Compte-rendu, opéra. Nancy. Opéra National de Lorraine, le 15 juin 2017. Richard Strauss : Ariadne auf Naxos. Amber Wagner, Michael König, Beate Ritter, Andrea Hill. Rani Calderon, direction musicale. David Hermann, mise en scène. Une table, des convives attablés qui dinent silencieusement, pantomime gastronomique où chaque geste est ralenti, comme une réalité parallèle à la nôtre. C’est ce spectacle à la fois déconcertant et fascinant qui nous accueille dans le foyer de la maison nancéenne, bien avant le lever du rideau. Et que l’on retrouve à l’entracte, comme si le temps s’était arrêté durant la première partie de la représentation.
Grossmachtige Prinzessin
Le prologue imaginé par Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal (portrait ci contre) développant déjà une réflexion autour de l’art lyrique – et annonçant en cela Capriccio –, le metteur en scène David Hermann imagine une scénographie simple, composée d’un mur immaculé percé de trois portes qui rappellent irrésistiblement celles qu’affronte Tamino chez Mozart. De ces ouvertures s’échappent les personnages qui tournoient autour des deux œuvres se préparant en coulisse : le Maître de musique en habit sombre, le Perruquier flanqué d’une délirante crête d’iroquois, le Maître à danser costumé comme une réplique de David Bowie… ainsi que la Prima Donna et le Ténor en peignoir, chacun roulant de l’ego comme autant de mécaniques. Autour d’eux va et vient le Compositeur – dont ne sait pas bien ici s’il est homme ou femme, tenant à la fois des deux sexes – et c’est dans l’entrebâillement d’une porte qu’on voit passer la charmante Zerbinette, dont l’auteur s’éprend en un coup d’œil.
Pour la seconde partie de la soirée, le metteur en scène franco-germanique mêle avec brio commedia dell’arte et tragédie, divisant la scène en deux espaces distincts : à cour, un décor noir et terreux duquel se détachent un grand escalier ainsi qu’un tombeau nettoyé par les trois jeunes femmes Naïade, Driade et Echo, devenues autant de servantes pour Ariane. Une Ariane qui devient ainsi sœur d’Electre, comme elle condamnée à la solitude et à la douleur. A jardin, des toiles peintes arborées ainsi qu’un gazon qui composent un décor tenant autant de Watteau que de Fragonard, notamment lorsque descend l’escarpolette des cintres, achevant de rappeler le tableau du même nom peint par le second. Pastoral et tendre, l’univers de Zerbinette contraste avec celui, obscur et triste, d’Ariane. Ce n’est que dans le tableau final, alors que les figures du prologue sont étendues sur la scène, que l’unification des deux mondes semble possible, tandis que paraissent sur le plateau… les dineurs du foyer, dont on réalise qu’ils sont les commanditaires de l’œuvre qui vient d’être jouée, et qui se font tirer le portrait devant les personnages figés. Une ultime mise en abyme qui met un point final à cette mise en scène remarquable.
Remarquable également, la distribution, soignée jusque dans les plus petits rôles, tous tenus par des artistes d’exception, de cette luxueuse homogénéité digne des plus illustres maisons et qui fait les grandes soirées.
On commencera par citer le Majordome épatant de Volker Muthmann, comédien irrésistible qui multiplie les apparitions dans tout le théâtre, de la salle aux balcons, passant d’un espace à l’autre avec une célérité assez prodigieuse.
On découvre avec admiration la Zerbinette de Beate Ritter, membre du Volksoper de Vienne. A croquer dans sa robe rouge de bergère, la soprano allemande virevolte sur le plateau et éclate littéralement dans un « Grossmachtige Prinzessin » de haute école, délicat et sincère, virtuose et nuancé, couronné de magnifiques suraigus. Un nom à suivre, indubitablement.
Mais celle qui semble porter littéralement la représentation sur ses épaules, c’est bien l’Ariane exceptionnelle d’Amber Wagner. Paraissant sans limites, la voix immense d’Amber Wagner emplit sans effort une salle bien trop petite pour elle. Et c’est un bonheur d’être submergé par ce chant généreux, coulant de source, à la fois moelleux et pourtant si solidement ancré, dans la lignée des grandes sopranos dramatiques américaines. Aussi musicienne qu’héroïque, cette Ariane nous comble de joie.
Dans la fosse, c’est le même bonheur. Comme toujours galvanisé lorsqu’il est dirigé par Rani Calderon, l’orchestre en formation chambriste se distingue par de remarquables soli et une belle cohésion d’ensemble. Le chef israélien cisèle le discours musical en véritable orfèvre, sachant également porter les chanteurs dès que le discours fait place à la vocalité, en véritable chef d’opéra. L’Opéra National de Lorraine pouvait-il conclure sa saison 16-17 de plus belle façon ?
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Nancy. Opéra National de Lorraine, 15 juin 2017. Richard Strauss : Ariadne auf Naxos. Livret de Hugo von Hofmannstahl. Avec Primadonna / Ariadne : Amber Wagner ; Ténor / Bacchus : Michael König ; Zerbinetta : Beate Ritter ; Le Compositeur : Andrea Hill ; Maître de musique : Josef Wagner ; Arlecchino : John Brancy ; Scaramuccio : Alexander Sprague ; Truffaldino : Jan Stava ; Brighella : Christophe Berry ; Majordome : Volker Muthmann ; Maître à danser : Lorin Wey ; Perruquier : Thomas Florio ; Laquais : Andrew McTaggart ; Naïade : Heera Bae ; Driade : Lucie Roche ; Echo : Elena Galitskaya. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy. Direction musicale : Rani Calderon. Mise en scène : David Hermann ; Décors : Paul Zoller ; Costumes : Michael Barth ; Lumières : Fabrice Kebour / illustrations : © Opéra Nat. de Lorraine, Nancy 2017