vendredi 29 mars 2024

Compte rendu. Narbonne. Abbaye de Fontfroide, les 15,16,17,18 et 19 juillet 2014. IXe Festival Musique et Histoire. Pour un dialogue Interculturel : Territoires et cultures de l’Homme.

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La route qui mène à Fontfroide est si belle au milieu des vignes, des oliviers, et de la garrigue avec au loin quelques ruines des châteaux cathares, qu’elle devient presque un parcours initiatique, fait de senteurs merveilleuses. En la parcourant, le sentiment nous gagne d’entrer dans un ailleurs, coupé de la réalité contemporaine, un monde où l’homme et la terre nourricière, seraient à nouveau des amis à l’écoute l’un de l’autre.
Le 15 juillet, nous avons rejoint l’abbaye où nous attendaient répétitions et concerts. Tous les espaces, toutes les salles, ou quasi, sont investis par le festival. Tout ou presque est accessible au public qui souhaite pousser les portes, alors qu’il visite l’abbaye, qui lui est ouverte à la visite. Ainsi tandis que les artistes répètent, peut-on voir les techniciens du son, les télévisions, France Musique s’activer autour d’eux, afin que tout soit prêt pour les concerts. Evoquons tout de suite la sonorisation mise en place afin de rassurer les puristes. Elle est indispensable en ces lieux. Elle permet d’offrir une qualité d’écoute égale à tous. Cette année, elle n’a pas toujours été parfaite, et pourtant pas un seul d’entre nous n’a regretté sa présence en ces lieux, tant la magie de la programmation et le talent des artistes, font très vite oublier la présence de la technique. Et alors que tout n’est qu’agitation autour de Jordi Savall et de ses musiciens, que les cameramen tirent les câbles, bondissent sur la scène, enjambent les fils, les artistes se retrouvent. Arrivant des quatre coins de la planète et ne disposant bien souvent que de quelques heures pour répéter et se mettre en place, ils réinvestissent ce lieu qu’ils redécouvrent à chaque fois, tant il est si vivant. Instantanément, ils installent ce lien si particulier entre eux, la musique, les lieux et celui qui les écoute. Alors que tout virevolte autour d’eux, la sérénité s’empare pourtant de tous.

 

 

 

Festival Musique et Histoire : une source d’Harmonie

 

 

Le public vient à Fontfroide pour partager avec le maestro catalan, au-delà de la simple rêverie, des instants uniques d’affinités, d’amitié, d’amour. La musique y dévoile progressivement, ce meilleur qui sommeille en chacun de nous, si souvent craintif et apeuré. Il n’est qu’à entendre les premières minutes du Concert Orient Occident, en Hommage à la Syrie donné le premier soir, alors que les musiciens marocain Driss El Maloumi à l’Oud, le malgache Rajery au Valiha et le malien Ballaké Sissocko, au Kora improvisent un Kouroukanfouga instrumental subjuguant. Dès le concert de l’après-midi à 18 heures, ils avaient entamé Des Dialogues croisés, sous forme d’improvisation avec leurs homologues syriens Waed Bouhassoun au chant et à l’Oud, Moslem Rahal au Ney et Hamam Alkhalaf au chant. Nous les retrouvons ce soir-là, avec à leur côté deux autres chanteurs, l’israélien Lior Elmaleh et la grecque Aikaterini Papadopoulu, ainsi que de nombreux instrumentistes et le chœur d’enfants des jeunes chanteurs du Conservatoire de Narbonne. Ces derniers viendront apporter au final, avec brio, cette touche d’innocence qui permet à une mélodie commune à toutes les civilisations du pourtour méditerranéen de déployer les ailes de l’espérance. Ce concert n’est en rien « exotique », il possède cette force de l’hommage aux victimes des guerres fratricides en une terre qui pourtant appelle à la vie.
Ces concerts thématiques de « musiques du monde ancien », réunissant autour de lui pour des programmes comme Orient Occident du premier soir, ou celui sur les musiques du temps du Greco, ou bien encore celui sur les musiques des balkans qui concluait ou presque le festival, -puisque une dîner concert auquel nous n’avons pas assisté le dimanche finissait sur une folle fête mexicaine l’édition de cette année-, permettent à Jordi Savall de poursuivre ainsi son travail d’artiste de l’Unesco pour la paix. En permettant aux jeunes générations en cours de formation musicales de découvrir à côté d’adultes de tout horizon, par la musique, la richesse de ces croisements incessants de l’histoire et des cultures, il donne aux jeunes générations l’opportunité de changer le monde de demain.
Tous les concerts de 18 heures sont des perles rares et précieuses. Les talents d’improvisateurs virtuoses de tous ces musiciens, révèlent ainsi, au public étonné, les ressources infinies de leurs instruments. De Driss el Maloumi à l’oud, en passant par Moslem Rahal au Ney, ou le survolté Bora Dugic à la Frula, ou le surprenant et irradiant violoniste tzigane Tcha Limberger, tous semblent entrer en transe et en communauté d’esprit avec le public. Sourires, regards, silence, la musique, reflet de la lumière et de nos émotions, s’y épanouit. Le concert de Ferran Savall est une très belle découverte. Les onomatopées de Ferran Savall, nous racontent des histoires fantasmagoriques. Aucun musicien ne cherche à entrer en concurrence avec un autre. Ici chacun peut s’exprimer. En pays cathare, on se laisse ensorceler et réjouir par la musique, fût-elle nostalgique. Et l’on aura remarqué au passage combien Hakan Güngör au Canun, peut faire de chaque pièce interprétée, un véritable joyau.
Comment ne pas être touché par la grâce qui émane du concert d’Arianna Savall et de Peter Udland Johansen. La présence compassionnelle de la soprano, au timbre cristallin, nous touche à chaque fois. Reprenant le programme du CD Hirundo Maris, pour lequel nous les avions interviewés pour Classique News, les deux artistes et leurs compagnons musiciens, nous ont procuré au cœur de la garrigue en plein été, le sentiment de nous retrouver sur des mers où souffle une brise fraîche et légère. Nimbée de lumière, Arianna nous a touchée à l’âme. Elle a souhaité rendre hommage à sa mère, dont on ressent la présence amicale partout en ces lieux qu’elle aimait tant. Le son des vagues, provenant des percussions de David Mayoral et le chant des mouettes de la contrebasse de Miguel Angel Cordero, sont des instants vertigineux de tendresse et d’apaisement. Le percussionniste que l’on a retrouvé dans de nombreux concerts, a dévoilé combien la percussion est un art qui demande une véritable sensibilité.
Impossible ici de rentrer dans les détails de chaque concert et de citer tous les artistes, l’article serait bien trop long. Le concert en hommage au Grego, fait de lumières franches et d’ombres redoutables, a révélé un programme passionnant. Celui consacré aux Balkans fût d’une beauté à couper le souffle, où l’on a retrouvé cet apaisant instrument qu’est le Duduk et son jeune mais non moins brillant interprète, Haïf Sarikouyoumdjian.
Enfin Jordi Savall, a consacré deux concerts inoubliables à la musique pour viole. L’un intitulé l’Europe du Nord a permis d’entendre le répertoire français du XVIIe siècle, et celui intitulé Fantaisies Royales, le si élégant et brillant répertoire anglais des années 1630-1660. Complicité absolue entre des artistes qui se connaissent depuis tant d’année. Dans le Réfectoire des convers, un lien intime s’instaure entre les musiciens, les compositeurs et le public. Le sentiment d’être entre amis, après le souper, nous gagne. La poésie de l’éphémère est ici servie par une basse continue aux clairs obscurs chatoyants. Pierre Hantaï au clavecin ou Xavier Diaz-Latorre au théorbe sont des continuistes aristocratiques. Philippe Pierlot à la basse de viole qui assure la basse continue sur l’ensemble des concerts, a ici entamé avec Jordi Savall une conversation raffinée et mélancolique, dans le Concert à deux violes égales : Tombeau des Regrets de Monsieur de Sainte Colombe le Père qu’ils ont poursuivi dans les Fantaisies royales, deux jours plus tard, en compagnie du très beau consort de violes réunie pour cette occasion. Dans le concert consacré au répertoire français, Jordi Savall a souhaité évoquer l’éclat de la musique française qui à la fin de règne de Louis XIV va céder la place à une musique du recueillement, plus intimiste et qui fait miroiter l’âme et ses ombres. La flûte ductile de Marc Hantaï, parfois impertinente sait se faire joueuse, subtile, rêveuse, tandis que le violon de Manfredo Kraemer mélange d’irisation et d’énergie, se plait à soutenir une conversation effrontée. Le programme consacré à la musique anglaise au temps des guerres des trois royaumes, répertoire éminemment virtuose de la toute fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, offre au consort de violes ses plus belles lettres de noblesse, ici servie par des interprètes flamboyants. La texture polyphonique raffinée et si complexe est rendue avec une précision si vivante qu’elle donne à ses voix du silence, toute sa plénitude.
Le festival de Fontfroide est plus qu’une belle aventure. Il serait dommage de vous en priver. Jordi Savall bien au-delà du musicien est un humaniste qui sait s’entourer de véritables personnalités et transmettre non seulement son savoir-faire, mais aussi donner à voir et à partager la quintessence de ce que l’humanité peut elle-même offrir de meilleur. Entourer d’équipes techniques, administratives et de bénévoles qui ne demandent qu’à le seconder avec efficacité et passion et du soutien amical  des propriétaires de l’Abbaye, et de nombreux partenaires dont la si douce ville de Narbonne, il nous permet de voyager bien au-delà de toute frontière et de reprendre la route, de suivre cet escalier qui derrière le jardin en terrasse semble « aller sans fin », vers un inconnu fascinant.

Narbonne. Abbaye de Fontfroide du 15 au 20 juillet 2014. IXe Festival Musique et Histoire. Pour un dialogue Interculturel : Territoires et cultures de l’Homme. Mardi 15 juillet, Abbaye de Fontfroide, concert de 18 h, sur les Jardins en Terrasses  Dialogues croisés : Syrie, Maroc, Mali et Madagascar par Moslem Rahal (ney) , Waed Bouhassoun (voix&oud), Hamam Alkhalaf (voix) & l’ensemble d’Afrique : Dris El Maloumi (voix & oud), Ballaké Sissoko (lora du Mali), Rajery (Valiha de Madagascar). Concert du soir, Cour Louis XIV, Orient & Occident, avec les musiciens de Grèce, d’Israël, du Maroc, de Syrie, le Choeur d’enfants du Conservatoire de musique du Grand Narbonne et les solistes vocaux et instrumentaux de la Capella Reial de Catalunya et d’Hespérion XXI. Mercredi 16 juillet, concert de 18 h, Jardins en Terrasses, Dialogues Nord et sud : Norvège et Catalogne, Arianna Savall (chant et harpe), Peter Udland Johansen (voix, hardinfele, mandolin) et les musiciens de l’album Hirundo Maris. Concert du soir, L’Europe du Nord 1714 – 1788, Le Concert des Nations, Manfredo Kraemer, violon ; Marc Hantaï, flûte traversière ; Philippe Pierlot, basse de viole ; Xavier Diaz-Latorre, théorbe & guitare, Pierre Hantaï, clavecin ; Jordi Savall, viole de gambe & direction. 18 juillet, concert de 18 heures, Jardins en Terrasse, Fantaisies méditerranées : d’autrefois et d’aujourd’hui, Ferran Savall et des musiciens d’Hespérion XXI. Concert du Soir, Eglise Abbatiale, l’Europe du Sud 1541-1614, les Musiques au temps du Greco par les solistes vocaux et instrumentaux de la Capella Reial de Catalunya et d’Hespérion XXI sous la direction de Jordi Savall. Le 18 juillet, concert de 18 h, Jardins en Terrasse, l’Esprit des Balkans : Tziganes & Ottomans par des musiciens tziganes, turcs et serbes. Concert du soir, Réfectoire des convers de l’Abbaye. Fantaisies royales, Hespérion XXI sous la direction de Jordi Savall. Le 19 juillet 2014, Concert du soir en l’église Abbatiale, les Cycles de la vie – Balkan : le Pays du Miel & du Sang, Hespérion XXI sous la direction de Jordi Savall.

 

Illustrations : © Monique Parmentier

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