Cela fait 250 ans que Rameau a disparu. L’occasion pour le Centre de Musique Baroque de Versailles, d’honorer celui que l’on peut considérer comme l’un des plus talentueux et des plus originaux compositeurs français. Pour l’ouverture officielle de ce qui devient de fait, « l’année Rameau », le CMBV et Château de Versailles Spectacles, s’associent pour présenter un véritable événement : la recréation mondiale de l’une des dernières merveilles inconnues de Rameau, les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, ou les Dieux d’Egypte.
Créé en 1747 au Manège de la Grande Écurie de Versailles pour les noces du Dauphin, cet opéra-ballet est sans doute le plus ambitieux de tous ceux imaginés par Rameau. Le débordement du Nil submergeant les temples et les pyramides formait le clou musical de la partition, de bout en bout chatoyante et colorée, évoquant les splendeurs d’une l’Égypte ancienne fantasmée. Jamais rejoué depuis le XVIIIe siècle, il s’agit donc d’un des derniers ouvrages inédits du compositeur.
Rameau a mené jusqu’à 50 ans une vie de modeste organiste, dont pourtant se détache déjà son célèbre Traité de l’Harmonie, édité à Paris en 1722. Mais en 1733, il compose sa première grande œuvre, Hippolyte et Aricie.
Il entame dès lors une carrière parisienne, offrant au répertoire parmi ses plus belles tragédies lyriques, telles Zoroastre et Les Boréades et une comédie lyrique, Platée, aux charmes incomparables, tant elle est unique en son genre.
Il devient par ailleurs compositeur de cour et en 1745, c’est donc à l’occasion du second mariage du Dauphin, fils de Louis XV avec Marie-Josèphe de Saxe, qu’avec un ballet héroïque, qu’il vient de terminer avec le librettiste Louis de Cahusac, il est choisi par les Menus Plaisirs pour participer aux festivités. Si cette œuvre a connu un véritable succès, valant même à Rameau les félicitations du Roi et des reprises parisiennes, elle est ensuite totalement et injustement oubliée. Ce soir à l’Opéra Royal, justice lui a été rendue avec faste.
Ce ballet héroïque à trois entrées (Osiris – Canope – Aruéris) intitulé « Les Dieux d’Egypte », est d’autant plus exceptionnelle, qu’il est l’un des rares ouvrages musicaux créée à Versailles. Le livret peut sembler décoratif et n’est certainement pas ce qui contribue le plus à la qualité de ces Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, mais il n’est pas non plus aussi faible que certains veulent bien le dire, possédant un charme très proche de la délicatesse de l’art de vivre à la française qui se développe alors au XVIIIe siècle. Il a surtout pour objectif de flatter le Roi et sa famille, mais avec une certaine dose d’originalité.
Il puise ses sources dans une mythologie égyptienne revisitée par l’Abbé Terrasson dans le Sethos, un roman qui connut dans les années 1730 un grand succès et qui fût à l’origine d’un engouement public pour l’Egypte. Il n’est bien évidemment ici question d’aucune vérité historique, mais bien d’un goût pour l’exotisme que l’on retrouve aussi bien dans les boiseries des châteaux ou les porcelaines précieuses qu’au théâtre, où il permet de donner la part belle aux décors et aux costumes. La fascination pour la franc-maçonnerie interfère également, dans chacune des entrées, en effleurant certaines thématiques. Mais ici on est loin de la Flûte Enchantée, et le livret reste léger, car il doit avant tout offrir un spectacle merveilleux.
Le concert diffusé en direct par culturebox, aura permis à tous ceux qui n’ont pas pu rejoindre ce lieu d’exception qu’est l’Opéra Royal d’en profiter également, pouvant ainsi vivre ces petits instants où le spectacle vivant, s’offre dans ces petites imperfections qui font d’un concert comme celui-ci quelque chose d’inoubliable.
L’une des grandes réussites de cette recréation, en l’absence de mise en scène, est la distribution réunie par le CBMV qui nous a offert la théâtralité de l’œuvre avec un réel bonheur. On y trouve un équilibre parfait entre le vocal et l’instrumental, une adéquation d’autant plus difficile à réunir que la partition de Rameau est d’une rare complexité, en particulier pour les tessitures.
Tous les chanteurs méritent des louanges. A porter d’abord à leur crédit une diction parfaite, aussi bien des solistes que du chœur. Leur sens de la rhétorique est d’autant plus appréciable qu’il est devenu extrêmement rare, permettant ainsi de valoriser une dramaturgie pourtant fragile.
C’est d’abord la prestation de deux jeunes artistes, que nous suivons depuis leurs débuts et que nous souhaitons souligner : le ténor Reinoud Van Mechelen et la soprano Chantal Santon. Cette dernière est une reine des Amazones d’une grande noblesse qui vocalise avec légèreté et raffinement dans « Volez plaisir », ne perdant par ailleurs jamais cette énergie scénique virevoltante qui la caractérise. Quant au jeune ténor belge, son charme et son charisme en fond un Anubis extrêmement séduisant. Son timbre élégiaque et son phrasé à la poésie envoûtante, convient à la sensibilité de la musique de Rameau.
Mathias Vidal a porté avec panache des rôles aussi variés que difficile à tenir. Son timbre suave et son phrasé délié se savoure avec bonheur.
Les deux magnifiques basses Tassis Christoyannis et Alain Buet, contribuent à notre plaisir. Le premier est ici, bien loin du machiavélique Danaüs, entendu ici il y a peu, un Canope tendre et amoureux, tandis qu’Alain Buet en très grande forme, se révèle un grand-prêtre d’autorité.
Mais il n’est pas question d’oublier les deux autres dames qui ont embelli cette soirée. Tout d’abord Carolyn Sampson au soprano clair et agile, à la virtuosité gracieuse, ainsi que Blandine Staskiewicz au timbre plus cuivré est une sensuelle coloriste, aux nuances subtiles.
On a retrouvé avec plaisir l’humour d’Hervé Niquet, lisant les didascalies introduisant chaque entrée, dans un français dix huitièmiste de « pacotille ». Sous sa direction galvanisante, le chœur et les instrumentistes du Concert Spirituel ont brillé de mille feux. Leurs couleurs somptueuses, leur engagement ont porté vers le succès ces Fêtes de l’Hymen et de l’amour, qui grâce à de tels artistes et au travail du CMBV, est désormais d’autant plus sorti de l’oubli qu’un CD devrait suivre.
Versailles. Opéra Royal le 13 février 2014. Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour ou les dieux d’Égypte, Opéra-ballet en trois entrées avec prologue ; Livret de Louis de Cahusac. Créé à la Grande Écurie de Versailles, le 15 mars 1747. Avec : Orthésie, Orie, Chantal Santon ; L’Amour, Memphis, Une Première Egyptienne, Une Bergère égyptienne, Carolyn Sampson ; L’Hymen, Une Egyptienne, Une Seconde Egyptienne, Blandine Staskiewicz ; Myrrine, Jennifer Borghi ; Osiris, Un Berger égyptien, Un Egyptien, Reinoud Van Mechelen ; Un Plaisir, Agéris, Aruéris, Mathias Vidal ; Canope, Tassis Christoyannis ; Le Grand-Prêtre, Un Egyptien, Alain Buet. Chœur et orchestre du Concert Spirituel. Direction, Hervé Niquet.