Compte rendu, opéra. Paris. Palais Garnier, le 22 avril 2017. Soirée Cunningham / Forsythe. Ludmila Pagliero, Fabien Révillion, Hugo Marchand… Ballet de l’Opéra national de Paris. Merce Cunningham, William Forsythe, chorégraphes. Musiques enregistrées. Soirée dansante au Palais Garnier autour de Merce Cunningham et William Forsythe ! Résolument postmoderne dans l’esprit (tout en étant très néoclassique dans la facture), la soirée est l’occasion de ressusciter Cunningham à l’Opéra de Paris après de nombreuses années d’absence. En l’occurrence, nous avons droit à trois entrées au répertoire de la maison nationale, dont deux sont signées Forsythe.
De la danse pour tous !
… ou presque
Quelle surprise d’entendre une partie du public décrier le plateau des fabuleux danseurs à la fin du spectacle, et d’entendre des spectateurs en sortant du Palais de la culture et de l’excellence qu’est Garnier, en proférant des commentaires dont la naïveté pourrait presque attendrir, tels que « Je préfère Casse-Noisette ! » ; comme si Cunningham et Forsythe, signifiait aussitôt danses de caractère et paillettes ! Mais bonheur de notre temps, cette partie bruyante du public fut minoritaire. Merce Cunningham (1919 – 2009) comme prévu, est celui qui a un peu plus de mal à se faire accepter et apprécier. L’entrée au répertoire de son ballet « Walkaround Time » avec des décors de Marcel Duchamp (soigneusement reproduits ici aujourd’hui), laisse une partie de l’auditoire perplexe. Chose normale quand l’oeuvre d’un artiste est aussi intellectuelle et complexe. 9 danseurs intègrent l’espace et « orbitent » autour des « ready-made », ce ballet étant surtout, d’après le chorégraphe, une sorte d’hommage à Duchamp. Et comme tout Cunningham, il y a une volonté affirmée mais pas agressive ni nihiliste, de se défaire des conventions oppressant la danse. La liberté idéalisée du maître s’exprime curieusement toujours d’une façon, on ne peut plus staccato ; les mouvements sont très souvent saccadés, la notion des géométries très marquante, les distorsions et les équilibres insolents omniprésents. 50 minutes ou presque d’une danse conceptuelle, qui inspire sans doute plus l’esprit et l’intellect.
La petite jupette jaune plissée de Herman Schermann, entrée au répertoire (DR)
Pour le plaisir et la stimulation des sens, c’est le tour de Forsythe, après l’entracte. Notamment avec « Trio » où l’Etoile Ludmila Pagliero et les Sujets Fabien Révillion et Simon Valastro s’adonnent à une danse fluide, dynamique, au rythme parfois endiablée, souvent coquine. Si les trois danseurs brillent de nonchalance apparente et d’une attitude décontractée typiques du style Forsythe, avec un je ne sais quoi de vertigineux dans les prises, nous sommes tout particulièrement heureux de la prestation de Fabien Révillion : soit les plus belles lignes masculines sur le plateau, habité d’une rigueur sereine, d’une concentration édifiante qui le pousse toujours à l’excellence pour le plus grand plaisir des spectateurs. La complicité avec Simon Valastro, en grande forme, et Ludmila Pagliero, superlative dans ce style et à l’engagement et l’exécution virtuose, ravissante, est le moment le plus impressionnant du programme.
Il se termine en beauté, et en prestance plutôt, avec le Duo de « Herman Schermann » (entrée au repertoire) de Forsythe. La Quintette qui ouvre ce ballet sous la musique enregistré de Thom Willems est délicieusement interprétée par Aurélia Bellet, Roxanne Stojanov et Caroline Osmont chez les filles, charmantes dans l’interprétation des mouvements virtuoses et insolents du maître néoclassique-contemporain, et de façon non moins délicieuse par les danseurs Sébastien Bertaud, silhouette sexy, fluide à souhait et le jeune Pablo Legasa bondissant de bonheur et de joie d’accomplir ainsi son métier. Le Duo qui clôt le ballet est interprété par la nouvelle Etoile Hugo Marchand et la Première Danseuse Hannah O’Neill. Il commence de façon plutôt sombre et beaucoup moins enjouée que la première partie, mais devient vite l’occasion pour les danseurs de faire une démonstration de ce qu’est la danse néoclassique à deux ; le ton et la température montent, le rythme augmente, et les tenues deviennent révélatrices, transparentes. Un duo pas amoureux mais laborieux, s’inscrivant parfaitement dans l’esprit du programme où l’on se concentre, pour une fois, sur d’autres éléments, bien plus intéressants que les paillettes. Superbe programme, pour le plaisir des sens et de l’esprit, à l’affiche les 22, 26 et 30 avril puis les 4, 5, 7, 8, 9, 12 et 13 mai 2017, avec deux distributions en alternance.