COMPTE RENDU, opéra. GOZO (Malta), Teatru Astra, le 25 oct 2018. VERDI : La Traviata. L’OPERA comme expérience collective et populaire. Ce n’est rien d’écrire que l’opéra à Gozo, à travers l’offre de ses 2 théâtres lyriques à Victoria rayonne d’un éclat particulier. Ainsi dans la salle du théâtre (Teatru) Astra : le genre est unanimement adopté par tous. Immédiatement ce qui saisit le mélomane amateur d’opéras, habitués des salles européennes, c’est l’ambiance bon enfant et ce goût partagé naturellement par tous pour l’expérience lyrique. L’implication est au cœur de chaque représentation car à l’occasion de ce « festival d’opéras » (festival méditerranéen / Festival Mediterranea à Victoria, sur l’île de Gozo, la seconde de l’archipel maltaise) qui a lieu chaque mois d’octobre dans la ville de Victoria, le nombre de bénévoles, incluant une grande communauté de locaux, reste constant, en ferveur, en générosité, en participation surtout : nombre d’habitants sont figurants, choristes, personnel de salle… autant d’initiatives qui contribuent à renforcer ce lien social qui manque tant en France. Et qui fait du concert, de l’opéra : une célébration du collectif. La culture, ciment du vivre-ensemble et de la curiosité vers les autres, voilà une vertu que l’on redécouvre dans l’Hexagone, mais qui est depuis l’après-guerre à Victoria, une activité naturelle défendue avec passion.
De fait, nul ne s’étonne dans la salle, à quelques minutes avant le spectacle, de la ferveur d’un public très passionné qui applaudit spontanément à chaque fin d’air et de tableau collectif. La chaleur se transmet du parterre à la scène ; un encouragement permanent pour les solistes qui chantent leur duo sur un praticable devant la fosse d’orchestre et à quelques centimètres des premiers spectateurs. Cette proximité ajoute à l’intensité de la représentation.
L’opéra à Gozo (Malte)
La fièvre du lyrique intacte au Teatru Astra de Victoria
D’emblée, le cadre intime du Teatru ASTRA, offre une bonne acoustique qui permet de beaux équilibres entre solistes, orchestre et chœur.
Ce soir sur les terres du ténor vedette, véritable trésor national vivant et ambassadeur de la culture maltaise, Joseph Calleja, c’est une soprano native qui chante le rôle-titre : Miriam Cauchi. La cantatrice maltaise n’a certes pas des trilles précises mais la chaleur du timbre et la justesse de l’intention font une Violetta particulièrement digne et émouvante. Elle n’a pas le physique ni la jeunesse du personnage (du reste qui pourrait chanter à 17 ans un rôle qui exige tant de la chanteuse comme de l’actrice?), mais Miriam Cauchi sait soigner un chant crédible, incarné, qui reste, vertu de plus en plus, mesuré (combien d’autres divas en mal d’effets démonstratifs, cultive un vérisme hors sujet chez Verdi).
Face à elle, Alfredo ne manque pas d’aplomb ; le ténor italien Giulio Pelligra a de la vaillance à revendre trop peut être car dans ses duos avec sa partenaire, davantage d’écoute de l’autre, plus de dolcezza suave auraient mieux réussi ce qui doit exprimer la magie enivrée de leur première rencontre (au I, par exemple, pour le Brindisi final)…
Reste l’excellent Germon père du baryton russe Maxim Aniskin qui est la vedette de la soirée tant sa prestation suscite bien des éloges ; le style, la noblesse humaine, la finesse vocale de sa caractérisation illustrent idéalement le type du baryton verdien (il a la voix et la couleur pour chanter Boccanegra) ; l’acteur clarifie l’évolution du personnage à travers sa présence à l’acte II : il est d’abord conquérant, sûr et inflexible, puis au contact de la pécheresse qu’il est venu sermonner et véritablement sacrifier (pour l’honneur familial), père ému, âme noble et compatissante, saisi par la dignité sacrificielle de Violetta, cette courtisane magnifique, qui accepte de rompre avec Germont fils.
Dans le duo avec Violetta, lui troublé, ému, compassionnel / elle, éperdue, blessée-, le chanteur arrondit les angles, caresse chaque nuance de sa partie, s’enlace véritablement au chant de la soprano; sans jamais la couvrir trop ; une telle musicalité accordée à l’autre est exemplaire et donne enfin à entendre ce chant chambriste si fin et nuancé ; proche du théâtre et qui doit beaucoup au bel canto bellinien.
Puis son grand air où il sermonne cette fois son fils en le rappelant à plus de maîtrise et de sagesse est légitimement plébiscité : le soliste est un immense interprète, dans le style, la nuance. Un régal lyrique.
De son côté, l’Orchestre Symphonique de Malte, sous la direction de Philip Walsh, veille à la couleur et au caractère de chaque acte : brillant au I ; plus contrasté au II (entre le sacrifice et le renoncement de Violetta, et son humiliation publique à Paris) ; tragique, intimiste, crépusculaire au III. C’est au final une production nouvelle (commande du Teatru Astra) qui réalise alors un spectacle prenant, poétiquement juste avec des solistes de haut vol, plutôt convaincants. Il n’y a aucun doute : la tradition de l’opéra est flamboyante à Gozo, et ses manifestations, comme en cet automne 2018, particulièrement séduisantes. Rendez-vous est déjà pris pour l’automne 2019.
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COMPTE-RENDU, opéra. VICTORIA (Gozo, Malte), le 25 oct 2018. VERDI : La Traviata. Cauchi, Aniskin, Stinchelli, Walsh.
distribution
Violetta Valéry : Miriam Cauchi (Soprano)
Alfredo Germont : Giulio Pelligra (Tenor)
Giorgio Germont : Maxim Aniskin (Baritone)
Flora Bervoix : Oana Andra (Mezzo-soprano)
Philip Walsh, direction. Enrico Stinchelli, mise en scène.
Orchestre Philharmonique de Malte / MPO Malta Philharmonic Orchestra, choeurs du Festival Méditerranée de Gozo.