CRITIQUE CD événement – Amadè / Julie Fuchs (1 cd Sony classical) – La conception du programme s’impose d’emblée par sa réussite ; de toute évidence, les concepteurs ont veillé à la fluidité harmonique de chaque transition, d’un morceau à l’autre : douceur caressante interrogative de l’ « ho perduta » puis douceur tendre de la flûte des « Petits riens », lesquels ont la grâce enfantine de la flûte qui suit : désespoir de Pamina (air accablé, désespéré « Ach, ich fuhl’ », aux accents prémonitoires et tragiques…), le timbre de la soprano Julie Fuchs, miellé, énoncé avec retenue et douceur y compris dans les aigus aussi agiles que ronds, séduit tout du long. L’intelligence de la soliste, ses tenues de notes, sans surjeu ni effet pétaradant (Mozart ne le permet pas), s’accorde avec le style de l’orchestre vif-argent dirigé par Thomas Hengelbrock, au nerf percutant, fouetté (1er intermède orchestral très sturm und drang et gluckiste à souhait : Allegro de Thamos avec le pianoforte qui ajoute une couleur ronde malgré les pointes des cordes, parfois sardoniques) – feu et éclairs partagés par le chant agité, paniqué extrait de Zaïde / Das Serail (« Tigerl »), scène autonome qui fusionne imprécation et vision hallucinée, proclamées en un dernier mot qui vaut cri.
L’adéquation entre l’agilità native du soprano Fuchs avec les vocalises douée de belle ardeur de Constanze « Ach ich liebte » (Enlèvement du Serail), accordées à l’orchestre articulé, ciselé (cors naturels d’une idéale couleur) convainc et retire toutes réticences.
Voilà un superbe portrait de captive, aussi déterminée, tendre qu’ardente et rebelle. La justesse de l’intention est superlative.
Le sublime air de Suzanne « Giunse al fin il momento » se déploie avec le même naturel et un sens palpitant du verbe amoureux. D’autant que l’orchestre partage les mêmes accents nuancés de la cantatrice.
La transition avec la cantate d’Ofelia, rareté traversée par le même angélisme tendre se réalise avec délices.
L’air de concert « Ch’io mi schordi di te » / si proche dans l’esprit des airs de Fiordiligi dans Cosi fan tutte, exprime avec le pianoforte d’une même souplesse crépitante, la fragilité d’une héroïne touchée au cœur (ses questionnements déchirants : « perché »), ardente, déterminée là encore dont le chant exprime l’intensité de l’émotion suscitée. Voilà assurément le point de fusion totale, entre instruments et voix, déroulé en plus de 8 mn d’une grâce absolue.
Un lugubre se révèle dans le Rondo « Non temer » ; puis l’abandon et la solitude nue, exposée (cor de basson) se déploie avec la même acuité expressive dans le canon pour 4 voix de vents et bois : « Nascoso è il mio sol » , d’une tendresse noire presque dépressive d’un absolu dénuement.
Tout portrait féminin mozartien ne pourrait s’accomplir pleinement sans l’exquise sensibilité de Rosina, devenue comtesse des Nozze ; la belle captive libérée, courtisée, est ici devenue comtesse seule, abandonnée, trahie ; digne mais douloureuse : juste un vibrato parfois immaîtrisé, mais la conviction avec laquelle Julie Fuchs incarne le personnage suscite l’admiration. D’autant que les instrumentistes comme inspirés par la solistes osent ici une variation quasi improvisée qui renouvellent le déroulement de l’air.
Le dernier lied (« der Trennung ») semble résonner comme l’écho dépouillé de l’air de Pamina précédent : gravitas ultime, dénuement et solitude : la voix et le pianoforte disent un état halluciné, traversé par un vertige d’une tendresse éperdue, sacrificielle… déjà Schubertienne. Magistral récital tant pour l’interprétation de chaque séquence que la continuité dramatique du programme aux transitions d’une rare subtilité.
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CRITIQUE CD événement. AMADE / Julie Fuchs, soprano (1 cd SONY CLASSICAL). Balthasar Neumann orchestra / Thomas Hengelbrock – 1 cd SONY CLASSICAL – NOTE : 5 / 5 – CLIC de CLASSIQUENEWS.