mardi 29 avril 2025

CRITIQUE CD événement. SYMPHONIES OUBLIÉES : Robert SCHUMANN (« Zwickauer »), BRUCKNER (« Nullte », « zéro » WAB 100). Le Concert des Nations, Jordi Savall (1 cd ALIA VOX)

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En révélant la Symphonie « Zwickauer » de 1833, Jordi Savall souligne la grande furià dont fut capable Schumann, immédiatement, dans le métier symphonique alors qu’il n’avait que 22 ans… La direction du chef catalan imprime une force souterraine, fait jaillir cette vitalité impérieuse qui enfle et rugit, emporte et triomphe. Ce dès la motricité solaire et triomphale du premier des deux mouvements parvenus, noté « Allegro molto »… et à quelques mesures avant la fin, superbement fouettée dans un tutti des plus nets et des plus élégants.

 

Jordi Savall veille à la transparence et à l’équilibre de la texture sonore, en particulier le chant irrépressible des cordes ondulantes, surtout les cuivres et aussi les timbales particulièrement sollicitées dans l’affirmation de cette autodétermination passionnelle qui caractérise la grande forge orchestrale ciselée par Robert Schumann. Cette exaspération du matériau orchestral, l’affirmation d’une activité maîtrisée, rationnelle, volontaire sont d’ailleurs d’autant plus troublantes de la part d’un compositeur dont la fin rapide est marquée par la destruction psychique et la folie. Le second mouvement « Andantino quasi allegretto, Intermezzo quasi scherzo : allegro assai » relève de cette puissance créatrice schumanienne qui fusionne toutes les énergies et les registres dans un flux canalisé avec fureur et flexibilité. La radicalité de l’écriture est servie par une sensibilité admirable, d’une subtilité et d’un souci de clarté indiscutables.

Même soin de la caractérisation instrumentale (bois, cuivres, cordes), dès le premier mouvement du Bruckner (Symphonie « zéro », en ré mineur – WAB 100) dont le chef réussit la texture mystérieuse des cordes après le souffle grandiose des cuivres… rien ne manque non plus aux épidodes d’une quiétude intime et pastorale… jusqu’à l’exultation collective et impérieuse de la fin du premier mouvement « Allegro », passionnant portique aux dimensions spectaculaires et ici le plus long comme le plus développé.
L’Andante berce par sa douceur sereine ; une séquence plus contemplative dont Jordi Savall sait creuser l’ampleur et le chant souterrain, secret.
L’apport le plus important de cette lecture très finement ciselée, est la clarté et la finesse du cadre polyphonique et du contrepoint ; Savall apporte une fluidité et une transparence très rares chez ses confrères et qui rétablit une donnée absente en général chez Bruckner, la subtilité, propice pour sa part à la quête et à l’expression de l’intime ; une ferveur nouvelle, une délicatesse qui s’invitent dans l’Andante (entre autres) et fondent essentiellement la pertinence de l’approche.
Le Scherzo regorge de vitalité dansante (à la façon d’un menuet), de fureur active, voire aussi de panache parodique : un équilibre riche et superlatif là encore.
Enfin le Finale affirme dans la sonorité très aboutie des cordes une hauteur de vue qui colore toute sa trajectoire d’une profondeur noble irrésistible. La clarté articulée défendue permet au chef d’exprimer dans vertiges et aussi netteté, les dimensions architecturales de cette nouvelle arche conclusive.
La partition composée en 1869, créée en 1924 est plus qu’un premier essai inabouti ; c’est a contrario, un écrin à ré estimer qui contient déjà l’hypersensibilité et la puissance du Bruckner à venir.

L’enregistrement réalisé ici à Namur en sept 2024 éblouit par sa verve et sa poésie, l’étourdissante intelligence qui inspire la direction à la fois poétique et puissante d’un orchestre aussi détaillé qu’électrisé. Ce premier Bruckner de Jordi Savall en appelle d’autres : à quand sa prochaine intégrale des symphonies ? Après tout, d’autres chefs habitués des approches historiquement informées se sont frottés au répertoire romantique. Mais Savall, déjà remarqué pour ses Schubert et ses Beethoven, surclasse tout ce que nous avons écouté jusque là chez Bruckner. A suivre de près.

 

 

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CRITIQUE CD événement. Robert SCHUMANN / Anton BRUCKNER : Symphonies inachevées – Le Concert des Nations / Jordi Savall, direction – enregistré à Namur, sept 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025
Plus d’infos sur le site de l’éditeur ALIA VOX / SCHUMANN – BRUCKNER : « Symphonies oubliées »… Jordi Savall, Le Concert des Nations : https://www.alia-vox.com/en/producte/schumann-brucknersymphonies-oubliees/

 

 

 

 

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