vendredi 19 avril 2024

Compte-rendu critique, opéra. LYON, Opéra. JANACEK : De la maison des morts, le 21 janv 2019. Orch de l’Opéra de Lyon / Alejo Pérez

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Compte-rendu critique. Opéra. LYON, JANACEK, De la maison des morts, 21 janvier 2019. Orchestre de l’opéra de Lyon, Alejo Pérez. Dernière étape lyonnaise d’une production qui avait triomphé à Londres et à Bruxelles en mars et novembre dernier, l’ultime opéra de Janacek oppose une orchestration rutilante et lyrique à une déclamation plus austère qui en fait un opéra singulier, difficilement classable, comme l’est la Donna serpente de Casella, quasiment contemporain. Warlikowski saisit l’œuvre à bras le corps, avec une intelligence et un engagement dramatique qui forcent le respect. Sa lecture vient s’ajouter, sans la faire oublier, à la mythique production de Chéreau.

 

 

La perfection au masculin

 

 

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On peut être audacieux, voire iconoclaste, et respecter l’esprit de l’œuvre mise en scène. Warlikowsky construit sa vision de ce chef-d’œuvre en misant sur une lecture dynamique, émouvante et ludique, parfois loufoque et grotesque, dont les nombreuses chorégraphies traduisent, par le geste, le mouvement, le rythme de la luxuriante partition orchestrale. Sur scène, un espace immense dans lequel se détachent un panneau de basket (pour le jeune basketteur, remplaçant l’aigle blessé du livret original), sur la droite, des gradins ui accueillent divers prisonniers, sur la gauche, un bloc de verre faisant office de bureau du directeur de la prison, puis de scène théâtrale au second acte. L’austérité de l’univers carcéral si présent dans la littérature russe est largement contrebalancée par l’extraordinaire richesse visuelle du spectacle : la vidéo, comme intermède entre les actes (interview de Michel Foucault sur les juges, extraits du documentaire Gangster Backstage), les nombreuses danses, parfois d’une grande sensualité, la représentation méta-théâtrale du second acte, avec ses costumes bariolés, sa pantomime quasi hypnotique, moments de grâce et de stase face à la violence des prisonniers ; l’œil est toujours sollicité, galvanisé par une direction d’acteur précise, y compris dans son apparent désordre.
La distribution réunie pour cette magnifique production est d’une rare homogénéité. Diction et projection y sont au rendez-vous, parfois avec un manque de nuance ici ou là, mais le choix se défend dans une œuvre noire et sans complaisance. Dans le rôle de Goriantchikov, William White, qui avait participé à la reprise de la production de Chéreau à Paris en 2017, est impérial, il fait preuve d’une présence scénique époustouflante, même si vocalement il ne semblait pas au meilleur de sa forme ; Pascal Charbonneau incarne un Alléïa superlatif : jeu électrisant, vocalement impeccable, même si on eût aimé parfois un peu plus de lyrisme, dans les rares moments d’abandon (à l’acte II notamment) de l’opéra. Stefan Margita, habitué du rôle, campe un Louka très convaincant, impressionnant de maîtrise vocale et scénique. Qualités tout aussi vérifiables chez les autres interprètes : la voix incroyablement juvénile du ténor Graham Clarck dans le rôle du vieux forçat, l’amplitude vocale de Karoly Szemeredy dans le double rôle du Pope et surtout de Chichkov, qui marque de son empreinte une bonne partie du dernier acte. Excellente interprétation aussi d’Alexander Vassiliev dans le rôle du commandant, de Ladslav Elgr dans celui de Skouratov, et en particulier du remarquable baryton Ales Jenis interprétant Don Juan et le Brahmane.
Dans la fosse, la direction solide et lumineuse d’Alejo Pérez remplit toutes ses promesses : le raffinement élégiaque se marie magnifiquement à la puissance roborative des passages plus véhéments, au premier et au second acte notamment, lorsqu’ils sont illustrés par les gestes mécaniquement précis des danseurs ou quand ils accompagnent les chœurs des prisonniers, fort bien préparés par Christoph Heil.


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Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Janacek, De la maison des morts, 21 janvier 2019. Sir William White (Alexandre Petrovitch Goriantchikov), Pascal Charbonneau (Alieïa), Stefan Margita (Filka Morozov / Louka Kouzmitch), Nicky Spence (Le grand forçat), Ivan Ludlow (Le petit forçat / le forçat cuistot / Tchekounow), Alexander Vassiliev (Le commandant), Graham Clarck (le vieux forçat), Ladislav Elgr (Skouratov), Jeffrey Lloyd-Roberts (Le forçat ivre), Ales Jenis (Le forçat jouant Don Juan et le Brahmane / le forçat forgeron), Grégoire Mour (Un jeune forçat), Natascha Petrinsky (Une prostituée), John Graham-Hall (Kedril), Dmitry Golovnin (Chapkine), Karoly Szemeredy (Chichkov / Le pope), Alexander Gelah (Tcherevine / Une voix de la steppe), Brian Bruce (Un garde), Antoine Saint-Espes (Un garde), Denis Guéguin (vidéo), Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Claude Bardouil (Chorégraphie), Christian Longchamp (Dramaturgie), Christoph Heil (Chef des chœurs), Orchestre de l’opéra de Lyon, Alejo Pérez (direction) /    Illustrations : © Bertrand Stofleth.

 

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