mardi 16 avril 2024

Compte-rendu critique, opéra. LYON, le 27 juin 2018. MOZART, Don Giovanni, Orch de l’opéra de Lyon, Stefano Montanari.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

MOZART-portrait-romantique-mozart-genie-xviii-siecle-portrait-opera-compte-rendu-par-classiquenews-critique-comptes-rendus-concerts-par-classiquenews-mozart-et-salieriCompte-rendu critique, opéra. LYON, le 27 juin 2018. MOZART, Don Giovanni, Orch de l’opéra de Lyon, Stefano Montanari. David Marton remet le chef-d’œuvre de Mozart sur le tapis, après une précédente adaptation aux Nuits de Fourvière, il y a une dizaine d’années, dans laquelle Don Giovanni était une femme (Don Giovanni keine pause). Pour la dernière production de la saison lyonnaise, le livret de Da Ponte, constamment malmené, est jeté aux oubliettes, la narration disparaît avec le Commandeur et le résultat est une lecture cérébrale, prétentieuse et pas toujours cohérente qui présente un jouisseur bipolaire presque soumis à un Leporello amateur fou d’opéra.

La lettre et le néant

Sur scène, un décor grandiose et austère en béton armé percé d’ouvertures circulaires, évocation d’un palais ou d’un palace en construction, égayé au plafond par une autre ouverture circulaire et moulurée, quelques marches vers une mezzanine et un rideau placé sur le côté droit au second niveau figurant la chambre de Leporello. Au milieu de la scène un lit à baldaquin, seule trace reconnaissable de l’origine espagnole et dix-septiémiste du héros. Visuellement c’est un peu triste mais défendable, dans l’optique, assez peu originale, de montrer un séducteur compulsif en proie à une solitude et une misère affectives inéluctables. On découvre ainsi une sorte de don Juan kierkegaardien qui au lieu de vivre, spiritualise la chair, l’objet même de son désir. La lecture iconoclaste mais finalement datée du metteur en scène hongrois révèle un Don Juan victime au fond d’une trop précoce tentation sexuelle, symbolisée par un adolescent muet en pyjama (clin d’œil à l’adolescent vêtu de noir qui traverse le film de Losey ?), qui s’est substitué à la figure invisible du Commandeur. Leporello semble être le personnage principal d’une intrigue sans narration, exhibant dans son salon les enregistrements de l’opéra de Mozart qu’il dirige de la baguette, tandis que les notes de la version de Böhm sortent d’un tourne-disque vintage aux sonorités craquantes et que le serviteur, qui a perdu toute dimension comique, souffle a capella à son maître les paroles des récitatifs.
Plus problématiques sont les inévitables interpolations et les coupures – la plus drastique étant le sextuor final – censées servir et clarifier le propos du metteur en scène, mais ne font en réalité que le rendre plus énigmatique, danger prévisible pour qui s’éloigne de la lettre du texte. Marton dit ainsi s’être inspiré d’un roman allemand de Thomas Melle, Le monde dans le dos, dont des extraits sont dits en français par Don Juan et apparaissent de temps à autre arbitrairement dans les surtitres (en rouge), sans rapport aucun avec ce que l’on entend sur scène (comme dans l’air du champagne et le récitatif qui le précède). Ce détournement volontaire – un des poncifs insupportables de la dramaturgie « regie-theater » – qui déplace l’attention su spectateur, rend ainsi impossible toute concentration du public sur les chanteurs. Dans le second acte, d’interminables bruitages (vrombissements de voiture et chants de cigale) accentuent l’atmosphère spectrale et cliniquement austère (le couple Masetto-Zerlina est ripoliné en consultant médical) qui prélude, non pas à la course vers l’abîme infernal, mais vers le suicide du héros, par le biais d’un couteau que lui a remis son double adolescent.
Dans le rôle-titre, Philippe Sly, qui fut un beau Don Juan l’été dernier à Aix dans la lecture de Jean-François Sivadier, était plus en voix que lors de la première et campe un séducteur tourmenté, mais vocalement crédible, loin de l’autoritarisme habituel, comme en témoignent un « La ci darem la mano » ou un « Deh vieni alla finestra » tout en délicatesse et légèreté. Le Leporello de Kyle Ketelsen est sans doute le plus impressionnant de la distribution, dépassant la fonction dévolue par le librettiste, mais Marton n’en a cure, et en faisant un personnage-clé de sa vision oblique, il le pare d’un habillage vocal plus somptueux qu’à l’accoutumée, tout comme impressionne l’amplitude vocale, presque wagnérienne de la basse sud-coréenne Attila Jun, en Commandeur invisible. En revanche, le Don Ottavio de Julien Behr nous a laissé sur notre faim, dans doute en partie à cause des choix dramaturgiques de Marton qui en fait un personnage falot et sans réelle envergure ; la voix est bien posée, mais trop souvent sujette à des approximations et des problèmes de justesse. Bien pire est la prestation du Masetto de Piotr Micinski (qui avait un faux air de feu Sergio Segalini), terne et peu sonore. En Donna Anna, Eleonora Burratto tranche par une assurance insolente et un volume par trop emphatique qui contraste avec la relative délicatesse de Sly, alors qu’elle appartient au même monde que Don Juan : on peine à reconnaître la grâce mozartienne (sa voix, au début, apparaît un peu grinçante, pas très belle), qui n’exclut pas l’expression d’une violence contenue (justifiée lorsqu’elle apprend avec stupeur qu’il a voulu la violer avant de tuer son père). Si l’Elvire d’Antoinette Dennenfeld déploie une énergie roborative, elle montre ses limites (voix peu gracieuse et poussive, un vibrato gênant), notamment à la fin de « Mi tradì ». Enfin, en Zerlina, Yuka Yanagihara a la voix gracile qui sied bien au rôle de soubrette, légitimant un ambitus et une projection fort limités.
Dans la fosse, Stefano Montanari dirige la partition avec une précision métronomique, malgré un début un peu trop discret et des choix de tempi fortement contrastés (l’ouverture est abordée avec une vitesse inhabituelle), qui illustrent sans doute le caractère schizophrénique du héros, mais ces défauts véniels s’estompent face à la puissance et à la richesse des timbres d’un orchestre de l’opéra de Lyon en très grande forme.

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Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Wolgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, 19 mai 2018. Philippe Sly (Don Giovanni), Eleonora Buratto (Donna Anna), Julien Behr (Don Ottavio), Antoinette Dennefeld (Donna Elvira), Kyle Ketelsen (Leporello), Piotr Micinski (Masetto), Yuka Yanagihara (Zerlina), Attila Jun (Le Commandeur), Cléobule Perrot (Un jeune homme), David Marton (mise en scène), Anna Heesen (Dramaturgie), Christian Friedländer (décors), Pola Kardum (costumes), Henning Streck (lumières), Daniel Dorsch (son), Hugo Peraldo (Chef des chœurs), Orchestre de l’opéra de Lyon, Stefano Montanari (direction).

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