samedi 7 décembre 2024

Compte rendu, festival. Haute-Saône, Musique et Mémoire. Week end 20-24 juillet 2016. Les Cyclopes à Musique et Mémoire : les 400 ans de Froberger

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musique et mémoire 2016 visuel grand format 1000Compte rendu, festival. Haute-Saône, Musique et Mémoire. Week end 20-24 juillet 2016. Les Cyclopes à Musique et Mémoire. Les Cyclopes, ensemble instrumental et vocal codirigé par Bibiane Lapointe (clavecin) et Thierry Maeder (orgue) ont apporté une preuve éclatante de la réussite du projet artistique façonné édition par édition par le directeur du Festival, Fabrice Creux. Comme pour la résidence féconde du jeune collectif Les Timbres (dont le noyau des fondateurs forme un trio pétillant, irrésistible, d’une élégance superlative), – c’est comme Les Cyclopes, ensemble sur instruments d’époque-, le bénéfice d’une compréhension musicale et humaine particulièrement forte, entre une institution idéalement ancrée dans son territoire et des familles de musiciens qui unis dans l’esprit d’une troupe à forte affinité et complicité, sont prêts à relever les derniers défis du spectacle vivant et accessible : adéquation toujours profitable pour les festivaliers venus découvrir les fruits de cette coopération qui réinvente la notion même de festival.

Ce grand « week end » des 20 au 24 juillet 2016,  – soit 6 programmes inédits, véritables jalons d’un nouveau marathon artistique-, Les Cyclopes mettent en lumière l’oeuvre de Johan Jacob Froberger (1616-1667), qui souffle ses 400 ans en 2016, et qui est mort sur le territoire même des Vosges Saônoises, en 1667. La trace de ce dernier séjour est encore présente au château d’Héricourt, bâtisse de sa protectrice et élève, la princesse Sybille de Wurtemberg.

Les Cyclopes à Musique et Mémoire réussissent le pari de l’exploration heureuse…

Clarifier FROBERGER et le rendre vivant

LE SAVANT rendu palpitant… Oeuvre particulière vouée à la recherche, et d’un caractère « réservé », c’est à dire conçue pour une élite d’amateurs et de proches, – amis ou protecteurs-, dont Sybille de Wurtemberg auquel le compositeur avait demandé de ne pas publier ni diffuser ses oeuvres, le corpus des partitions ainsi abordé, restait méconnu du grand public. Pourtant Froberger a voyagé dans l’Europe entière, comme compositeur (et certainement diplomate), rencontrant Weckmann, Gibbons, Frescobaldi puis Carrissimi, et aussi Louis Couperin, en un tour d’Europe, – Italie, Grande Bretagne, Allemagne, France-, qui indique l’ampleur du périple parcouru et la pensée musicale qui en résulte. Un auteur qui avant Jean-Sébastien Bach, réalise une synthèse musicale et esthétique à l’échelle européenne. D’où la valeur de son écriture qui méritait bien ce focus dédié à son oeuvre et sa pensée.

froberger johann jacobMort en mai 1667 (d’apoplexie) dans la tour d’Héricourt actuelle (vestige le plus spectaculaire de l’ancien château de la princesse Sybille), Johan Jacob Froberger réalise et laisse en héritage une prodigieuse synthèse entre toutes les cours européennes d’alors : fascinante, son oeuvre pour clavier influence tous ses contemporains par sa richesse et son raffinement ; surtout par son contrepoint remarquable (appris auprès de Frescobaldi) et par sa maîtrise du style français des luthistes (dans les nombreuses plaintes à Sybille, à lui-même, à Ferdinand III son protecteur) ; un style aussi assimilé auprès de Kirchner, le prodige fou rencontré en Italie (« le savant aux milles savoirs ») avec lequel Froberger élucide et explicite le fameux Stilus fantasticus, cet art spécifique qui fait parler le clavier, propre à l’Allemagne du nord, particulièrement marquant pour des auteurs tels Weckmann et aussi Buxtehude. C’est dire son importance. Pas un seul portrait identifié mais une musique singulière et profonde, parfois complexe qui cependant saisit aussitôt qu’elle s’écoute.

Les interprètes que la succession des 7 programmes semble non pas contraindre mais au contraire stimuler, rendent immédiatement accessible tout un monde sonore jusque là connu de quelques amateurs. Les défis sont pourtant nombreux car chaque concert mérite une attention / concentration particulière et un effectif singulier.

LES VOYAGES DE FROBERGER. C’est d’abord l’explication du génie « à la vie secrète » (concert conférence, le 20 juillet à Héricourt) : soutenu, compris (quoi de plus encourageant pour un créateur que de se voir estimé et respecté pour ses idées et son oeuvre ?), Froberger pourrait bien avoir été comme son contemporain le peintre Rubens, – préfigurant la carrière diplomatique de Stefani au XVIIIème, un artiste missionné (et financé) par un riche et puissant protecteur, en l’occurrence pour Froberger, l’Empereur Ferdinand III, tout au long de ses nombreuses escales européennes. Le 22 juillet suivant, oeuvres en l’honneur de « Madame Sybille » en référence à l’Allemande que le professeur dédia à sa meilleure élève et amie… Enfin les quatre derniers programmes les samedi 23 et dimanche 24 juillet, suivent les voyages de Froberger en Europe : à Rome, où il assimile l’oeuvre de Frescobaldi (Héricourt, église luthérienne, le 23 à 15h); puis à Hambourg où le jeu des rencontres réalisant des miracles stimulants ; il se lie avec Matthias Weckman (Belfort, temple St-Jean, le 23 à 21h) ; enfin jalons d’une pensée universelle, les concerts du dimanche 24 juillet : somptueux cheminement jusqu’à Londres (Plainte faite pour passer la mélancolie, en référence au titre de sa pièce composée pendant son séjour dans le royaume britannique, jusqu’à Oxford) ; surtout finale en apothéose : à Fresse, à l’église Sainte-Antide : évocation de la Diète d’Empire à Ratisbonne en 1653, réunion des politiques germaniques après la Guerre de Trente Ans, et donc célébrations musicales des grands de ce monde : Froberger y côtoie sans démériter, -relevant fièrement les défis de la comparaison…-, les Bertali, Valentini, surtout Schmelzer que Les Cyclopes connaissent bien pour lui avoir dédier un disque entier. Style germanique et italien fusionnent comme toujours aux noces des puissants (Ferdinand III épouse un princesse Gonzaga, Eleonore, sa 3ème femme, justement couronnée à Ratisbonne).

cyclopes-les-festival-musique-et-memoire-ete-2016-classiquenews-bibiane-lapointe-thierry-maeder-classiquenews-compte-rendu-critiqueCYCLOPES, VIVANTS AMBASSADEURS. Tout cela est magnifiquement exprimé, incarné par le collectif réuni autour des deux guides, Bibiane Lapointe et Thierry Maeder. La franchise des intentions, le naturel du style, la cohérence de l’ensemble éclairent chaque séquence avec une énergie convaincante. Au cœur de chaque proposition, la présence du clavier, instrument phare de son expérimentation et déjà avant Beethoven, Liszt, et Schumann comme Carl Philip, l’outil familier de toute la Recherche. A défaut de pouvoir voir les traits de Froberger – il n’existe aucun portrait authentifié de lui, les amateurs ne peuvent qu’écouter ses oeuvres, ce qui évidemment n’est pas négligeable. C’est pourquoi quand Bibiane Lapointe s’empare du clavier, c’est comme si nous assistions au travail de recherche mené par Un Froberger rendu à la vie. Le créateur est certes théoricien ; mais ses avancées dans l’écriture et la mise au propre de ses propres expérimentations formelles sont décisives. Il a su organiser c’est à dire, mettre en ordre la Suite française qui influencera JS Bach. Les Cyclopes relèvent un défi audacieux : exprimer la complexité d’une œuvre savante : lui rendre sa vivacité première, ce d’une éloquente façon.

lapointe-bibiane-les-cyclopes-concert-classiquenews-musique-et-memoire-2016MARATHON EN 5 JOURS. A l’invitation de Fabrice Creux, le parcours réalisé sur 5 jours, offre un aperçu sensationnel d’une écriture certes raffinée mais généreuse, abondante par sa densité, libre dans ses audaces. En somme, un profil qui sied admirablement au Festival Musique et Mémoire, que Fabrice Creux aime à définir non sans raison comme un « festival laboratoire ». Le compagnonnage entre le collectif artistique des Cyclopes et Musique et mémoire se donne tous les moyens pour démystifier la question musicale, et les interprètes requis, formidables ambassadeurs, en guides habités, rendent concrète la démarche esthétique, vivante sa fabuleuse créativité.
L’érudition du compositeur savant fait place à une offre flamboyante par sa diversité de formes, que Les Cyclopes réinscrivent dans leur contexte, celui d’une oeuvre resserrée mais très aboutie (à la manière d’un Leonard de Vinci) ; dans celui de l’époque où a vécu Froberger dont les relations professionnelles, amicales, ressuscitent une constellation humaines et artistique de premier plan. Le cycle de concerts suit les voyages en Europe de Froberger, restituant ce maillage complexe et très riche d’influences entre les foyers et les nations qu’il a su approcher.

Les Cyclopes éclairent à quel point l’oeuvre de Froberger n’a rien d’anecdotique, c’est a contrario l’affirmation d’une superbe pensée pour la musique : c’est un penseur qui même confidentiel laisse en héritage une oeuvre fondatrice dans l’élaboration du langage baroque européen.

L’ÂME D’UN FESTIVAL EXPLORATEUR. Ainsi l’esprit de troupe, telle une conscience collective porté par un geste commun d’une belle cohésion, inspire ici 6 programmes inédits (créations, commandes du festival : quel autre festival en France dédié aux musiques anciennes et baroques réalise le pari de l’invention, la création, le défrichement, le partage ?), couleurs et apports particuliers, cultivant ce qui n’a rien de convenu, préservant toujours la recherche sonore et musicale pour transmettre la clarté et l’évidence d’un courant, d’une question au départ abstraite et érudite, mais qui au final, parle directement à notre imaginaire contemporain.

Voici donc ce qui est particulier au Festival Musique et Mémoire et nul par ailleurs, l’esprit d’un atelier accessible, le dévoilement de la forge musicale, ouverts à tous : c’est la résolution d’une pensée savante enfin clarifiée par un geste clair, libre, naturel. C’est pourquoi tout ce qui se passe à Musique et Mémoire renouvelle notre approche actuelle des musiques anciennes et baroques. Audace et engagement, accessibilité et diversité des formes de concerts, voilà la clé d’un Festival exemplaire. Passionnant.

Compte rendu, festival. Haute-Saône, Musique et Mémoire. Week end II / 20-24 juillet 2016. Les Cyclopes à Musique et Mémoire. Les Cyclopes, ensemble instrumental et vocal , Bibiane Lapointe (clavecin) et Thierry Maeder (orgue), direction. Célébration des 400 ans de Johan Jacob Froberger en Haute-Saône.

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