jeudi 18 avril 2024

Compte rendu, concerts. Brest, les 30 et 31 mars 2016. Festival Electr()cution, Sillages.

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1426024805_tourinsoftBrest, dernière limite de la France face à l’océan, est une ville étonnante, entre ciel et mer. Phénix de l’Atlantique, Brest renaît sans cesse des cendres d’un passé meurtri. Des quais de sa rade à la blanche Rue de Siam, la ville s’étend sur les scintillements lointains d’un large de plus en plus céruléen. Connue surtout pour son importance stratégique, Brest n’abandonne pas son ambition culturelle, et comme toute fille des mers, c’est en multipliant la nouveauté qu’elle exprime les beautés cachées de sa cité de pierre et d’ardoise. On connaît bien le Quartz, l’ensemble Matheus, mais Brest est aussi le siège d’un des plus importants ensembles contemporains: Sillages.

Depuis 22 ans, SILLAGES imprime avec excellence un tracé sur le paysage de la musique contemporaine et notamment la création française. Il est essentiel de mettre en avant d’ailleurs l’extraordinaire qualité des projets de Sillages, équilibrés, artistiquement très bien pensés par Philippe Arii. Mais aussi Sillages, tel un navire aventureux, porte un équipage de solistes musiciens formidable. C’est très rare de trouver un ensemble aux timbres aussi riches et dont la bonne entente est palpable, c’est un facteur qui enrichit favorablement l’interprétation.

FESTIVAL ELECTR()CUTION – ENSEMBLE SILLAGES (BREST)

Un courant qui passe

Depuis 3 ans Sillages s’investit désormais dans une diffusion directe de la musique contemporaine avec le public Brestois dans le Festival Electr()cution. Étonnant par l’initiative riche d’inventivité et aussi l’énergie fascinante de cet événement. Sis dans le Centre d’Art Contemporain La Passerelle, en plein quartier résidentiel, le Festival Electr()cution, déploie son énergie au cœur de la création pure. La situation géographique de La Passerelle est un symbole à elle même, un Centre d’Art et un Festival qui expriment l’esprit de notre époque au cœur du quotidien des habitants.

La Passerelle ouvre ses portes, et son cœur plein de clarté, aux mondes oniriques de la musique interprétée par Sillages. En parfaite symbiose, la musique et les arts plastiques forment un double écrin qui s’échange parfaitement, un dialogue s’installe alors pour le plus grand plaisir du public et des instants inoubliables. La Passerelle devient ainsi l’incarnation absolue des sens, un lien puissant et constant entre la banalité du quotidien et l’émerveillement que procurent les arts.

Pour cette édition, Philippe Arii et Sillages convient en ouverture le monde de la spatialisation.

MERCREDI 30 MARS 2016 à 20h30
Centre d’art contemporain La Passerelle (Brest)
Nouvelles mythologies

Empruntant le sillage de l’électronique et l’acousmatique, le concert d’ouverture de la troisième édition d’Electr()cution, est aussi varié par les émotions que par la force des pièces du programme. On peut dire sans hésiter que la soirée est divisée en deux parties qui se complètent: l’onirisme profond de Georgia Spiropoulos et la quête de spiritualité et même de mythologie de Bertrand Dubedout.

sillage_drama_logoNous avons ressenti dans les deux compositions de Georgia Spiropoulos, le langage interne d’un monde en devenir, comme le bruissement d’une rumeur dans Saksti, parfois angoissante et parfois énergique, mais jamais brutale. Dans la merveilleuse Music for 2? C’est un équilibre de forme qui réveille nos sens, une sorte de force astrale évoquée par l’ensemble de l’écriture de cette poétesse du son qu’est Georgia Spiropoulos. Face à elle, la musique de Bertrand Dubedout est tout autrement fantastique. Entrant dans une réverbération virtuose dans Onze/eleven, on en vient à ressentir la délicatesse japonisante, emplie de rituel mais riche de timbres. Aussi excellemment bien rendue par Alexandre Babel aux polyblocks. Et ensuite nous entrons dans un véritable monde aux merveilles insoupçonnées avec Les Cheveux de Shiva. On entend les rickshaws et les Klaxons de Delhi ou de Bhopal, les évocations des cérémonies hindoues, un voyage spirituel au cœur d’une mythologie toute empreinte de beauté, de mystère, des stupéfiantes rencontres. Les musiciens de Sillages nous portent comme un souffle de parfum sur les rives lointaines des Indes avec un talent remarquable, saluons ici la flûte formidable de Sophie Deshayes et le piano de Vincent Leterme.

Un peu plus sobrement, Collapsed, de Pierre Jodlowski est un peu plus intériorisée. Même si la musique nous évoque un réel message, on entre difficilement dans la matière. Après, les dialogues saxophone et percussions sont une construction précise et passionnante. On salue l’aplomb et la virtuosité de l’excellent Stephane Sordet. Dans une moindre mesure, la pièce de Grégoire Lorieux nous fait voyager. Elle demeure assez classique et descriptive, avec des grands effets. Première nuit hallucinante d’émotions à Brest, le lendemain allait porter la musique vers des sommets inespérés.

ELECTR() SPATIAL

Georgia Spiropoulos
Saksti
Saxophone et électronique

Grégoire Lorieux
Strange Spiral Lights
Vibraphone et électronique

Georgia Spiropoulos
Music for 2?
Flûte, piano préparé, petites percussions, voix et électronique

Pierre Jodlowski
Collapsed
Saxophone, percussion et électronique

Bertrand Dubedout
Onze/eleven
2 polyblocks

Les Cheveux de Shiva
Flûte, saxophone, percussion, piano et électronique

JEUDI 31 MARS 2016 – 20h30
Centre d’art contemporain La Passerelle (Brest)
Electr()states

La magie du dialogue entre arts plastiques et musique contemporaine réside dans l’équilibre parfait du temps et de l’émotion. En choisissant de faire un programme d’inspiration étasunienne en miroir des trois vidéos New Yorkaises d’Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cottencin, le rêve est encore plus fort et nous pénétrons à la fois dans la musique et dans la réalité virtuelle de l’image enregistrée.

Multipliant les émotions comme des coups de ciseau sur le marbre, les membres de Sillages ont fait des musiques de Reich, Dubedout et Ledoux un écrin tout particulier aux chorégraphies muettes de la rêverie fantasmatique de New York, une promenade nouvelle qui éveille nos sens vers la contemplation. Un des moments les plus captivants fut le puissant New York Counterpoint de Reich avec Jean-Marc Fessard splendide à la clarinette, qui s’accordait à la perfection avec les situations projetées.

arton254-d572eEt puis ce fut la secousse, un autre rêve musical qui nous transporta au cœur de la piste d’un cirque. Le Musicircus de Cage avec un semblant de cacophonie, pénètrent dans l’inconscient collectif et particulier pour faire sortir l’émotion. On y retrouve la musique obstinée sur ses bases et ses classicismes mais aussi les plus simples plaisirs de l’enfance et la flânerie de la curiosité et la découverte. Pendant une grosse vingtaine de minutes on est dévoré par la musique, on s’y sent bien, comme dans une forêt bariolée aux bruissements divers, aux couleurs chatoyantes. La complicité des musiciens de Sillages, de la maîtrise absolue de l’électronique de Jean-François Charles, et les professeurs et élèves du Conservatoire de Brest, ont réussi ce pari risqué comme un numéro de haute-école. Le monde fragile construit par Cage à été maîtrisé, finement interprété et ciselé, et la fontaine de l’évocation a surgi sans se tarir.

Après ces deux vagues sublimes qui ont coloré de musique la ville blanche de l’Ouest, Electr()cution poursuit sa troisième édition jusqu’au 2 avril. Alors chaque début de printemps nous suivrons le riche sillage des ondes musicales de l’ensemble Sillages, au bout des terres et à la pointe de la musique.

Dialogues entre l’exposition « New York(s) »
D’Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cottencin

Et

Bertrand Dubedout
Gefühl
Tambour sur cadre et électronique

Steve Reich
Vermont Counterpoint
Flûte et électronique

Claude Ledoux
Dolphin Tribute
Hommage à Éric Dolphy
Clarinette basse et électronique

Steve Reich
New York Counterpoint
Clarinette et électronique

John Cage
MUSICIRCUS
Ensemble et électronique

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