jeudi 28 mars 2024

Compte rendu, opéra. Londres. Royal Opera House, le 6 février 2017. Verdi : Il Trovatore. Gregory Kunde…Richard Farnes / David Bösch

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giuseppe-verdi_jpg_240x240_crop_upscale_q95Compte rendu, opéra. Londres. Royal Opera House, le 6 février 2017. Giuseppe Verdi : Il Trovatore. Gregory Kunde, Lianna Haroutounian, Vitaly Bilyy, Anita Rachvelishvili, Alexander Tsymbalyuk. Richard Farnes, direction musicale. David Bösch, mise en scène. Créée en juin de l’année dernière, la production de David Bösch imaginée pour le Trouvère connaît déjà les honneurs d’une reprise. On retrouve ainsi avec plaisir cette mise en scène sombre et décalée, ses bohémiens venus du monde du cirque, son impressionnant bûcher qui monte des dessous et son grand cœur qui s’enflamme sur les derniers accords. Malgré une direction d’acteurs sommaire, reconnaissons que cet univers visuel, éminemment personnel, fonctionne bien, et que le manichéisme contenu dans le livret n’est ni éludé ni contourné, mais au contraire pleinement assumé, comme un livre d’images qui n’est pas sans rappeler l’esthétique de Tim Burton.

La vampa d’Anita Rachvelishvili

Le soin apporté à cette reprise se reflète ainsi dans la qualité du plateau réuni pour l’occasion. Par rapport à sa prestation incandescente de l’an dernier, reconnaissons que Gregory Kunde apparaît un rien moins flamboyant. L’instrument, d’une solidité toujours à toute épreuve, semble ce soir accuser une légère fatigue, le vibrato se faisant un peu plus présent qu’à l’ordinaire. Et pourtant, toutes les notes sont là, pas un aigu ne manque à appel, jusqu’aux uts très attendus et bien présents.
Au contraire, le chanteur va jusqu’à oser des nuances nouvelles, achevant son « Ah si ben mio » sur une messa di voce inattendue, stupéfiante. On retiendra également son dernier acte, durant lequel il dévoile pour sa mère des accents de tendresse poignants. Seules les variations dans les gruppetti durant la reprise de la Pira se révèlent moins originales, davantage rythmiques que mélodiques. En outre – mais peut-être est-ce l’effet de surprise qui s’est émoussé ou nos attentes qui étaient trop grandes –, si le jeu de scène du ténor américain demeure pleinement fier et investi, nous manque une urgence qui avait rendu inoubliable sa performance passée en ces mêmes lieux.
Comprenons-nous bien: ce Manrico ne peut se comparer qu’à lui-même, pour nous l’un des derniers géants de l’art lyrique.
Peut-être est-il également moins inspiré par sa promise? Car la Leonora de Lianna Haroutounian, qu’on retrouve en pleine carrière internationale après l’avoir suivie à Massy et Tours, semble avoir perdu un peu de sa personnalité d’alors en se hissant jusqu’au niveau des grandes scènes. Tout est scrupuleusement chanté, des aigus aux graves en passant par les vocalises – bien que les pianissimi demeurent rares et certains trilles ne soient qu’esquissés –, mais cette propreté parfaitement calculée, si elle offre un résultat sonore devant lequel on ne peut que s’incliner, manque de passion, de feu, de risque. La professionnelle est à saluer, nous manquent l’artiste et la diva.
En revanche, notre Manrico paraît galvanisé par celle qui incarne sa mère alors qu’elle pourrait être sa fille, la splendide Anita Rachvelishvili, à l’occasion de sa première Azucena. Qu’on nous permette une comparaison avec la Norma de Sonya Yoncheva sur la même scène, car cette prise de rôle importante dans la carrière de la mezzo géorgienne suscite le même enthousiasme autant qu’elle soulève les mêmes interrogations. Dès les premières notes, on est saisis par l’intelligence musicale de la chanteuse. Les pianissimi ouvrant « Stride la vampa » sont précisément ceux qui manquent à Leonora, de ceux qui font retenir le souffle et tendre l’oreille pour mieux les goûter. Mais, très vite, la tessiture grave de l’air paraît entraîner la voix de la chanteuse vers le bas, et les montées sonnent ainsi un peu lourdes, comme involontairement grossies, et le vibrato s’amplifie. En outre, malgré un volume sonore impressionnant, les notes graves qui parsèment la partition semblent parfois très appuyées, ce qui nous incite à recommander la prudence pour l’avenir.
Toutefois, dès sa grande scène du II, la voix s’élève, hallucinée, emplissant tout le théâtre comme un ouragan, et l’extrême aigu sonne superbement, parfaitement placé. On admire sans réserve le génie de la musicienne, osant toutes les nuances, mordant dans le texte à pleines dents, littéralement hypnotique dans ses imprécations. Mieux encore,  l’interprète justifie pleinement les aspects névrotiques de la bohémienne, traînant avec elle un landau défoncé, émergeant d’une roulotte décorée de nourrissons en plastique et tenant dans ses bras, enveloppé dans des langes, un bébé tout aussi factice.
Après un troisième acte superbe d’intensité, c’est dans l’ultime tableau qu’Anita Rachvelishvili achève de nous terrasser, avec des phrases mezza voce littéralement murmurées, presque une confession à l’intention de chaque spectateur, dans une intensité proprement bouleversante. Et c’est une spectaculaire ovation qui accueille la mezzo au rideau final, comme une consécration.
Solide Luna, le baryton ukrainien Vitaly Bilyy fait admirer son aigu éclatant ainsi que son autorité et son mordant qui conviennent idéalement à la presque totalité du rôle. Seul son air manque de la morbidezza nécessaire, l’émission vocale demeurant uniformément vaillante et le legato un rien brutal.
Excellent Ferrando, généreux et sonore, d’Alexander Tsymbalyuk, artiste également originaire d’Ukraine et doté de moyens non négligeables.
La charmante Inès de la jeune Francesca Chiejina et le percutant Ruiz de Samuel Sakker complètement idéalement cette affiche de très haut niveau.
Fidèle à son habitude, le chœur maison impressionne par sa cohésion et sa rigueur musicale.
A la tête d’un orchestre des très bons jours, le chef britannique Richard Farnes offre une lecture de la partition dépouillée de toute vulgarité, péchant presque par excès de prudence là où aurait aimé parfois davantage d’éclat et de sang. Une très belle soirée qui salue la naissance d’une Azucena avec laquelle il faudra désormais compter et à qui l’on souhaite prudence et succès.

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Londres. Royal Opera House, 6 février 2017. Giuseppe Verdi : Il Trovatore. Livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare. Avec Manrico : Gregory Kunde ; Leonora : Lianna Haroutounian ; Il Conte di Luna : Vitaly Bilyy ; Ferrando : Alexander Tsymbalyuk ; Ines : Francesca Chiejina ; Ruiz : Samuel Sakker. Chœur du Royal Opera House ; Chef de chœur : Sergey Levitin. Orchestre du Royal Opera House. Direction musicale : Richard Farnes. Mise en scène : David Bösch ; Décors : Patrick Bannwart ; Costumes : Meentje Nielsen ; Lumières : Olaf Winter ; Vidéos : Patrick Bannwart.

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