Magnifier l’école flûtistique française via les pièces chambristes du XXe siècle : c’est l’indéniable réussite de cet album avec Mathilde Calderini (flûte) et Aurèle Marthan (piano). Couvrant la période féconde de 1900 jusqu’à notre présent, la musique de chambre française révèle ses séductions. Jeu de timbres, chatoiement harmonique, touches de fantaisie, éclats de virtuosité : tout éclaire soit le romantisme tardif (Bonis), soit la synthèse impressionniste (Debussy) soit un néoclassicisme enjoué (Arrieu, Poulenc).
Le dialogue flûte / piano est tour à tour alterné, fusionnel, fragmenté avec la complicité de jeunes interprètes, ex collègues d’études au Conservatoire national de Paris. Après la virtuosité expressive du Concertino de Chaminade (1902), l’auditeur est envouté par les miroitements orientalistes de la flûte au fil des Epigraphes antiques de Debussy (1914) via la poésie de Pierre Louÿs (Chansons de Bilitis), dans la transcription de K. Lenski. Ailleurs, les élans du souffle se prolongent dans les ramifications pianistiques de la Sonate op. 64 de Bonis (1904) avec un dynamisme palpable (Scherzo). Toutefois, la mobilité des émotions atteint son apogée dans l’iconique Sonate FP 164 de Poulenc (1957), tant par la grâce de l’Allegro malinconico que les coups de griffe giocoso de son Presto.
Le parcours des huit pièces s’inscrit dans l’excellence de l’école flûtistique française, peu à peu instaurée après la création du Conservatoire national de Paris sous la Convention (1795). De fait, la sonorité et la virtuosité flûtistiques deviennent des atouts internationalement prisés grâce à ses talentueux enseignants, de François Devienne jusqu’à Paul Taffanel, dédicataire du Concertino de Chaminade en vue du concours de sa classe. Leur descendance est assurée avec Louis Fleury, créateur de la pièce de Bonis et de Syrinx, puis avec Jean-Pierre Rampal, créateur de celle d’Arrieu. Dans cet album, Mathilde Calderini (super soliste de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France) se positionne dans leur sillage par la fluidité du jeu et le velouté du son qui lui ont permis d’être nommée dans la catégorie Soliste instrumentale aux Victoires de la musique (2024). Dans leur sillage, elle devient à son tour inspirante pour la création contemporaine.
Quant au titre « Avec elles », il est en partie validé par la sélection de quatre compositrices – Cécile Chaminade, Mel Bonis, Claude Arrieu et Lise Borel. Si nous tentons un faire commun de celles-ci, ce serait une sorte de prédilection pour les arabesques et la luminosité. Quoiqu’il en soit, la visibilité des compositrices permet de distinguer ce cd de celui du flûtiste Vincent Lucas, Paris, the Art of the Flute 1900 (label IndeSens, 2022), tout aussi éloquent. Dans la notice, Mathilde Calderini précise ses choix : « mettre en valeur des femmes qui ont contribué à l’histoire de la musique, à travers des coups de cœur et des pièces qui m’ont accompagnée dans mon parcours de musicienne. »
Dans cette optique, nous regrettons que les pièces de Lili Boulanger ne soient pas ici gravées. Nous félicitons en revanche les interprètes de révéler « Miroir » (2023), commande adressée à la jeune compositrice Lise Borel en 2023. En tuilage de l’énigmatique Syrinx de Debussy, ses arabesques flûtistiques (monodiques) se métamorphosent en contrepoint (avec la main droite du piano) puis en véritable duo. Si le geste est réussi et joliment restitué, le langage passéiste n’ouvre cependant pas de nouveaux horizons (a contrario, les Cinq incantations de Jolivet renouvelaient le répertoire de flûte dès 1938). Signalons la création de « Miroir » par les deux artistes au Festival de Guéthary (le 14 août 2024). Une manifestation dont le pianiste Aurèle Marthan est le fondateur et directeur artistique.
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CRITIQUE CD. Avec elles – Mathilde Calderini, flûte / Aurèle Marthan, piano (1 CD Alpha classics 1061)