vendredi 19 avril 2024

Compte-rendu critique, opéra. Lyon. Opéra, le 8 mai 2017. Gluck : Alceste. Deshayes, Behr, … Montanari / Ollé

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GLUCKCompte-rendu critique, opéra. Lyon. Opéra, le 8 mai 2017. Gluck : Alceste. Deshayes, Behr, … Montanari / Ollé. Le spectacle vivant, malgré sa magie, possède aussi ses aléas, dont nous avons fait les frais en cet après-midi. En effet, Karine Deshayes étant souffrante, elle a du se contenter de mimer son rôle tandis que, concentrée sur son pupitre à l’avant-scène et paraissant même par instants déchiffrer la partition vu l’urgence de la situation, la soprano canadienne Heather Newhouse, membre de l’Opéra Studio, a vaillamment sauvé la représentation, malgré une voix qui n’est pas réellement celle du personnage. Grand respect donc à cette jeune chanteuse pour sa performance saluée par une belle ovation de la part d’un public reconnaissant, Karine Deshayes mettant pleinement sa jeune collègue dans la lumière en guise de remerciement bien mérité.
La messe pourrait être dite si Karine Deshayes n’avait pas tenu à assurer elle-même la seconde partie de la représentation, commençant même à chanter avant l’entracte, en fait dès qu’Alceste s’apprête à mettre fin à ses jours.

Deux Alceste(s) pour le prix d’une

« Dérobez-moi vos pleurs » : c’est avec ces paroles que la chanteuse française déploie ses premiers sons. Et le bonheur est d’autant plus grand que l’instrument sonne pleinement et librement. Plus loin, quelques aigus un peu tirés témoignent de l’indisposition de l’artiste, mais dès l’entracte passé tout semble rentrer dans l’ordre, et bien plus encore. Ainsi que dans l’Armida rossinienne à Montpellier voilà deux mois à peine, on admire sans réserve la lumière et la vibration qu’acquiert la voix dès que le centre de gravité prend de la hauteur et que la tessiture s’élève, révélant des couleurs et des nuances qui nous font monter les larmes aux yeux, notamment des aigus piano de toute beauté. Le médium, en revanche, paraît hésiter entre une habituelle rondeur de mezzo à notre sens excessive – et qui rend le texte parfois difficilement intelligible, les voyelles sonnant insuffisamment définies – et la clarté soulevée qu’appelle le tournant opéré peu à peu par la chanteuse vers les emplois de sopranos. Une évolution en tout cas passionnante qu’on suit avec toujours plus d’intérêt. Et si l’on osait, on avouerait rêver de Karine Deshayes en Comtesse dans les Noces mozartiennes. Qui sait ?
Elle semble trouver un écrin idéal à sa prise de rôle dans la production imaginée par le catalan Alex Ollé, membre du célèbre collectif La Fura dels Baus. Moderne sans ostentation, jouant de façon impressionnante avec l’omniprésence de la mort qui baigne musique et livret. Une fois la salle plongée dans le noir, un film muet est projeté sur le rideau de scène : un couple d’aujourd’hui, Alceste et Admète, prennent la route en voiture et lorsqu’un doigt appuie sur le bouton de la radio, c’est le Prologue qui commence. Le couple se chamaille, puis se dispute franchement, Admète perd le contrôle de son véhicule qui effectue plusieurs tonneaux avant de s’écraser. Les deux époux apparaissent sous la carcasse de l’auto : elle semble seulement inconsciente, lui paraît plus gravement blessée, une flaque de sang s’écoulant de l’arrière de son crâne.
C’est sur cette image terrible que se lève le rideau, dévoilant une immense salle aux riches boiseries, comportant une reproduction de la Cène peinte par De Vinci sur l’un de ses murs. Côté cour, une baie vitrée donnant sur une unité de soins intensifs où repose Admète entre vie et mort.
Alex Ollé réussit ainsi à ancrer l’histoire d’amour entre Alceste et son époux dans notre époque sans trahir l’essence même de l’œuvre. On retiendra également l’intervention du Grand Prêtre, véritable scène de spiritisme dans laquelle le plateau tout entier parait éclairé par une seule grande flamme.
A la fin de la première partie, Alceste enjambe le balcon et, telle Tosca, se jette dans le vide pour rejoindre l’empire des Morts. L’entracte passé, on découvre la Reine de Thessalie derrière la baie vitrée, allongée sur le lit qui accueillait, il y a peu de temps encore, son époux. Soudain, cachée derrière le corps de la souveraine, la chanteuse se lève, comme l’âme se séparant de son enveloppe charnelle, dans une magnifique image. Les Enfers sont ainsi représentés par d’habiles vidéos en perspective et les Damnés deviennent des patients d’hôpital joués à la manière des fantômes dans les films d’épouvante japonais.
Une fois Alceste et Admète rendus à la vie, une vidéo se déroule, représentant un happy end idyllique conclu par la photo de famille idéale…, le cliché tombant d’un coup en poussière alors que retentit une reprise du Prologue.
On apporte à la famille en deuil le cercueil contenant la dépouille d’Alceste, qu’Admète, désespéré, embrasse une dernière fois. Un final énigmatique, dont les questions demeurent en suspens, comme si toute cette seconde partie n’avait été qu’un rêve destiné à ne jamais devenir réalité.
Totalement investi, le reste de la distribution se révèle de haut niveau. Fougeux Admète, Julien Behr impressionne, malgré une émission parfois encore un peu étouffée, par son assurance nouvelle dans l’aigu, et son sens limpide de la déclamation.
Après des premiers sons inquiétants, Alexandre Duhamel finit par parvenir à libérer sa voix, puissante et percutante, donnant au personnage du Grand Prêtre la dimension qu’il mérite.
Le plateau est complété par le très bel Evandre de Florian Cafierio à l’émission haute et claire, l’imposant Hercule de Thibaut De Damas ainsi que l’Apollon impérial – bien qu’amplifié depuis les coulisses – de Tomislav Lavoie, le Coryphée délicat de Maki Nakanishi ainsi que l’Oracle sonore de Paolo Stupenengo.
Splendides également, les chœurs, unis dans une même couleur enivrante et dont on ne perd pas une seule syllabe tant leur déclamation du texte se révèle nette et précise.
Dans la fosse, la nouvelle formation composée par les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon et dédiée au répertoire baroque, baptisée « I Bollenti Spiriti » sert cette splendide musique avec les honneurs, sous la baguette enflammée de Stefano Montanari qui sait alterner majesté, tristesse et effroi.
Un magnifique spectacle, au déroulement inattendu mais passionnant : c’est aussi cela le spectacle vivant !

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Lyon. Opéra, 8 mai 2017. Christoph Willibald Gluck : Alceste. Livret de Ranieri de’ Calzabigi et François-Louis Gand Le Bland Du Roullet. Avec Alceste : Karine Deshayes ; Admète : Julien Behr ; Grand Prêtre : Alexandre Duhamel ; Evandre : Florian Cafiero ; Apollon : Tomislav Lavoie ; Hercule : Thibault De Damas ; Coryphée : Maki Nakanishi ; L’Oracle : Paolo Stupenengo ; Un Dieu infernal : Paul-Henry Vila. Chœurs de l’Opéra de Lyon ; Chef des chœurs : Philip White. Orchestre de l’Opéra de Lyon. Direction musicale : Stefano Montanari. Mise en scène : Alex Ollé / La Fura dels Baus ; Décors : Alfons Flores ; Costumes : Josep Abril ; Lumières : Marco Filibeck ; Vidéo : Franc Aleu

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