vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, concert. TOURS, Opéra. Poulenc, Escaich, St-Saëns. OSRCVLT. Thierry Escaich (orgue), Benjamin Pionnier (direction)

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ESCAICH_thierry_448_escaich-6736-c-guy-vivienCompte-rendu, concert. TOURS, Opéra. Poulenc, Escaich, St-Saëns. OSRCVLT. Thierry Escaich (orgue), Benjamin Pionnier (direction). AUDACE & COHÉRENCE. On ne louera jamais assez la vitalité bien heureuse des concerts symphoniques présentés au Grand Théâtre de Tours : la tradition orchestrale s’y déploie en liberté et en originalité comme en témoigne ce 12 novembre, sur la scène de l’Opéra-Théâtre. La présence de l’orgue déjà est un préalable suffisamment éloquent : signe d’une audace en terme de programmation qui sait prendre les risques de dispositifs et d’association instrumentale peu ordinaire. Or malgré sa rareté au concert, la sonorité pleine, ronde et directe du clavier à pédales, transporte littéralement l’écoute. D’autant que c’est l’organiste et compositeur Thierry Escaich qui est le grand invité de ce soir, présentant comme compositeur, ses propres oeuvres Baroque Song (2007) ; puis comme interprète, s’accorde à la direction très détaillée et souple de Benjamin Pionnier, directeur des lieux, pour exprimer la franche puissance du Concerto de Poulenc, les vertiges hallucinants de la très romantique Symphonie de Camille Saint-Saëns. Programme copieux, véritable manifeste d’un essor de l’activité symphonique à Tours.
Programmer de la musique contemporaine apporte un enrichissement fertile, d’autant que l’écriture de Thierry Escaich est l’une des plus actives et raffinées qui soient, prenant ici prétexte du contrepoint baroque, celui des chorals, pour d’amples variations et divagations aux architectures complexes, vagues sonores, exigeant le concours de tout l’orchestre. Au souci de la forme, l’auteur répond par un tissu sonore flamboyant, aux multiples phénomènes de réponses et d’échos, assurant le plus souvent une belle cohésion dans le développement.
Et c’est un luxe de pouvoir écouter l’auteur lui-même, prendre le micro à l’invitation du chef Benjamin Pionnier, pour expliquer les enjeux et le sens de chaque section. L’expérience est exceptionnelle : elle rend plus vivante et surtout accessible, le concert de musique contemporaine. Son Concerto pour orgue sera joué les 25 et 26 novembre à la Philharmonie de Paris.
Avant les 2 concertos pour orgue de Poulenc puis en seconde partie, de Saint-Saëns, les tourangeaux ont pu retrouver le choeur de l’Opéra (uniquement ses voix de femmes) dans les chuchotements éthérés, d’une sensualité suggestive de « Sirènes », ultime volet du triptyque « Nocturnes » de Debussy.

Poulenc, Saint-Saëns, Escaich : équation gagnante
A Tours, Benjamin Pionnier joue l’audace et la cohérence

L’équilibre entre voix et orchestre, parfaitement réalisé, augure du meilleur pour les Concertos pour orgue à suivre : car il est toujours très délicat de trouver la juste balance entre la puissance non vibrée de l’orgue impérial, et la totalité voisine et scintillante de l’orchestre, que de cordes pour le Poulenc (avec timbales) ; à son complet pour la 3è de Saint-Saëns.
Comme le rappelle Thierry Escaich avant de se lancer dans les méandres harmoniques parfois acides, acérés de ce Concerto propres au néoclassicisme des années 1930, c’est Maurice Duruflé (disparu en 1986) qui le créa en 1939, Salle Gaveau à Paris ; or en un jeu de filiation et de correspondances qui d’ailleurs augmente la grande cohérence du programme, Duruflé fut organiste à Saint-Etienne du Mont (à partir de 1929) comme l’est actuellement son titulaire … Thierry Escaich. Et la boucle est bouclée.

Malgré sa franchise et son énergie, taillée au scalpel, avec cette acuité du timbre, cette efficacité pourtant sensuelle qui est le secret de Poulenc, le Concerto pour orgue reste exceptionnel au concert en France. Les mouvements enchaînés, sont vivement contrastés, comme une référence directe à la rhétorique alternée du discours baroque : la volubilité aiguë dont fait preuve Poulenc, rappelle (et cite aussi) JS Bach lui-même, auquel le Français associe des vagues planantes d’une incroyable volupté, comme des couperets harmoniques qui claquent comme la lame sonore cisaille, à la fin de son formidable opéra à venir, « Dialogues des Carmélites (1957) ». Particulièrement en complicité, -organiste, chef et musiciens- s’entendent à relancer et colorer chaque nouvel épisode, andante, allegro (variété des phrasés de l’orgue très sollicité, ferveur et rage des cordes, saisies comme dans une course…), sans omettre ces coups de sang qui fouettent le flux collectif avec un panache endiablé. Le Concerto court ainsi tout au long de ses 20 minutes, comme un pur sang nerveux qui sait aussi s’alanguir. Superbe connivence, belle association.

Enfin voilà le plat de consistance et pour nous l’un des sommets de la Symphonique romantique française à l’heure où le wagnérisme bas son plein : la Symphonie avec orgue de Camille Saint-Saëns, elle aussi, en raison de sa réalisation instrumentale complexe, très peu jouée au concert. Encore une aberration que Benjamin Pionnier a su écarter d’un revers de la main, pour ce premier concert de la saison symphonique à l’Opéra de Tours.
Benjamin Pionnier, nouveau directeur de l'Opéra de ToursDernière symphonie (et pourtant que 3è) de l’auteur de « Samson et Dalila », créé en 1877, la Symphonie avec orgue synthétise tout le génie d’orchestrateur de Saint-Saëns. Sa subtilité expressive aussi malgré l’apparente solennité du dispositif. Créés en 1886, les quatre mouvements comme soudés deux à deux, semblent se répondre, comme deux diptyques, en une symétrie parfaites aux résonances secrètes, très finement architecturée. L’orgue de Thierry Escaich, présent aux second puis quatrième mouvements, réalise cette même intensité à la fois simple et nuancée, mais avec une grandeur contemplative plus nettement marquée (caractère de la partition oblige) que dans le Poulenc : ce qu’on appelle emphase, « absence de génie », morceau terne et lisse, aimable et parfois solennel (donc creux), nous semble dans cette lecture à la fois directe, souple et bien architecturée, a contrario et littéralement… d’une constante inspiration : la palme revenant évidemment à l’Andante, second épisode (noté poco adagio), où se déploie le calme (grandiose il est vrai) tout en majesté intérieure de l’orgue sur les nuages des cordes… une séquence d’une élévation inouïe, – céleste, immatérielle, presque abstraite, qui nous fait traverser le ciel. Le jeu délicat, articulé, jamais démonstratif de l’organiste invité se révèle passionnant. D’autant que le chef veille à la clarté comme à la transparence des pupitres, dans un rapport constant où l’équilibre doit s’unir à l’intensité du son. Reprenons notre défense de l’œuvre : les uns (trop critiques) disent « ennui » ; comment peut-on s’éteindre à l’écoute d’une orchestration si raffinée et suractive, où pointe le jeu très facétieux selon nous, du piano, complice comme un double du premier clavier (de l’orgue), et qui est aussi la révérence autobiographique de Saint-Saëns lui-même (qui fut un excellent pianiste). L’ascension majestueuse du dernier mouvement enchaîné au Scherzo, ajoute à la maîtrise des interprètes, un autre défi, celui de l’exubérance (finement architecturée là aussi, dans le format d’une double fugue). L’orchestre étincelle comme un feu d’artifice, mais son rayonnement varie ses effets en toute mesure et maitrise, avec un sens de la composition d’une éloquente vivacité (Benjamin Pionnier sait allusivement rappeler dans sa direction très articulée, combien Saint-Saëns a su à son époque, admirer en visionnaire, Rameau, et le défendre avant tout autre.)… De Rameau à Saint-Saëns, une égale intelligence des mélodies fusionnées avec le souci de l’équilibre et du flux dramatique s’écoulent ainsi. Si l’on doutait (encore) du génie original de Saint-Saëns – quelle autre symphonie avec orgue peut-on compter alors ?, le concert à Tours en ce 12 novembre, montre clairement l’audace et la juvénilité d’un auteur faussement sage qu’on s’évertue à minorer en le décrétant poussiéreux et classique. Belle redécouverte associée à la sensibilité orchestrale de Thierry Escaich, le compositeur et l’organiste virtuose.

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Compte- rendu, concert. TOURS, Opéra, le 12 novembre 2017. « Jeux d’orgue » : Poulenc, Escaich, St-Saëns. OSRCVLT. Thierry Escaich (orgue), Benjamin Pionnier (direction).

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Prochain concert symphonique à l’Opéra de Tours : carte blanche à Paul Meyer (direction musicale), les 2 et 3 décembre 2017. Au programme : Ouverture Les Hébrides, puis Symphonie n°5 « Réformation » de Mendelssohn / Symphonie en ut n°9, « La Grande » de Schubert. Réservations et informations : sur le site et la billetterie en ligne de l’Opéra de Tours / saison 2017-2018.

http://www.operadetours.fr/carte-blanche-a-paul-meyer-2-3-dec

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