L’ensemble baroque Les Ombres, et son co-fondateur Sylvain Sartre, réalisent un enregistrement décisif, restituant l’ambition lyrique de Destouches, fin lulliste, protégé de Louis XIV.
Destouches est nommé par ce dernier « Inspecteur général de l’Opéra », en 1713, afin d’assainir la situation de l’Académie Royale de musique, mise à mal pendant la direction de Francine. Destouches assurera alors la direction artistique de l’Opéra jusqu’en 1730, soit 17 ans : un record absolu. Le compositeur ainsi favorisé compose plusieurs tragédies en musique, dont ce Télémaque et Calypso, créé à Paris en 1714, soit dix ans après celui d’André Campra. C’est cependant sa version remaniée de 1730 – qu’ont ici retenu Sylvain Sartre et Margaux Blanchard, les deux fondateurs des Ombres.
L’œuvre ne connaît cependant pas le succès de son précédent « Callirhoé », créé deux ans plus tôt en 1712. C’est que Destouches fait des jaloux, bien organisés à le perdre. Pourtant Destouches s’éloigne du sensible pour un tragique noble et épique, dans l’esprit d’un certain… Jean-Baptiste Lully ! Ainsi la chaconne de l’acte III, qui célèbre clairement la puissance majestueuse de l’opéra versaillais sous le règne de Louis XIV. Même le rôle de Calypso (alors incarné par la fameuse Françoise Journet) rappelle les grandes héroïnes du XVIIème siècle : elle a l’envergure des Armide, Médée, Didon ou autre Circé…
Dès l’acte I, l’impétueuse Calypso suscite les forces démoniaques, soulignant aussi la couleur fantastique et magique de ce Télémaque. Comme toute les magiciennes pourtant spectaculaires, Calypso reste ici démunie et solitaire et, à la fin de l’ouvrage, perdue par sa propre fureur. Télémaque lui préfère Antiope… De toute évidence, l’impétueuse féminité surprend ; elle permet aussi à Télémaque d’affirmer son caractère. L’épaisseur du personnage, les tiraillements d’une amoureuse toujours éconduite (avec la réussite des divertissements, sans omettre la fameuse reconnaissance d’Eucharis / Antiope, au V) expliquent certainement le succès de l’ouvrage, qui fut repris jusqu’en 1746.
La distribution vocale repose avant tout sur l’ardente Calypso d’Isabelle Druet. Qu’admirer le plus chez la mezzo française que l’on aimerait entendre plus souvent dans les grands rôles tragiques des 17 et 18ème siècles ? La reine d’Ogygie fascine par le côté impérieux et souverain de son chant, que cela soit dans ses songes inquiets, ses invocations infernales (avec tout le registre grave requis), duo musclé avec Adraste, échanges plus violents encore avec Télémaque comme avec Eucharis, qui lui vole son amant, maîtrise de la tessiture dans les emportements et surtout un sens du risque qui fait mouche et s’avère gagnant ! Face à ce tempérament volcanique, le tout jeune haute-contre Antonin Rondepierre (Télémaque) s’avère quelque peu fragile, ayant parfois maille à partie avec l’héroïsme requis par son personnage, mais le timbre est beau, la technique déjà à la fois soignée et solide, et l’on retrouvera avec plaisir ce chanteur promis à un bel avenir dans ce répertoire. Dans le rôle d’Eucharis (Antiope), Emma de Negri brille dans un registre qui lui sied, celui de la plainte amoureuse comme celui de l’aveu pudique, avec une voix tout à la fois corsée et superbement projetée.
Les comprimari sont impeccablement tenus, ainsi de la basse Adrien Fournaison (Apollon) et du ténor David Tricou (Arcas), mais on a connu David Witczak (Adraste) avec une élocution plus nette. A ce niveau, celle de la soprano franco-marocaine Hasnaa Bennani (Amour, Cleone…) est un modèle du genre, avec un timbre particulièrement enchanteur, et une ligne de chant de toute beauté. Et si le jeune Colin Isoir manque lui aussi encore de maturité pour rendre justice à son personnage (le Grand-Prêtre de Neptune), Marine Lafdal-Franc convainc en Minerve et Grande-Prêtresse). Enfin, les seize Chantres de Versailles, remarquablement préparés par Fabien Armengaud, convainquent par leur souci de cohésion mais aussi leur souplesse méritante.
Après avoir ressuscité (et enregistré) Sémiramis du même Destouches, Sylvain Sartre renoue avec le succès et l’enthousiasme générés par son premier enregistrement, en communiquant tout l’élan et la fougue nécessaires à l’ensemble des instrumentistes de son ensemble Les Ombres – avec une mention pour la virtuose percussionniste Marie-Ange Petit… quelle tempête à la fin, mais aussi quel récit du songe !
En plus du CD, on peut aussi aller entendre l’ouvrage lors de sa reprise avec les mêmes artistes le 19 juin dans la Salle des Croisades du Château de Versailles !
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CRITIQUE CD événement. DESTOUCHES : Télémaque et Calypso (version de 1730). Les Ombres / Margaux Blanchard & Sylvain Sartre (2 CD Château de Versailles Spectacles).
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