jeudi 28 mars 2024

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra-Comique (Châtelet), le 12 février 2017. Offenbach : Fantasio. Marianne Crebassa, L. Campellone, Thomas Jolly.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra-Comique (Châtelet), le 12 février 2017. Offenbach : Fantasio. Marianne Crebassa, L. Campellone, Thomas Jolly. Voilà une production très attendue à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’elle marque enfin l’ouverture – certes hors les murs, au théâtre du Châtelet – de la saison de l’Opéra-Comique, ensuite, parce qu’il s’agit de la deuxième mise en scène d’opéra de Thomas Jolly, après l’Eliogabalo de Cavalli, qui avait inauguré à son tour la saison de l’opéra de Paris en septembre dernier, enfin, parce qu’il s’agit d’une œuvre plutôt rare d’Offenbach, créée à la salle Favart en 1872, présentée ici après le formidable travail d’édition critique de Jean-Christophe Keck. L’œuvre rompt également avec une certaine vision univoque et étriquée du « Petit Mozart des Champs-Élysées », cantonné au registre bouffe, thuriféraire aimable du Second Empire.

 

 

L’Opéra-Comique à Paris en affichant un Offenbach rare et poétique réussit sa réouverture hors les murs…

Fantastique Fantasio

 

 

PARIS, OPÉRA-COMIQUE. Superbe Fantasio d'ouverture !La partition, reconstituée d’après l’autographe disséminé à maints endroits, révèle une musique d’une intense poésie, dès l’ouverture, raffinée, sombre et élégiaque, et l’air d’entrée magnifique du protagoniste, « Voyez dans la nuit brune ». La pièce de Musset, remaniée pour l’opéra par son frère aîné Paul, probablement aidé par le fidèle Charles Nuitter, le directeur de théâtre Camille Du Locle et Alexandre Dumas fils, conte l’histoire d’un étudiant désargenté devenu bouffon du roi de Bavière, dont la fille, Elsbeth, doit épouser à contrecœur le prince de Mantoue pour préserver la concorde entre les deux États. Fantasio, qui n’est pas insensible aux charmes de la princesse, déjoue le projet de mariage du prince qui a pris l’identité de son aide de camp pour échapper à sa mauvaise réputation, mais finit en prison. Il parvient à s’enfuir, et devant le courage dont il fait preuve dans le duel avec le prince plutôt timoré, la paix menacée est préservée et Fantasio est proclamé roi des fous.

Cet opéra-comique pas très comique, ce conte finalement peu orthodoxe, formellement instable, est un triomphe de l’imagination et l’une des partitions les plus abouties d’Offenbach. Thomas Jolly livre une vision ingénieuse et onirique, très respectueuse de l’œuvre. On admire son travail sur l’espace jamais surchargé de détails inutiles, et toujours prompt à mettre en valeur la dramaturgie des comédiens chanteurs. Sur le plateau règne une tonalité sombre, suggérée par des plaques de métal amovibles, l’ombre d’une forteresse – un souvenir de la façade néo-gothique de l’hôtel de ville de Munich ? – ; on y voit au centre un grand escalier (déjà présent dans Eliogabalo), entouré de praticables à roulettes, et éclairé de temps à autre par de nombreuses ampoules, éléments qui donnent à l’ensemble un aspect cinématographique à la Tim Burton, mais peuvent tout aussi bien être un clin d’œil légitime aux progrès techniques contemporains du compositeur auxquels il avait explicitement rendu hommage notamment dans ses opéras fééries comme le Roi Carotte. Le théâtre s’anime dès l’ouverture, plongeant les spectateurs dans l’irréalité d’une intrigue destinée à être lue dans un fauteuil et pourtant visuellement et théâtralement efficace.
On ne peut que louer la superbe direction d’acteurs, les différents tableaux (la très belle ballade à la lune du premier acte, la procession funèbre du bouffon Saint-Jean, les scènes de rébellion populaire, les préparatifs du mariage d’Elsbeth ou l’espièglerie presque collodienne de Fantasio) dont la variété n’entame en rien la cohérence de l’ensemble.

fantasio-opera-comique-opera-critique-review-classiquenews-13-Fantasio-DR-Pierre-GrosboisLe casting réuni pour cette formidable résurrection est proche de la perfection. Dans le rôle-titre (rôle travesti à la création, bien qu’une première version pour ténor avait été envisagée), la mezzo Marianne Crebassa confirme non seulement ses dons vocaux exceptionnels – voix chaude impeccablement projetée, timbre d’une rare homogénéité –, mais révèle un talent non moins précieux de comédienne : rarement un rôle travesti n’avait paru sur scène autant crédible. Marie-Ève Munger est une Elsbeth très convaincante ; malgré quelques acidités dans l’aigu, elle allie elle aussi une diction sans faille à une technique parfaitement maîtrisée (très belle « messa di voce » dans son air d’entrée « Hier j’étais une enfant »). Le prince de Mantoue est campé par Jean-Sébastien Bou, baryton à l’abattage vocal et scénique sidérant, tout comme son complice Marinoni, incarné par Loïc Félix, ténor au timbre clair et d’une belle amplitude. Dans le rôle du roi de Bavière, Franck Leguérinel, baryton racé, parfait aussi bien dans le chant que dans la déclamation. Les rôles secondaires méritent les mêmes éloges, en particulier Enguerrand de Hys, truculent Facio à la voix alliciante, la Flamel espiègle d’Alix Le Saux, le Sparck à la voix puissante, parfaitement posée de Philippe Esthèphe, ou encore l’accent teuton désopilant de Bruno Bayeux en garde suisse déjanté. Le chœur Aedès, souvent sollicité, est comme toujours exceptionnel de précision et de rigueur, et il faut une fois de plus saluer le remarquable travail de Mathieu Romano.

Dans la fosse, Laurent Campellone dirige avec souplesse et délicatesse une partition raffinée et plus opulente que dans la production plus « légère » d’Offenbach. Il n’évite pas toujours quelques menues lourdeurs, dans les fins d’acte en particulier, sans entamer cependant l’exceptionnelle réussite de l’ensemble. Gloire à ce Fantasio recréé pour la première fois dans la version originale donnée à Paris et dont le message semble être résumé par cette réplique de Hartmann, à la fin de l’opéra : « Jamais la fête des fous n’aura / inspiré de plus sages discours ». A l’affiche jusqu’au 27 février 2017

Illustrations : © P. Grosbois / Opéra-Comique

 

 

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Nouvelle production de FANTASIO d’Offenbach au Châtelet / saison lyrique hors les murs de l’Opéra Comique :

 

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