Après Faramondo de Haendel en 2009 et Artaserse de Vinci en 2012, c’est avec un opéra de Hasse que Max Emanuel Cencic nous revient. Si le CD en est sorti à la rentrée, unanimement salué par la critique et un réel succès auprès du public, sa création scénique en première à l’Opéra Royal de Versailles était très attendue. Cependant la distribution en est légèrement différente, Franco Fagioli n’étant pas libre pour l’occasion… elle n’en a pas moins été la plus belle surprise de la soirée, nous offrant de belles découvertes et confirmant des talents que l’on a retrouvés avec un réel plaisir. En cette période particulièrement morose, le rêve d’une Perse chatoyante, ne pouvait que faire venir un public nombreux jusqu’à la ville royale en quête de joyaux lyriques et de nuits enchantées. Siroé, Re di Persia de Johann Adolph Hasse, est un petit bijou qui bénéficie d’un livret de Métastase offrant des niveaux de lecture des plus riches.
Siroe : joyau lyrique
Créé en 1733 à Bologne, le succès de sa création, ne lui épargna pourtant pas une disparition complète, totalement injuste, de la scène depuis la fin du XVIIIe siècle. Ici le nombre de personnages en est réduit, six au total. Drame filiale et amours contrariés en sont les fils conducteurs qui permettent de créer des situations dramatiques et psychologiques des plus intéressantes. Cosroé, roi vieillissant, doit se choisir un héritier. Il a deux fils, Siroé et Medarse. Le premier est le plus légitime mais en conflit avec son père, car il est éperdument amoureux d’Emira, la fille d’un ennemi qu’a assassiné Cosroé de ses propres mains. Il choisit donc Medarse, le plus jeune, un jeune homme envieux, épris de pouvoir, mais en apparence fidèle et soumis à ce père autoritaire. Siroé va donc devoir traverser un certain nombre d’épreuves – politiques et amoureuses- avant de pouvoir exercer le pouvoir qui lui revient. Car sa loyauté est également mise en cause par la maîtresse de Cosroé, Loadice qui vient par la passion qu’elle voue au jeune homme, encore creuser le fossé entre les deux hommes. Aidé d’un seul ami fidèle, Arasse, Siroé parvient à déjouer les complots montés par son frère et Loadice, enfin rétablir l’harmonie dans le lieto fine.
Si pour sa première mise en scène Max Emanuel Cencic ne réussit pas un sans – faute, il parvient toutefois à faire naître l’enchantement tant attendu. Les merveilleux décors – faits de moucharabiehs mobiles aux magiques arabesques – et les costumes luxuriants, de Bruno de Levenère, lui permettent de suggérer un onirisme proche des miniatures persanes qu’il évoque dans le programme. Les superbes lumières de David Debrinay dessinent des fleurs et des calligraphies qui nous enchantent.
Malheureusement, l’abus de videos efface le côté tragique et émotionnel dans la scène de la prison. Tout comme le côté sur joué de certaines scènes, accentue plutôt un côté comique assez surprenant ici. On peut également aussi regretter des références à la franc-maçonnerie qui n’ont pas forcément leur place chez Metastase. Mais ce ne sont pas ces quelques détails qui auront gâché notre soirée, d’autant plus que doué de multiples talents, Max Emanuel Cencic a donc réuni autour de lui une magnifique distribution.
Juan Sancho dans le rôle du père rongé par le doute et les remords inavouables, campe un Cosroé tragique. Tandis que Mary-Ellen Nesi est un Medarse versatile et arrogant qui progressivement tout comme son frère d’ailleurs, gagne en maturité. La voix est parfaitement projetée et le plaisir jubilatoire de jouer le rôle du méchant est manifeste. Lauren Snouffer et Roxana Constantinescou, respectivement Arasse, l’ami fidèle de Siroé et Emira, l’amante qui souhaite tant faire porter à Siroé le poids de sa vengeance, sont de magnifiques révélations. La première nous éblouit par la pureté de son timbre et des vocalises cristalines, tandis que le timbre suave et fruité de la seconde nous ensorcelle. Julia Lezhneva fait de sa Loadice, une peste diablement séduisante. Sa virtuosité exceptionnelle dans des vocalises d’une beauté arachnéenne, lui valent une véritable ovation à la fin de son troisième air. Enfin à tout seigneur, tout honneur, le timbre de Max Emanuel Cencic aux graves d’une sensualité troublante, sa technique impeccable et sa présence scénique, font de son Siroé un personnage particulièrement attachant et séduisant.
La direction énergique et dramatique de George Petrou insuffle à l’ensemble Armonia Atenea une belle vitalité, même si l’on aimerait percevoir un peu plus de couleurs dans les récitatifs.
Grâce soit rendue à Max Emanuel Cencic et à tous ceux qui lui ont permis de porter ce nouveau programme jusqu’à son accomplissement et tout particulièrement aux dirigeants de Château de Versailles Spectacles, car on ne pouvait rêver lieu plus envoûtant que l’Opéra Royal pour une première française.
Versailles. Opéra Royal, le 26 novembre 2014.Johann Adolph Hasse (1699-1783) : Siroé, Rè di Persia, Opéra seria en trois actes. Livret de Métastase. Créée au Teatro Mavezzi à Bologne, le 2 mai 1733. Première en France d’une nouvelle production. Avec : Siroé, Max Emanuel Cencic ; Laodice, Julia Lezhneva ; Medarse, Mary-Ellen Nesi ;Cosroe, Juan Sancho ; Arasse, Laureen Snouffer ; Emira, Roxana Constantinescu; Mise en scène, Max Emanuel Cencic. Décors, Bruno de Lavenère. Lumières, David Debrinay ; Video, Etienne Guiol. Armonia Atenea ; George Petrou, direction.
Approfondir : LIRE notre critique complète du coffret DECCA : Siroe de Hasse par Max Emanuel Cencic