier des Shakya, et qui vécut il y a … 2500 ans, au VIè siècle avant JC) ; l’ouvrage qui offre une saisissante évocation de sa trajectoire spirituelle, a été créé en 2018 au Dresden Festival par le Münchner Philharmoniker, opus commandé par différents orchestres et institutions : New York Philharmonic, Los Angeles Philharmonic, Melbourne Symphony Orchestra, Dresden Festival …
La partition éblouissante exprime ce cheminement unique et singulier du Prince Siddharta Shakyamuni devenu par la seule force de l’esprit, le Bouddha le plus pur et exemplaire, celui qui a atteint l’Éveil ; de ses désirs terrestres à la conscience détachée, la figure de Bouddha reste un symbole majeur pour toute expérience humaine, avant d’être religieuse. L’opéra de Tan Dun évoque ce parrcours unique et bouleversant, dans une langage accessible et très contrasté qui de fait, appelle une mise en scène. On s’étonne que l’œuvre n’ait pas encore été programmée en France, alors qu’elle est déjà créée à Londres [Royal festival Hall, 22 janv 2023], Hambourg, Amsterdam ; Paris est toujours en retard d’au moins 2 trains en matière de discernement musical et lyrique. Triste constante. On entend déjà les fins critiques la taxer de kitsh, totalement étrangers à son sens comme à son déroulement qui relève du rite. Le présent enregistrement est une captation live réalisée au Concert Hall de Shanghai, le 20 juin 2019.
Allongé dans la grotte de Mogao, ornée, sculptée de motifs et d’images bouddhiques, le compositeur reste saisi par les thèmes célébrés par les représentations : la compassion, l’amour, la Nature. Inspiré par Dunhuang, Tan Dun ressent la nécessité d’exprimer orchestralement la plénitude éprouvée sur site tout en s’inspirant aussi des innombrables manuscrits comportant des partitions bouddhiques, aujourd’hui conservées aux quatre coins du monde dont la BNF à Paris.
Après 6 années de recherche et de composition, Tan Dun confirme ainsi une réelle aptitude au dramatisme musical, dans le sillon de la musique pour le film Tigres et Dragon (2000), ou pour son opéra The first Emperor (commande et création du Metropolitan Opera, 2006). La veine opératique s’est même enrichie, affinée théâtralement, tout en conservant une grande séduction sonore ; le compositeur chinois livre son opéra (en 6 actes), dont le but exprime le partage des thèmes de Buddha : l’amour et la fraternité, la compassion, l’entente et l’aide, la compréhension de l’autre.
Mettre en musique l’expérience
des grottes peintes de Dunghuang…
BUDDHA PASSION,
l’oratorio choc de TAN DUN
On retient en particulier son étonnante maîtrise des masses (chœurs et orchestres dans le final du III, apothéose très dramatique soulignant le sacrifice du Cerf au 9 couleurs), écho ou plutôt contrepartie du final de l‘acte VI, à l’inverse, évanescent, mais tout aussi puissant, dans l’évocation du Nirvana et de l’émergence de Bouddha.
Il en résulte un cycle musical très lyrique, jouant des textures éthérées des cordes ; privilégiant souvent des glissandi sinisant, expression quasi concrète des points de bascule où l’esprit prend conscience de son propre cheminement spirituel, vers l’Éveil : « Quand je serai éveillé, je serai à nouveau ». Indices de la transformation vers l’être régénéré, Humain.
Dès le chœur d’ouverture sur la matière évanescente de l’orchestre, s’inscrit cette plongée dans la geste envoûtante et dramatique d’une partition qui affleure l’universalisme poétique et fraternel : Tan Dun prend soin d’utiliser et de mettre en musique les textes anciens, dont le premier et sa mélodie souple et sinueuse, évoquent en sanskrit, le miracle du bodhisattva de compassion, personnage idéal au bord de l’Eveil…
Le livret en chinois comporte aussi de nombreux autres textes en sanskrit dont plusieurs odes (à la compassion) ; de purs tableaux oniriques jalonnent le parcours de Siddharta (le Cerf aux 9 couleurs dont l’épopée héroïque et tragique immerge dans la légende dramatique, suscitant très à propos le sentiment de compassion final)…tout en soignant l’évocation de séquences fastueuses empruntées au folklore chinois impérial (ballet associant pipa et danseuses ouvrant l’acte III à la cour du Souverain)…
Chacun des 6 actes dévoilent une sensibilité dramatique indiscutable certainement liée à l’inspiration intense que le sujet a suscité dans la pensée du compositeur. Les moyens musicaux requis expriment de façon très juste, la transformation du Prince appelé à ce destin extraordinaire dont l’orchestre révèle peu à peu la dimension spirituelle, poétique, surnaturelle, jusqu’à l’évocation du Nirvana, entre extase et souffle du vaste océan de la conscience éclairée.
Parmi les meilleurs tableaux, d’une partition fleuve captivante, se distingue le chant de souffrance et de compassion cependant, du cerf blessé à l’agonie (scène 9 cd1), chanté par un soprano féminin, dans un récit lamento des plus poignants : prière sans équivoque dénonçant la souffrance animale et qui pointe sans ambiguité tous ceux déloyaux et traîtres, « teintés d’égoïsme et de cupidité » ; une scène intense et tragique suivie par le chœur qui entonne le karma de la compassion où par sa voix collective, le cerf assassiné demande Buddha et les vertus de son enseignement : prière et louange, générosité et partage, harmonie et respect (scène 10, fin de l’acte II). La séquence n’est pas sans approcher le recueillement introspectif de son contemporain Arvo Pärt, inspiré par le même thème (« The Deer’s cry »). Deux compositeurs habités par la recherche du sens et que taraude la question du spirituel dans l’art.
Au cœur de l’acte V (qui réussit une mise en musique du Sutra du Coeur), chaque passage d’un état de conscience à l’autre, est finement évoqué : le fabuleux duo entre la chanteuse Nina et le moine ménestrel Kongxian (et sa voix sépulcrale, dans l’infrabasse) auquel succède la sublime prière de Nina en son adieu, bouleversant gémissement d’un coeur ouvert (comme en transe hypnotique) sur les cordes et les cuivres aux rebonds melliflus… (cf la vidéo ci dessous accessible actuellement sur youtube).
La puissance du chant est d’autant plus prenante qu’elle inscrit au coeur même de l’opéra-oratorio, l’expérience spirituelle vécue par Tan Dun à Danghuang, face aux mystères bouleversants des grottes peintes bouddhiques, des statues de Buddha qui y reposent toujours pour l’élévation du visiteur.
Opéra des plus saisissants, de surcroît sur un sujet hautement spirituel et moral. CLIC de CLASSIQUENEWS Automne 2023.
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PLUS D’INFOS sur TAN DUN : visiter son site officiel :
https://www.wisemusicclassical.com/catalogue/works/?composer=%5B%22Tan+Dun%22%5D&category=%5B%22Opera+and+Music+Theatre%22%5D&yearComposed=%5B0,2024%5D
VIDÉO ressources :
Youtube : BUDDHA PASSION
https://www.youtube.com/results?search_query=buddha+passion+tan+dun
Buddha Passion -The hearts Sutra ,Tan Dun (composer), Shanghai Symphony Orchestra. 29.7.2020 – Actes IV, V et VI
https://www.youtube.com/watch?v=KuAZOvEhQ0M
et aussi :
COMPOSING MYSELF : TAN DUN
Tan Dun: “Nu Shu: The Secret Songs of Women, Symphony for Harp, Microfilms, and Orchestra”
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