Entre surgissement et impérieuse nécessité, efflorescence pulsionnelle et pourtant clarté de la structure, la direction de Klaus Mäkelä sur le métier berliozien, fait merveille ; par sa justesse économe, sa profondeur expressive, une alliance rare entre sens du détail et qualité et puissance de l’architecture, les instrumentistes de l’Orchestre de Paris le suivent sans sourciller. A 27 ans, Klaus Mäkelä joue la partition la plus fascinante du romantisme français, conçue par un Berlioz de… 27 ans. La réussite est totale tant elle prodigue les vertiges symphoniques espérés.
Pièce maîtresse du programme, la Symphonie Fantastique sort régénérée d’une compréhension particulièrement aboutie. Le premier mouvement (« Rêveries – passions ») est conçu comme le jaillissement de sentiments et d’émotions incontrôlés, scintillants, énigmatiques, dans un bouillonnement de séquences variées, caractérisées, ininterrompues qui exprime le désarroi du héros saisi dans une tempête de sensations irrépressibles, entre amour, passion, hypersensibilité. Ici se cristallise en un maelström primitif, l’ardent désir que suscite chez Hector, la beauté de l’actrice Harriet Smithson, actrice shakespearienne irrésistible alors (découverte sur scène dans Ophélie).
Le deuxième mouvement (« Un bal ») n’est qu’ivresse éperdue et perte des sens ;
Le 3è (« Scène aux champs »), explore d’autres sensations, celles d’un paysage, motif pleinairiste dans le sillon de la Pastorale de Beethoven que Berlioz revisite avec cette hypersensibilité, et la puissance de son tempérament tout inféodé à l’empire du sentiment. Du reste voici la partie la plus développée, la plus longue (17mn précisément dans cette lecture) où dans la tendresse des bois, la noblesse des cuivres, l’ardente prière des cordes semble enfin trouver équilibre et apaisement, en contact régénérateur avec l’insondable Nature (saluons le solo de clarinette ; les reprises particulièrement soignées en murmures mystérieux, avec accélération saisissante puis deccelerandos prodigieux de gravité profonde… pour exprimer un détachement apaisé mêlé à une indéracinable mélancolie, avant le solo final du cor anglais)…
Les 2 derniers tableaux font basculer le psychisme du héros dans une nuit dramatique et anxiogène plus tourmentée, plus impétueuse encore, traversée par la violence des visions proprement fantastiques où tout espoir de paix, est perdu ; insatisfait, inconsolable, Berlioz y réactive les cauchemars de l’enfance, qu’ont vivifié les vicissitudes de sa vie amoureuse éprouvante (car Harriet le repousse d’abord… et finit par l’épouser 3 ans après la création triomphale de la Symphonie Fantastique, en 1833)… La lecture qui collectionne une successions de paysages particulièrement caractérisés, clarifie chaque état d’âme. « La marche au supplice » brille par sa coupe sautillante et grotesque (chant sombre mais pétillant, danse hideuse des bassons) ; jusqu’à l’extase sauvage et l’abandon dans la folie du « Songe d’une nuit de Sabbat » ; la furie monstrueuse qui s’amplifie par la seule succession géniale des pupitres, aux couleurs expressives idéalement sollicitées, approche la brutalité poétique de Moussorgski et annonce aussi l’éclat surexpressif du Dukas de l’Apprenti Sorcier ; cette transe originelle (portée par le délire de la clarinette qui entraîne tous les pupitres) saisit tout autant, et qui en rappelle une autre, également placée en séquence finale, celle de la Valse de Ravel (1920), jouée ensuite. Pertinent couplage. On y retrouve les mêmes bassons primordiaux, dont la chorégraphie souterraine emporte toute la pièce vers son déséquilibre déhanché, dans son développement à la fois sensuel et fatalement envoûtant. Clarté et abandon, détail et ivresse, et aussi jubilation heureuse dans le relief des timbres : magistral. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025
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CRITIQUE CD événement. BERLIOZ : Symphonie fantastique / RAVEL : La Valse. Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä, direction – 1 cd Decca Classics – Enregistré en septembre et déc 2024 – Philharmonie de Paris
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur DECCA : https://shop.decca.com/products/berlioz-symphonie-fantastique-ravel-la-valse-cd?srsltid=AfmBOooH-G7AVn-nbOawXff2pcOGlBixdDLSSgv4TUBGMXeqDNuUvz2i
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autre cd Klaus Mäkelä / Decca Classics
sur CLASSIQUENEWS :
DECCA : MÄKELÄ / SIBELIUS : fin mars 2022
A la tête de l’OSLO PHILHARMONIC / Orchestre Philharmonique d’OSLO, le jeune maestro finnois Klaus Mäkelä (actuel directeur musical de l’Orchestre de Paris) « ose » malgré son âge une première intégrale des 7 symphonies de Sibelius, en complément du coffret annoncé chez Decca, Tapiola, Trois derniers fragments. D’abord conçu comme une cycle de concerts de 9 mois avec le Philhar d’Oslo, l’intégrale – covid oblige, s’est muée en projet discographique de grande envergure (avec tournée européenne dans la foulée en avril et mai 2022). La phalange d’Oslo est d’autant plus légitime à jouer Sibelius que ce dernier la dirigeait déjà pour 3 concerts en 1921. L’écriture de Sibelius livre à la Finlande sa propre identité symphonique jusque là dominée par les allemands et les russes. MÄKELÄ soigne en particulier la puissance, la noirceur et la profondeur des cordes selon une vision transmise par le chef Mariss Jansons. Après Solti (1948), Chailly (1978), Klaus MÄKELÄ est le 3è maestro à signer un contrat chez Decca. Filiation prestigieuse et souhaitons-le prometteuse. A suivre.
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