Compte rendu, festival. Corravillers, église, le 17 juillet 2016. The Way to paradise : Consort Songs & Music / La musique de William Shakespeare / Les Timbres (création). C’est un programme présenté en création commande du Festival Musique et Mémoire, piloté et conçu par son fondateur et directeur, Fabrice Creux; le concept permet d’approfondir tout ce qui fait ici au Pays des mille étangs, l’intérêt et même la pertinence d’un cycle de concerts inscrits au coeur du territoire rural : la continuité d’un geste interprétatif accueilli, accompagné depuis 3 années à présent puisque l’ensemble l’ensemble sur instruments anciens, Les Timbres a pu bénéficier d’une résidence artistique ici même, source d’approfondissement pour les interprètes, et pour les publics : promesse et découvertes de sonorités inédites selon les programmes présentés…
ETE 2015… L’an dernier, il s’agissait d’élucider par la plasticité canalisée du geste collectif, l’impact dramatique des instruments en nombre réduit; en ce sens la récréation dans un format de chambre de l’opéra de Lully : Proserpine présentée dans une version historique de 1684, attestée / jouée à Anvers, avait permis en juillet 2015 de mesurer l’articulation collective d’un groupe instrumentistes et chanteurs, électrisés par le sens de l’écoute et une profonde sonorité intérieure dont l’ineffable cohésion était frappante. Le Carnaval des animaux, autre spectacle créé en 2015, engageait le chant dramatique des 3 instruments essentiels du trio fondateur (violon, viole de gambe, clavecin) soit Yoko Kawakubo, Myriam Rignol, Julien Wolfs, en une confrontation directe / critique avec le texte du récitant comédien… interaction et complicité là encore édifiantes, révélatrices d’un travail exemplaire accordé à la faculté dramatique des instruments, au sens, à la forme et au déroulement même d’une narration musicale. Faire parler les instruments, chanter le texte. … vrai défi qui oblige et contraint l’interprète à exprimer l’indicible soit la vérité d’une situation comme d’un sentiment. VOIR notre grand reportage LES TIMBRES au Festival MUSIQUE ET MEMOIRE, juillet 2015 (recréation de Proserpine de Lully / création du Carnaval des animaux)
Les Timbres à Musique et Mémoire
Une utopie musicale se réalise
ETE 2016… C’est justement ce qui est en jeu dans le nouveau programme des Timbres présenté ce dimanche 17 juillet 2016, d’autant attendu et donc significatif, qu’il est le dernier aboutissement concluant ainsi les 3 années de résidence du groupe à Musique et Mémoire.
Au moment où l’on fête l’anniversaire Shakespeare, Les Timbres emprunte au sublime britannique ce sentiment d’une ineffable mélancolie qui de séquences en épisodes reconstruit symboliquement ici les quatre saisons ou les quatre âges d’une vie terrestre, et jalonne en passion, désir, espérance et renoncement, toute une existence. Les complices instrumentistes savent aussi au moment de Bacchus et de son enivrement délirant, jouer la gouaille collective, maîtrisant à l’automne, le goulot de bouteille comme un traverso enivré / enivrant… Fins musiciens, Les Timbres sont aussi des acteurs prêts à prendre des risques, vrais satyres chanteurs ainsi unis en toute saison, par une irrévérence gestuelle irrésistible. Chacun s’adresse au public, l’invite à célébrer l’ivresse du Dyonisos ripailleur et picaresque.
Voilà qui contraste avec les couleurs introspectives et subtilement méditatives du programme dans son entier. Et cette liberté du geste démontre à l’envi, la maturité artistique du formidable ensemble.
Ainsi la musique de Shakespeare s’écoute à Coravilliers en un chambrisme collégial, où chacun prend la parole, instrumentalement, vocalement (allusive Julia Kirchner, soprano inspirée, diseuse raffinée), où dans le prolongement du verbe limité, se déroule la richesse ineffable des notes énoncées.
Peu d’ensemble de musiciens cultivent et maîtrisent à ce point l’art si délicat mais décisif de l’écoute et de l’égalité fraternelle : pas de chef, pas de meneur, mais un flot constant d’entente et de complémentarité sonore qui fondent et structurent une approche dans son ensemble. Les Timbres nous donnent une leçon d’harmonie partagée, d’utopie musicale dont le public se délecte à chaque performance.
The Way to Paradise est construit comme un consort de Songs & Music : le verbe y est interrogatif et suggestif, et au-delà du sens, c’est chaque instrumentiste qui prolonge l’enchantement de la voix, par son engagement instrumental. Le programme s’inspire d’une déclaration poétique de Thomas Mace écrite en 1676 : « Musick’s Monument » dans laquelle l’auteur souligne la force poétique du chant des instruments, là où le mot n’a plus sa place. Chaque instrumentiste se montre capable d’histoires pathétiques, de « Discours pleins de Rhétorique et Sublimes ; des Discussions Subtiles et Profondes », propres à exprimer le tréfonds de l’âme. Voyage sonore et voyage intérieur surtout, et même délicieusement mélancolique : les paysages et les climats qui se succèdent touchent à l’essence humaine la plus profonde.
Ce spleen des instruments qui traverse toute les humeurs de l’esprit inspire chaque musiciens des Timbres en une saisissante cohérence sonore. La caractérisation, l’écoute, la complicité composent ici une joute amicale qui passe entre chaque interprète : chanteuse et instrumentistes. C’est un tableau suave et nostalgique qui confirme désormais les qualités des Timbres : poésie allusive, nuances du jeu collectif, flexibilité et grandes richesse des intentions. Poésie et profondeur. Eloquents contrastes. La magie opère et le raffinement s’invite souvent dans ce fabuleux basculement qui invite de l’innocence première à l’ivresse la plus intime. Magistral. De tous les nouveaux ensembles baroques, Les Timbres affirment leur prodigieuse humanité artistique. Saluons Fabrice Creux d’avoir à l’issue de la création, annoncer qu’il renouvelait leur résidence à Musique et mémoire pour un nouveau cycle de 3 années de compagnonnage artistique. La promesse est grande : il faut absolument suivre Les Timbres désormais en Haute-Saône. Le nouveau son baroque s’y déploie en un constant enchantement.
Compte rendu, festival. Corravillers, église, le 17 juillet 2016. The Way to paradise : Consort Songs & Music / La musique de William Shakespeare / Les Timbres (création). Airs et pièces des Britanniques baroques : Gibbons, Byrd, Morley, Ward, Playford, White, Ravenscroft, Dowland… Les Timbres : Julia Kirchner, soprano – Yoko Kawakubo et Maite Larburu, violons – Myriam Rignol, Mathilde Vialle, Etienne Floutier et Pau Marcos Vicens, violes de gambe – Julien Wolfs, orgue et clavecin.
APPROFONDIR
GRAND REPORTAGE VIDEO : Festival Musique et Mémoire 2015 / Les Timbres
CD
Cd critique compte rendu. JS BACH : Sonate pour flûte et clavecin, Partita pour clavecin seul BWV 830 (Troffaes / Wolfs, 1 cd Paraty, 2015). Pour l’interprète, exprimer dans le jeu certes la rhétorique de l’éloquente musique, surtout la poésie du coeur et de l’esprit… Ainsi est signifié le défi de toute partition de Jean-Sébastien, qui semble de facto avoir réussi la fusion idéale, du sentiment et de la virtuosité : toucher l’âme, bercer l’esprit. Autant de caractères, éléments d’une esthétique vivante, qui s’écoulent ici, portés par la connivence des deux interprètes en tous points, convaincants. Ligne claire et sans affèterie, posée, portée, canalisée par la gestion du souffle de la flûtiste Stefanie Troffaes. Discours fluide, précis et sobre du claveciniste véritable orfèvre de l’articulation, Julien Wolfs. On connaît bien le claviériste comme membre fondateur de l‘extraordinaire ensemble Les Timbres, en résidence au Festival Musique et Mémoire. L’hypersensibilité expressive des deux instrumentistes affirment la vitalité et la justesse du Jean-Sébastien, à la fois imaginatif, expérimental, suprêmement élégant. De toute évidence, Julien Wolfs défend l’approche partagée avec ses habituels partenaires des Timbres : faire parler la musique. Le Baroque est un vaste laboratoire où la note ambitionne peu à peu l’impact expressif du verbe. Lea fête traversière, même si elle n’exprime pas le sentiment du compositeur, – processus romantique, séduit ici par son éloquence proprement baroque : dans la diversité des accents, l’articulation des nuances… toute une intelligence dynamique qui dans le pacte discursif à deux voix : flûte / clavecin (BWV 1030 et 1032), affirme ce langage palpitant des partitions ici réunies (profondeur contemplative en dialogue de l’Andante du 1030).