Rareté à l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne : première représentation dans son intégralité de la Princesse de Trébizonde d’Offenbach, considérée à son époque comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de son créateur. Créée en juillet 1869 à Bade dans une version en deux actes, cette pièce est remaniée pour les Bouffes Parisiens et conquiert la capitale en décembre 1869 dans une nouvelle mouture en trois actes, comportant dix morceaux de plus, gagnant ainsi en unité, la musique demeurant toujours aussi inspirée et réjouissante. Le succès est tel que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’œuvre est jouée partout, de Londres à Vienne, jusqu’aux Etats-Unis et en Australie. A Prague, de 1863 à 1883, elle figure même parmi les huit opéras les plus joués, aux côtés du Faust de Gounod et du Trouvère de Verdi, devançant même Les Huguenots de Meyerbeer et La Muette de Portici d’Auber.
Princesse trépidante
Saluons l’audace de la maison stéphanoise, qui, après le spectacle donné par Les Tréteaux Lyriques au Trianon voilà plus de trois ans, offre à son public une fastueuse production pour servir au mieux ce petit bijou de l’opéra bouffe offenbachien.
L’intrigue nous conte les aventures de la famille de saltimbanques composée de Cabriolo, sa sœur Paola, ses filles Zanetta et Régina, auxquels se rajoute Trémolini, ancien domestique devenu forain par amour pour Régina. La troupe abrite un musée de cire qui fait figure d’attraction. Mais lorsque le nez de la Princesse de Trébizonde, poupée phare de l’exposition, se retrouve cassé, c’est Zanetta qui prend sa place. Le prince Raphaël, en visite à la foire, s’éprend instantanément de la » statue « . C’est alors que les saltimbanques gagnent un château en loterie : ils doivent quitter leur vie de bohème. Mais ils s’ennuient dans leur nouvelle demeure, et le prince Raphaël force son père, le prince Casimir, à acheter la collection de cire de Cabriolo, notamment la Princesse si troublante de vie, ainsi que toute la troupe. Il peut ainsi profiter à loisir de sa Zanetta, statufiée aux seuls yeux de la cour. A la faveur de la nuit, un triple rendez-vous galant s’organise, interrompu un instant par Casimir, qui finit par proclamer un mariage général.
Le personnage de la Princesse préfigure irrésistiblement l’étrange Olympia et annonce déjà Les Contes d’Hoffmann. C’est cette piste qu’a suivi le metteur en scène belge Waut Koeken, mariant avec bonheur l’esprit forain à la satire sociale, le romantisme nimbé de noirceur d’Hoffmann étendant son aile à tout le spectacle.
Ainsi cet orgue de barbarie aux accents inquiétants et hypnotiques, égrenant des extraits d’œuvres du Petit Mozart des Champs-Elysées, et notamment au troisième acte, la célèbre Barcarolle, au moment du triple rendez-vous nocturne. Superbe idée que cet immense carrousel évoquant à la fois la ronde, le tourbillon, la foire, la prison dorée de notre troupe de saltimbanques. Les costumes, fantasques et bariolés, évoquent à merveille cet esprit de cirque rappelant à chacun son âme d’enfant, et les dialogues, évoquant avec brio l’actualité, font mouche à chaque instant, pour un éclat de rires général.
La distribution réunie sur le plateau se révèle remarquable de cohésion comme d’enthousiasme communicatif. Aux côtés du Sparadrap à l’humour ravageur d’Antoine Normand et du Prince Casimir, jeune père, toujours bien chantant, clair, incisif et percutant de Raphaël Brémard, on ne peut qu’être séduit par la famille du Cabriolo hilarant de Lionel Peintre. Le Trémolini d’Emilio Gonzalez Toro fait admirer son beau timbre, malgré des aigus prudents, tandis que Romie Estèves virevolte en Régina : elle éclaire son geste vocal, à mi-chemin entre mezzo et soprano. Mention spéciale pour la Paola ardente de Marie-Thérèse Keller, à l’abattage dévastateur, et véritable leçon de chant français, tant dialogues et chant semblent portés par la même émission haute et claire, portant loin dans la salle, le moindre mot et la moindre intention.
Marie Kalinine trace un portrait tout en tendre mélancolie du Prince Raphaël, rappelant Chérubin, Siébel et Oktavian, en un personnage très attachant. Seule demeure une certaine opacité vocale, comme un grossissement des voyelles, rendant la compréhension du texte parfois difficile et ôtant à l’instrument une partie du rayonnement brillant qu’il pourrait avoir avec un geste moins opératique et plus proche de la voix parlée. Le contraste est frappant avec la Zanetta toute en clarté naturelle d’Amel Brahim-Djelloul, aussi piquante que ravissante, gardant une part de mystère en Princesse mécanique, un dédoublement de personnalité ajoutant au charme de la jeune femme.
Tous semblent s’amuser comme des fous, galvanisés par les étourdissants acrobates présents sur scène et soutenus par un Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire en grande forme, pleinement investi dans ce projet tourbillonnant.
Même malice débordante à la baguette : Laurent Campellone prend un plaisir visible à diriger cette partition débordante de couleurs et de folie, suivi comme un seul homme par un Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire aux couleurs superbes, à la sonorité éclatante, à la jubilation évidente.
Et c’est un triomphe au rideau final qui salue cette découverte musicale aussi gourmande qu’une pomme d’amour et une barbe à papa, dont on reprendrait bien un morceau.
Saint-Etienne. Grand Théâtre Massenet, 17 mai. Jacques Offenbach : La Princesse de Trébizonde. Livret de Charles Nuitter et Etienne Tréfeu, adapté par Waut Koeken et Benjamin Prins. Avec Zanetta : Amel Brahim-Djelloul ; Le Prince Raphaël : Marie Kalinine ; Cabriolo : Lionel Peintre ; Trémolini : Emilio Gonzalez Toro ; Régina : Romie Estèves ; Paola : Marie-Thérèse Keller ; Le Prince Casimir : Raphaël Brémard ; Sparadrap : Antoine Normand ; Le Directeur de la Loterie : Christophe Bernard ; Les Pages : Roselyne Giraud, Catherine Bernardini, Claire Babel, Anne Crabbe, Catherine Séon, Stéphanie Boré. Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire. Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Laurent Campellone, direction musicale ; Mise en scène : Waut Koeken. Dramaturgie et assistante à la mise en scène : Benjamin Prins ; Scénographie : Benoît Dugardyn ; Costumes : Nathalie Van Nyvelseel ; Lumières : Nathalie Perrier ; Chorégraphie : Joshua Monten ; Chef de chœur et assistant à la direction musicale : Laurent Touche ; Chef de chant ; Cyril Goujon