Une nuit magique, où l’hiver s’attache encore au ciel étoilé et aux lunes encore glacées. Sur le parvis de la Villette, la nef immense, tel un long cétacé semble dormir sous sa peau d’argent, mais son ventre gronde de lumière et bruisse d’impatience et d’éveil. La Philharmonie ouvre ses portes au maître qui la désira de tous ses sens, Pierre Boulez, dont le siècle est déjà proche, un siècle qui lui doit tant.
Le bel aujourd’hui…
Le retour des mystères incroyables de Pli selon pli et les vers sublimes de Stéphane Mallarmé, mais cette fois-ci dans le nouvel amphithéâtre de la Philharmonie de Paris (Philharmonie 1). Être confronté à un tel monument est en soi un vertigineux défi pour la sensibilité. La musique de Pli selon pli éveille, motive, incite et décline des mystères, une sorte de mystique sensuelle incarnée par la soprano qui est tour à tour vierge et enchanteresse, muse et élément. Dans ce rôle protéiforme, la très latine Marisol Montalvo a touché à la perfection la corde puissante du désir et du symbole. Avec une voix cristalline, plus incarnée que celle de Barbara Hannigan, elle offre à la partition de Boulez un souffle émotionnel plus sauvage, aux prises avec une sensualité exacerbée. Là où Hannigan offre l’extase des camélias d’hiver, Marisol Montalvo fait naître des orchidées des forêts vierges et des rosiers pourprés. La seule faille fut un léger défaut dans la prosodie dans le français, essentiel néanmoins pour saisir l’intensité de l’œuvre. Quand la voix laissa sa place à l’immense orchestre des Amériques de Varèse, le leviathan sembla chanter à plusieurs voix dans cette exposition splendide de mondes divers. « Amériques » poursuit une quête dans la nouveauté, un langage pléthorique des sons, nous avons entendu l’imaginaire d’avant-garde qui n’a pas pris une ride. La musique de Varèse est d’une colossale finesse et offre une multitudes de références. Surtout quand l’irruption de sirènes mécaniques parsème la pièce. Un clin d’œil à ce parti pris des choses que Ponge décrivit si bien, une sorte de manifeste pour la musique du quotidien, où la nouveauté n’est toujours pas lointaine ni inatteignable.
Pour ce concert aux couleurs diverses et complémentaires, l’Ensemble Intercontemporain s’associe à l’Orchestre du CNSMDP. Dans les rangs de l’Intercontemporain, nous entendons la précision, la parfaite maîtrise des styles et des nuances tant de Boulez que de Varèse, ils forment une belle tête de proue à un orchestre du CNSMDP parfois en mal de cohérence et de justesse. Nous saluons néanmoins les musiciens qui ont démontré d’une manière remarquable une assise chevronnée dans ce répertoire et une réponse très vive face aux exigences de ces deux œuvres monumentales.
A la tête de ces deux univers différents, Matthias Pintscher est correct, mais, on remarque une battue quelque peu sévère et nerveuse. Dans Pli selon pli, sa direction ôte parfois une souplesse inhérente à l’œuvre, qui aurait pu la rendre un peu plus légère. Dans Amériques, sa direction demeure bonne mais un peu trop sur la retenue. A la Philharmonie maintenant les pas sont feutrés, une certaine émotion naît en sortant de cette nef d’argent et de verre, surtout quand au loin on aperçoit cet immense monument de la musique qui rappelle les vers de Mallarmé :
« Cet unanime blanc conflit
D’une guirlande avec la même,
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus qu’il n’ensevelit. »
Compte rendu rédigé par notre rédacteur Pedro Octavo Diaz. illustration : Pierre Boulez (DR)