vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra National de Paris (Palais Garnier), le 25 janvier 2014. Haendel : Alcina. Myrto Papatanasiu, Sandrine Piau, Cyrille Dubois… Les Talens Lyriques. Christophe Rousset, direction. Robert Carsen, mise en scène.

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Paris, Palais Garnier. Haendel: Alcina jusqu’au 12 février 2014. La production immaculée de l’Alcina de Haendel par Robert Carsen, revient à l’Opéra National de Paris pour l’ hiver 2014. Entrée au répertoire de la Grande Boutique dans cette même mise en scène en 1999, ce soir le chef baroqueux Christophe Rousset dirige son orchestre Les Talens Lyriques et une distribution des chanteurs/acteurs prometteuse et diversifiée, avec la soprano grecque Myrto Papatanasiu dans le rôle-titre.

 

 

ALCINA ROBERT CARSEN ONP 2014

 

 

Alcina ou le concert des passions

 

Alcina, comme tous les opéras serias de Haendel, est tombée dans l’obscurité après la première moitié du XVIIIe siècle. La forme seria, avec ses enchaînements d’arie da capo et de récitatifs, devenue désuète, a été ignorée, voire méprisée, pendant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe. Pourtant, lors de sa création en 1735 Alcina fait fureur avec un livret et une partition haute en couleurs, riche d’effets magiques. À la différence de l’Ariodante ou de l’Orlando antérieurs (également d’après l’Orlando Furioso de L’Arioste), le cadre surnaturel n’est qu’un moyen de mettre en valeur le concert de sentiments qui s’impose dans une oeuvre magnifique. En effet, les passions humaines sont le véritable protagoniste. Dans ce sens, la mise en scène de Robert Carsen ne fait que rehausser la valeur totale de l’opéra, désormais reconnu comme l’un des meilleurs du compositeur.

L’histoire de la magicienne capricieuse et amoureuse Alcina se déroule sur une île enchantée, où elle attire des amants qu’elle transforme en objets après s’être lassée d’eux. Elle tombe pourtant amoureuse de Ruggiero qu’elle ensorcelle et dont la fiancée Bradamante déguisée en « Ricciardo » paraît aussi à la recherche de son aimé. L’action est transposée avec intelligence par Robert Carsen. Nous ne sommes plus dans une île enchantée mais dans une maison d’un classicisme raffiné, entourée des jardins somptueux (décors et costumes très élégants de Tobias Hoheisel), le tout éclairé avec autant d’intelligence que de beauté (lumières de Jean Kalman). Les chanteurs/acteurs doivent souvent chanter des long airs où ils sont davantage exposés, grâce à la limpidité et la finesse de la mise en scène. Les reprises ou da capos sont travaillés avec une efficacité théâtrale indéniable. Un tel travail de direction scénique requiert des interprètes de qualité et surtout psychologiquement engagés.

La distribution, quoique un peu inégale, compte cependant avec des belles personnalités. L’Alcina de la soprano Myrto Papatanasiu est une sorcière riche en charisme et suavité, comme on l’attendait, mais en plus avec une expression de grande noblesse. Le travail de composition est là, même si les tempi du chef ne conviennent ou ne convainquent pas tout le temps. L’évolution dramatique du personnage, d’une sorcière puissante et vaniteuse mais blasée à une amoureuse impuissante et blessée, est incarnée avec une certaine réserve au début, mais se lâchant progressivement, la cantatrice en titre campe un « Ah, moi cor ! Schernito sei » au deuxième acte tout à fait sublime. Le mélange de douleur et de fureur est ici superbement nuancé, un réel délice audio-visuel d’une quinzaine de minutes !

Nous sommes heureux de voir Sandrine Piau dans le rôle de Morgana, ici transposé en servante d’Alcina (une note humoristique brillante de la part de Carsen). Heureux, avant tout, parce qu’elle est bien présente et en bonne santé, après une série d’annulations récentes. Heureux également parce qu’elle est très investie et convaincante, finement pétillante comme le meilleur champagne.
Son célèbre air au premier acte « Tornami a vagheggiar » est l’une des nombreuses occasions où elle ravit l’auditoire par son chant piquant et jubilatoire. Même dans la douleur de son dernier air « Credete al mio dolore » elle est toute beauté. Les mezzos de la représentation sont aussi investies, mais aux tempéraments et styles très distincts. Anna Goryachova  incarne Ruggiero de façon impressionnante. Convaincante, le timbre un peu juvénile s’accorde brillamment aux actions du personnage. Ainsi, elle chante avec l’abandon de quelqu’un qui serait aveuglé par l’amour. Si elle arrive quand même à inspirer la sympathie dans sa détresse, nous la préférons surtout dans les morceaux joyeux et éclatants, tel son premier air « Di te mi rido » délicieux ou encore son dernier « Sta nell’ircana » avec cors obbligati, un tour de force en vérité, ou elle fait preuve d’un héroïsme jouissif, d’un brio réjouissant avec une colorature solide et implacable. La Bradamante de Patricia Bardon est moins présente vocalement à cause d’une trachéite, mais ce qui manque en projection dans l’émission elle le compense avec une prestance sur scène et un engagement dramatique tout à fait persuasifs. Remarquons l’illustre Oronte du ténor Cyrille Dubois que nous suivons depuis quelque temps. Depuis son premier air « Semplicetto ! A donna credi » nous apprécions sa voix plus mature et plus brillante que jamais. S’il ne chante que trois airs au cours des trois heures, chaque fois qu’il intervient sa colorature impeccable, sa belle présence sur scène et sa charmante complicité avec les autres chanteurs éblouissent. Le baryton Michal Partyka en Melisso, peu présent également, fait preuve pourtant d’un chant stylisé, d’une présence quelque peu sévère qui lui va bien.

Finalement quoi dire des Talens Lyriques sous la direction de Christophe Rousset ? D’abord, l’orchestre est en très belle forme, ses musiciens sont réactifs et leur performance tonique. Le continuo et les vents particulièrement impressionnants. Le style du chef, quoi que peu orthodoxe, assure une lecture intéressante et originelle de l’immense partition. Si nous n’adhérons pas forcément à quelques choix de tempi (parfois timides, parfois nerveux), l’impression globale reste positive.  L’orchestre offre une prestation tout à fait spectaculaire à la hauteur de l’ouvrage et du lieu. Bravo ! A ne pas rater au Palais Garnier encore à l’affiche, les 2, 5, 7, 9 et 12 février 2014.

 

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra National de Paris (Palais Garnier), le 25 janvier 2014. Haendel : Alcina. Myrto Papatanasiu, Sandrine Piau, Cyrille Dubois… Les Talens Lyriques. Christophe Rousset, direction. Robert Carsen, mise en scène.

 

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