Les nuits d’été du Languedoc sont apprêtées de leur nudité diamantine après leur dernier bain de soleil décorées ça et là de quelques cigales dont l’harmonie se tait quand le grillon enroule sa sérénade sous les arbres. Le Corum est au bout d’une fraîche allée, en face du très beau musée Fabre aux trésors inespérés. Au coeur de cette nef de marbre et d’acier se trouve la salle immense de l’Opéra Berlioz, véritable prouesse acoustique.
Les points sur les i
Entrer dans cet endroit avec la promesse d’un chef-d’oeuvre est toujours palpitant. Depuis le début, le Festival de Radio-France et de Montpellier a saisi le mélomane avec les redécouvertes et Jacques Offenbach n’a jamais été en reste. N’oublions surtout pas les Rheinnixen dont les accents romantiques et profonds font oublier l’ironie de Wagner sur le « Petit Mozart des Champs-Elysées ». En effet, Offenbach est un des compositeurs les plus méconnus de la musique Française. Tel est le sort des auteurs de tubes, on ne connait que ce qui est demeuré populaire, ils semblent condamnés à n’être que les pères que des enfants qui ont réussi, la célébrité est ingrate bien plus que l’anonymat.
Fantasio est une étape dans l’histoire de l’opéra comique et un témoin de son époque. Issu originellement du génie poétique d’Alfred de Musset, Fantasio est un personnage qui réunit tout le pathos de « l’enfant du siècle », méditatif et lunaire. Un peu une sorte de fan de Christine and the Queens en 2015, un peu dandy, un peu hipster, mais très romantique. Fantasio, l’opéra comique est créé deux ans après la défaite de Sedan qui sonna le glas du Second Empire. Dans une France humiliée et frileuse, en proie à des crises profondes et au lendemain d’une guerre civile qui opposa Paris à la province. 1872 c’est aussi une année de pénurie, de restructurations et d’occupation. A la création, le 18 janvier 1872, les armées prussiennes occupent Reims, quasiment aux portes de Paris, qu’elles n’évacueront qu’en novembre. La France vit des heures de lourde remise en cause. En créant une oeuvre plus contemplative que comique, plus sentimentale que railleuse, Offenbach a, semble-t-il déçu et énervé les publics. L’heure n’était pas au rire, mais plutôt au divertissement. Malheureusement, Fantasio tomba, malgré la beauté de la partition, la puissance poétique de son livret, fidèle quasiment mot par mot de la pièce de Musset. La mélancolie qui sévit sur la France en 1872 continue à la perturber même en 2015, on n’arrête pas un éclat de rire avec un coup de canon.
Vivre par la poésie, le rire et l’amour
Mais à Montpellier, Fantasio revient dans un contexte étrange. La France au coeur d’une crise de la culture et en proie à des remous institutionnels redécouvre un ouvrage qui nous parle du rire de soi, de l’utilité de la contemplation. Sortir de la réalité du monde pour mieux le supporter, apprendre à vivre par la poésie, le rire et l’amour. La musique est un ravissement et dans cette version de concert, elle est servie avec émotion et justesse par un Orchestre National de Montpellier-Languedoc-Roussillon remarquable. Les couleurs sont là, l’énergie aussi, qui ne dément pas que c’est un opéra comique teinté de romantisme. Les musiciens sont conduits par Friedemann Layer, formidable et sublime chef dans ce répertoire qu’il connait, qu’il comprend et qu’il transmet admirablement.
Côté voix, la fine fleur des jeunes voix Françaises était à l’honneur avec Marianne Crebassa incarnant Fantasio et Omo Bello, la princesse Elsbeth de Bavière. Marianne Crebassa a rendu la vie à Fantasio en entrant dans les travers de cet héros loufouque et fantasque, d’une bravoure et d’une émotion incontestables, les couleurs scintillantes et subtiles de la partition ont été formidablement rendues par cette interprète magistrale. Omo Bello nous ravit par la tendresse de son timbre, la délicatesse de son incarnation et ça et là par l’énergie revigorante tout le long de ses apparitions.
Jean-Sébastien Bou est un Prince de Mantoue splendide avec un grand sens du comique et un timbre délicieux tout comme son comparse Loïc Félix, inénarrable Marinoni, surtout dans le duo de substitution.
Les quatre jeunes amis de Fantasio, Michal Partyka, Enguerrand de Hys, Rémy Mathieu, Jean-Gabriel Saint-Martin déploient des purs moments de bonheur et des interventions bien plus justes que les interprètes des mêmes rôles dans l’enregistrement chez Opera Rara.
Le roi de Renaud Delaigue et le page Flamel de Marie Lenormand ont fait des apparitions remarquées malgré des personnages en demi-teinte dans la partition.
Au lieu de restituer l’intégralité des dialogues, les interventions narratives de Julie Depardieu résument assez bien l’histoire et permettent de lui donner une synthèse qui rend l’intrigue accessible.
Finalement, à part le talent réel et consacré de cette formidable équipe, ce Fantasio nous permet de saisir que c’est la contemplation et l’humilité qui semblent être les meilleures réponses aux crises d’un monde, hélas, si enclin à la célérité et à l’impatience. Contempler, savoir écouter, percevoir les sentiments et la personnalité d’autrui et rire de soi sont les principales leçons de cet opéra comique. Boudé en 1872 à cause du traumatisme et la douleur de la guerre d’ambition; en 2015, Fantasio nous est rendu pour que, par delà les malheurs, nous continuions à vivre et profiter de chaque instant envers et contre tout.
Jacques Offenbach
Fantasio (1872 – version de Paris originale reconstituée)
Fantasio – Marianne Crebassa
Le Prince de Mantoue – Jean-Sébastien Bou
Elsbeth – Omo Bello
Sparck – Michal Partyka
Le Roi de Bavière – Renaud Delaigue
Marioni – Loïc Félix
Flamel – Marie Lenormand
Facio – Enguerrand de Hys
Max – Rémy Mathieu
Hartmann – Jean-Gabriel Saint-Martin
Un Pénitent – Gundars Dzilums
Un Monsieur qui passe – Hervé Martin
Récitante – Julie Depardieu
Orchestre National Montpellier-Languedoc-Roussillon
Choeur de l’Opéra National Montpellier – Languedoc – Roussillon
Choeur de la Radio Lettone
dir. Friedemann Layer
Illustration : Omo Bello, Mariane Crebassa, Friedemann Layer © M Ginot 2015.