En mars 2025, le contre-ténor Franco Fagioli a publié un nouvel album captivant sous le label Château de Versailles Spectacles, consacré à Giovanni Battista Velluti, le dernier grand castrat de l’opéra. Ce disque explore un répertoire rare, associé à une figure artistique à la carrière aussi tardive que fascinante, marquée par une virtuosité hors norme et une sensibilité musicale exceptionnelle.
Velluti, un artiste entre deux époques
Si Fagioli avait rendu hommage en 2013 à Caffarelli, star des années 1730-1750, il se tourne cette fois vers un interprète dont l’apogée se situe entre 1805 et 1825, une période où les castrats étaient déjà en déclin. Gluck et Mozart leur préféraient les ténors, et Velluti apparaît comme le survivant d’une tradition sur le point de disparaître. Originaire des Marches, formé dans une région qui a donné naissance à d’illustres chanteurs (Carestini, Pacchierotti), il entame sa carrière à 17 ans, après une légende tenace – et peut-être fondée – selon laquelle sa castration aurait été accidentelle, détournant une destinée militaire vers les planches lyriques.
Un répertoire redécouvert avec éclat
L’album met en lumière des airs emblématiques de la carrière de Velluti, interprétés avec une maîtrise vocale époustouflante par Fagioli. Trois extraits de Giuseppe Nicolini, compositeur alors célèbre mais aujourd’hui oublié, illustrent la richesse de ce répertoire. Dans « Vederla dolente » (Balduino duca di Spoleto), Fagioli joue avec subtilité des contrastes entre voix de tête aérienne et registre de poitrine profond, tout en respectant le paradoxe d’un tempo vif pour exprimer la douleur – une signature de Velluti. « Ah se mi lasci o cara » (Troiano in Dacia), dialogue entre la voix et la clarinette, révèle une tessiture plus mezzo-soprano, rappelant les rôles mozartiens ou rossiniens où Fagioli excelle.
Le sommet artistique : Carlo Magno de Nicolini
La pièce maîtresse de l’album est sans conteste la grande scène « Ecco o numi compiuto… Ah quando cesserà… Lo sdegno io non pavento », tirée de Carlo Magno (1813). Cette œuvre se distingue par sa structure audacieuse, échappant au schéma récitatif-aria traditionnel. Après une introduction orchestrale marquée par le basson, Fagioli déploie une palette émotionnelle remarquable : pathétique dans les récitatifs, délicat dans la prière, héroïque dans le rondo final. Les prouesses techniques – sauts d’octaves, vocalises vertigineuses – sont transcendées par une expressivité poignante, démontrant que Nicolini mérite une réhabilitation urgente.
Mercadante et Morlacchi : entre virtuosité et pré-romantisme
En revanche, l’extrait de Andronico de Saverio Mercadante semble moins inspiré, malgré la virtuosité étincelante de Fagioli. La cavatine « Soave imagine » brille par sa ligne vocale ciselée, mais l’ensemble pâtit d’un certain académisme. Plus captivant, Tebaldo e Isolina de Morlacchi séduit par son orchestration colorée (hautbois, trombones) et son lyrisme pré-verdien. La romanza « Caro suono lusinghier », en duo avec la flûte, permet à Fagioli de déployer un timbre soyeux avant d’éblouir dans des variations improvisées.
Un bis en guise d’ouverture et Rossini en clôture
Le disque s’ouvre sur un air ajouté par Paolo Bonfichi à une reprise d’Attila (1814), que Velluti chantait souvent en bis. Simple mélodie enrichie de fioritures extravagantes, elle incarne l’art des castrats : un prétexte à prouesses vocales, ici exécutées avec une aisance déconcertante par Fagioli. Et il s’achève avec un extrait de Il vero omaggio, cantate de Gioacchino Rossini, seule autre collaboration entre le compositeur et Velluti après leur brouille légendaire (due, dit-on, aux libertés prises par le castrat dans Aureliano in Palmira). L’aria du berger Alceo, ornée de gruppetti et autres trilles, montre Fagioli dans un registre mezzo agile et charmeur, rappelant ce que Rossini et Velluti auraient pu accomplir ensemble.
Porté par l’Orchestre de l’Opéra Royal et la direction dynamique de Stefan Plewniak, cet album est un hommage éblouissant à Velluti, mais aussi une démonstration du génie de Fagioli. Son agilité, sa nuance expressive et son engagement redonnent vie à des partitions négligées, prouvant que ce répertoire mérite amplement d’être réhabilité. Une performance vocale à couper le souffle, servie par une recherche musicologique rigoureuse. Un disque à écouter absolument pour les amateurs de belcanto, d’histoire lyrique et de prouesses techniques hors du commun !
_________________________________________
CRITIQUE CD événement. Franco FAGIOLI : « The last Castrato : Arias for Velluti ». Orchestre
de l’Opéra Royal, Stefan Plewniak (direction). [ 1 cd CVS Château de Versailles Spectacles, mars 2025]. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025
Le CD est en vente sur le site de la Boutique du Château de Versailles