Compte-rendu, opéra. STRASBOURG, ONR.CAVALLI : La CALISTO. Jusqu’au 14 mai 2017. Les Talens Lyriques / Mariame Clément. VICTIMES DE L’AMOUR… LANGUEURS & EXTASE DE L’OPERA VENITIEN DU SEICENTO. Voyez ces pauvres cœurs : Pan, Endymion, le petit satyre et même la vecchia Lymphée … qui se lamentent tous, de ne pas être …aimés : palmes en cela à Pan qui reste seul et frustré en sa grotte froide et sinistre (sa vengeance n’en sera que plus sadique à l’endroit d’Endymion) ; d’autant que ce dernier, s’il est lui aussi languissant, extatique, réussit cependant à séduire et se faire aimer de Diane l’inaccessible (une prouesse car la divinité est réputée pour sa chasteté comme sa haine des hommes…). Une autre victime mais à l’inverse et à l’extrémité de cet échiquier sentimental, demeure Calisto : c’est elle qui est la plus trompée du lot ; croyant aimer Diane quand c’est Jupiter travesti, qui abuse de sa confiance, avec la complicité de Mercure, vrai dépravé par ailleurs. La Calisto de Cavalli créé à Venise en 1651 (au Téâtre d’opéra Sant Apollinare) est moins l’opéra d’une identité imprécise, comme on le dit souvent, que du désir languissant, déçu, amer, toujours éprouvant. Pour autant, le spectateur n’y retrouvera pas les éléments visuels que promettait l’affiche pour annoncer le spectacle ; en lieu et place d’un couple moderne alité (lui télécommande à la main, elle rêveuse plus lointaine, délaissée ?), il s’agit d’une immersion assez poétique qui dévoile là encore, la puissante sensualité de l’opéra vénitien au milieu du XVIIè.
ETONNANT CHOIX DRAMATURGIQUE. Une surprise désagréable d’abord : enchaîner ici l’acte I et II, c’est à dire offrir le seul entracte à la fin du II, est une erreur, car le continuum qui en découle, déséquilibre la continuité et le rythme originels. Ainsi se succèdent plusieurs scènes de lamentation et d’extase, de prière aussi, certes justes sur le plan émotionnel mais qui accumulent dans l’échelle des genres, une série de séquences semblables, plus intérieures que dramatiques: dans cette collection de prières individuelles ou de lamentos tous caractérisés et individualisés… l’ennui pointe malheureusement.
Langueur et extase cavaliennes à Strasbourg
Victimes de l’amour
ENVOÛTANTE ET TRES REUSSIE, la première scène du II, où au mont Lycée, le berger s’unit à sa déesse contre toute attente (par le truchement du sommeil et du songe) ; ils réalisent ce que tous espèrent, et souhaitent : un amour partagé. Ainsi s’énonce la superbe fusion des deux cœurs qui se reconnaissent véritablement, soit Diane et Endymion auxquels Cavalli destine ses plus beaux airs. En génie de la volupté enivrante et de la langueur, le compositeur se surpasse même. Y compris les airs de Calisto seule (dès son entrée à l’acte dans son air où elle déplore l’Arcadie sans eau, brûlée par le soleil après la chute du char solaire précipité par l’imprudent Phaëton) ; chaque air de Calisto, nymphe assoiffée (au sens propre comme figuré) exprime idéalement l’élan du désir, la quintessence d’une âme naturellement voluptueuse, prête à basculer et à s’offrir : les joyaux musicaux de la partition lui sont aussi réservés.
En écho au duo sublime Endymion/Diane (voir d’ailleurs le peintre romantique Girodet qui a peint dans le sillon de Cavalli pareilles langueur et extase du bel Endymion sous l’étreinte de la Diane lunaire, tableau au Louvre – ci contre illustration : Endymion endormi caressé par la lune) succèdent ainsi une série de facettes du désir de l’amour incandescent avec pour la plupart une bonne dose de cynisme, de cruauté, d’illusion amère voire de sadisme sexuel (viol de la vecchia par la bande des satyres lubriques à la fin du II) : ainsi le duo parodique entre Calisto et Jupiter travesti ; miroir de l’amour mensonger ou de l’illusion amoureuse : Calisto croit aimer et posséder Diane, alors qu’elle est abusée par Jupiter… on se souvient de la production mythique du regretté Herbert Wernicke avec Maria Bayo, diamant vocal d’une volupté saisissante. C’était le temps où l’on recréait l’ouvrage vénitien et avec lui toute l’esthétique sensuelle vénitienne du XVIIè (Bruxelles, 1993, sous la conduite du flamand René Jacobs). A Strasbourg, les producteurs ont écarté le registre bouffon abandonnant comme hier la performance d’une basse-bouffe dans le rôle de Jupiter / Giove car à Strasbourg, c’est en réalité la même mezzo qui joue Diane et Jupiter (déguisé en Diane).
DISTRIBUTION COHERENTE. Vocalement, la distribution rend bien ce déchaînement des passions (jusqu’à la frénésie libidineuse des faunes et du duo Jupiter/Mercure) comme la langueur insatisfaite des protagonistes : ainsi Calisto, ardente et sensuelle nymphe, s’affirme dans le timbre ample et rond de la soprano russe Elena Tsallagova, qui malgré la séduction de sa voix suave, peine cependant à ciseler le verbe voluptueux qui hier avait révélé la légendaire et diseuse Maria Bayo : il est vrai que la première ne possède pas le diamant éclatant des aigus de son aînée. Du coup, c’est toute la matière souvent incandescente du texte qui est diluée dans l’étoffe flatteuse un beau chant souvent … imprécis. La soprano ne s’alanguit pas assez dans le mystère du désir et la force irrésistible qu’il fait naître dans le cœur de celui (ou celle) qui en est traversé(e). Ses récitatifs sont trop lisses et malgré un érotisme inscrit dans le personnage, l’interprète ne mord pas assez dans la chair du texte, – en l’occurrence, le livret du cynique et fataliste Faustini, riche en images des plus lascives et en saillies truculentes, ces dernières inspirant même aux costumes des satyres d’éloquentes prothèses sexuelles (!).
Dans sa mise en scène si fabuleuse, Wernicke avait résolu la présence du lubrique et de l’indécence par des dessins et tags aux murs en forme de bites, et les nombreux passages aller-retours des personnages par une série de trappes découpées dans le cube de l’espace théâtral. Ici, le mouvement incessant des personnages et des situations alternées est résolu par une boîte centrale circulaire qui pivotante, assure le passage d’un décor à l’autre ; quant au lubrique et à l’obscénité incarnés par les faunes / satyres, fallait-il réellement affubler les comédiens de sexes apparents ? Le paillard et le grivois sont magnifiés quand ils sont suggérés.
Duo lubrique et goguenard d’une vulgarité qui discrédite la noblesse de la dignité divine, Jupiter et Mercure- respectivement Giovanni Battista Parodi (routinier) et Nikolay Borchev (engagé, bon acteur)- ; leur tandem incarne sur scène cette perversité de l’élite portée, obsédée par la gaudriole, – collectionneurs en tromperies et coups pendables les plus scabreux. Ces deux là sont deux jouisseurs d’une barbarie inepte (les précurseurs de Don Giovanni et de Leporello chez Mozart ?). Calisto fait évidemment les frais de la duplicité d’un Jupiter qui n’a rien de divin. Voilà bien ce cynisme poétique, propre à Venise, déployé par le librettiste Faustini, habile dramaturge qui n’hésite pas comme ses confrères à Venise, et ceux qui l’ont précédé, à relire au vitriol les péripéties des dieux de la Mythologie. Comme avant lui, Busenello, écrivain librettiste de la décennie précédente pour Monteverdi (Le Couronnement de Poppée, 1642).
Rayonnantes, deux chanteuses actrices d’une présence remarquable... D’abord, la Diane autrement plus engagée est doublement portée par l’agile et mordante Vivica Genaux qui exprime vis à vis de Calisto, la déesse soucieuse de pudeur chaste (quand elle est elle-même) ; mais aussi s’agissant de Jupiter travesti (en Diane), l’empire de la séduction mâle, la séduction fleurie, la promesse du rut, l’appétit du fornicateur : la mezzo de Fairbanks (Alaska) trouve et la couleur de voix et la gestuelle propre au Jupiter en verve, incarnant ce buffa virtuose qui d’ordinaire est réalisé par la basse chantant Jupiter. L’interprète convainc davantage encore dans ses duos avec Endymion, le berger langoureux lui aussi amoureusement envoûté par Diane dont les caresses lunaires l’enveloppent : ces deux là fusionnent et se répondent avec un charme éloquent.
Vivica Genaux (Jupiter déguisé en Diane) s’adresse à son complice Mercure
Junon (Raffaella Milanesi) entend la solitude douloureuse de la nymphe Calisto (II)
D’un sérieux tragique chauffé jusqu’aux braises, Junon trouve en l’impeccable soprano Raffaella Milanesi, un rôle taillé à sa suprême mesure, vocal et dramatique ; la vérité de l’épouse trahie et perpétuellement humiliée s’incarne immédiatement à son apparition : le jeu est sévère et exacerbé à la mesure de cette scène (au II) où assurant le surgissement du genre seria dans cette comédie sculptée dans l’encre la plus cynique, Junon, la déesse bafouée, donne une leçon de morale à son époux coupable, déguisé en femme, mais qu’elle feint de prendre pour Diane. La confrontation des deux figures, chacune dans un registre opposé, elle : morale trahie contre lui: insouciance frénétique, fait penser à une mère/reproche surprenant en flagrant délit son rejeton en plein larcin ; elle est humiliée, à vif ; il est léger, insouciant, à l’obscénité infidèle : un volage effronté. C’est impeccable, hilarant et fonctionne à merveille car il s’agit bien d’une comédie. La scène est le point le plus drôle de la soirée.
Parmi les hommes, outre le très vivant Mercure déjà distingué, reconnaissons la voix moelleuse et flexible de l’excellent Filippo Mineccia (belle révélation vocale), dans le rôle crépusculaire du berger Endymion, attaché au songe et à l’extase qui sont ses modes de connexion avec Diane. Tous ses airs – lamentos ou prières extatiques, expriment a contrario de tout ce que se passe ailleurs, les vertiges languissants du désir. Même justesse de ton pour le vétéran du baroque, Guy de Mey : le ténor est parfait dans le rôle travesti de Lymphée, la vieille / le « vecchia », qui pense trouver ce jeune Adonis qui saura l’aimer et la prendre malgré ses rides…
Endymion (Prologue), idéalement incarné par le contre ténor Philippo Mineccia
DANS LA FOSSE, le frêle continuo des Talens Lyriques (qui restitue le format sonore des orchestres dans les théâtres d’opéra à Venise au XVIIè) manque souvent de relief et de caractérisation optant pour un tempo ralenti au risque de diluer la tension. Pas chauffés immédiatement, les deux cornetistes dans l’ouverture sonnent, courts, étroits, rétrécis …refusant à la caresse envoûtante de la musique de se déployer : pas facile d’exprimer la poétique musicale et sonore de Cavalli dans l’un des chefs d’œuvre voluptueux érotique les mieux aboutis (1651). Néanmoins en cours de représentation, l’équilibre musique et chant, l’articulation instrumentale, comme la direction du chef se bonifient.
La mise en scène de Mariame Clément applique une lecture cohérente sur l’histoire de la pauvre Calisto, amoureuse trompée par le lubrique Jupiter et sa transformation (expédiée) en ourse puis en constellation (meilleure métamorphose finale) : la metteure en scène choisit la fosse d’un ours continûment dominé et contraint aux pitreries de cirque sous les coups de fouet que tiennent tour à tour les acteurs de ce théâtre barbare et violent. C’est une déclinaison en plusieurs épisodes des visages multiples de l’amour cruel. L’opéra vénitien connaîtrait il aujourd’hui un regain durable ? On ne peut que s’en féliciter en cette année Monteverdi qui en est l’auteur le plus impressionnant et aussi le maître de Cavalli. Cette nouvelle production de La Calisto sans réellement atteindre l’ivresse et l’extase comme la frénésie truculente des aînés baroqueux d’hier (évidemment René Jacobs en tête) ne démérite pas. Grâce au jeu d’actrices et de chanteuses accomplies que sont les divas Genaux et Milanesi, grâce au métier et à l’assurance vocale du contre ténor italien Filippo Mineccia (dans le rôle majeur d’Endymion), la lyre cavallienne surgit à Strasbourg, dans sa vérité sensuelle, âpre et enivrante, profonde et grave comme insolente et truculente. A voir à Strasbourg et Mulhouse jusqu’au 14 mai 2017.
_____________________
APPROFONDIR
VOIR notre séquence Vidéo RAFFAELLA MILANESI chante ALCINA de HAENDEL
DIVA D’AUJOURD’HUI. RAFFAELLA MILANESI, soprano : l’ardente flamme
http://www.classiquenews.com/diva-daujourdhui-raffaella-milanesi-soprano-lardente-flamme/
LIRE notre présentation de l’opéra LA CALISTO de CAVALLI, nouvelle production de l’Opéra national du Rhin, du 26 avril au 14 mai 2017
http://www.classiquenews.com/nouvelle-calisto-a-strasbourg-et-mulhouse/
Compte rendu, opéra. STRASBOURG, ONR, le 23 avril 2017. CAVALLI : LA CALISTO, nouvelle production.
______________________
Nouvelle production
Francesco Cavalli : La Calisto
Dramma per musica en trois actes avec prologue
Livret de Giovanni Faustini
Créé au Théâtre San Apollinare de Venise, le 28 novembre 1651
Direction musicale : Christophe Rousset
Mise en scène : Mariame Clément
La Calisto: Elena Tsallagova
Eternità Diana: Vivica Genaux
Giove: Giovanni Battista Parodi
Mercurio: Nikolay Borchev
Endimione: Filippo Mineccia
Destino, Giunone: Raffaella Milanesi
Linfea: Guy de Mey
Satirino: Vasily Khoroshev
Natura, Pane: Lawrence Olsworth-Peter
Silvano: Jaroslaw Kitala
2 Furies: Tatiana Zolotikova, Yasmina Favre
Les T. Lyriques
I
STRASBOURG, Opéra
me 26 avril, 20h
ve 28 avril, 20h
di 30 avril, 15h
ma 2 mai, 20h
je 4 mai, 20h
MULHOUSE, La Sinne
ve 12 mai, 20 h
di 14 mai, 15 h
RESERVEZ VOTRE PLACE
http://www.operanationaldurhin.eu/opera-2016-2017–la-calisto-opera-national-du-rhin.html
Illustrations transmises : La Calisto à Strasbourg / © K.Beck ONR 2017